[Témoignage] Perception

Dialna - Perception

Pour cette nouvelle rubrique de témoignages, nous accueillons une nouvelle plume, Nefertiti. Elle va nous raconter des tranches de vie qui vont certainement éveiller en vous des souvenirs, ou des impressions de déjà-vu. Le but ? Mettre en avant le vécu, les expériences, et la perception de soi, et des autres, d’une jeune femme française et maghrébine. Tout le monde parle toujours à la place de ces femmes. Aujourd’hui c’est l’une d’entre elles qui prend la parole. Pour ce premier épisode, elle revient sur une partie de sa scolarité, et sur comment de par son origine et sa religion, elle a été perçue par le corps enseignant.

dialna - Perception
Perception
(© Pixabay)

Perception

Un matin, j’étais la première à arriver en cours. Et mon professeur de géographie me posa la question la plus surprenante :

 -Vous préférez quand vous appelle comment ?

-Pardon ?

-Un ami m’a dit que les termes beurs et rebeux sont utilisés pour nommer les Maghrébins. Qu’est-ce que vous préférez ?

-Je ne préfère ni l’un ni l’autre. Je préfère qu’« on  »nous appelle les Français.

-Entre vous, comment vous vous appelez ?

-les Français, répondis-je.

Il était surpris de ma réponse. A ce moment précis, j’ai eu l’impression d’être le porte-parole d’une communauté qu’on imagine homogène, qu’on laisse entasser dans un coin, et à qui on s’intéresse de temps en temps avec condescendance.

Du haut de mes 24 ans, on m’a posé des questions bizarres et on m’a fait part de réflexions assez limites. Hé oui. En France, il existe encore cette perception de l’Autre qui éveille l’exotisme, l’interrogation, la crainte comme si nous étions dans un cabinet de curiosité du XIX ème siècle.

Durant mon parcours universitaire, j’ai pu constater la méconnaissance qui existe autour de ma culture, et de ma religion. En prépa littéraire, nous étions peu à être issus de la diversité. C’était vraiment pesant. On m’a collé de nombreuses étiquettes.

dialna - perception
Femmes d’Alger dans leur appartement (détail), par Eugène Delacroix (capture d’écran)

Premièrement, il y avait celle de la jeune femme maghrébine soumise. C’est un cliché tenace encore présent aujourd’hui, qui a été souvent relayé par la littérature, et le cinéma. Les jeunes femmes d’origine maghrébine ont toujours été dépeintes comme des personnes ignorantes privées de liberté par leur famille, et qui attendent impatiemment leur prince charmant blond aux yeux bleus pour les délivrer du carcan traditionnel. Mes camarades de classe étaient surpris de voir que j’étais cultivée, que je m’intéressais à l’art, et que j’appréciais les sorties culturelles. Certains me demandaient avec dédain comment je pouvais avoir une ouverture d’esprit car cela ne collait pas avec ma culture.
Deuxièmement, c’était ma religion qui était souvent caricaturée, et pointée du doigt que cela soit par l’extrême droite, certains politiques, ou des pseudo-intellectuels. Les amalgames et raccourcis sont nombreux. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai pu lire et entendre des sottises sur l’Islam.

Ces dernières années ont été particulièrement nauséabondes car combien de fois on nous a demandé de prouver notre attachement à la République, de montrer patte blanche pour être considérés comme des citoyens lambdas. Et pourtant, la parole est rarement donnée aux Musulmans, et des escrocs parlent en notre nom (je parle de Chalgoumi entre autres).  L’Islam est toujours abordé sous un prisme terrifiant : « Oh lala, on ne se sent plus chez nous » ou encore « L’invasion islamiste détruit notre culture ». Ce genre de propos, relayés dans la presse et sur les plateaux de télévision alimentent les tensions qui sont déjà bien présentes dans la société. Ces tensions se retrouvent partout : dans le monde du travail, à l’école, dans la rue. Elles se transforment en insultes, en agressions, en discriminations.

Quand j’étais en prépa, une fille de ma promo avait décidé de porter le voile. C’était son choix personnel. Cela avait créé une polémique dans la classe. Certaines filles de notre classe lui avaient clairement dit qu’elle ne devait pas porter le voile car cela prouvait, selon elles, sa soumission aux hommes. Pourtant c’était sa décision. D’autres filles lui posaient des questions débiles : « Est-ce que tu arrives à entendre avec ton voile sur les oreilles ? »

Parfois, je me demandais si nous étions vraiment perçus comme cela en France. La discrimination et le racisme se fondent en partie sur ces clichés qui sont persistants dans la société française. Cette même société qui a du mal à comprendre ce que je suis, et qui souhaite à tout prix me mettre dans un moule qui ne me correspond pas. Je ne me sens plus à l’aise dans le pays dans lequel je suis née, dans lequel j’ai grandi. Là où pourtant, j’ai mes repères. Il faut constamment prouver son appartenance à la France. Mon identité plurielle n’est pas mise en valeur, et n’est pas acceptée. L’idée de vivre ailleurs me trotte dans la tête.

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Perception
(© Pixabay)

Sincèrement, je trouve cela malheureux de me dire que je serai peut-être mieux acceptée dans un autre pays que le mien. Et en même temps, je souhaite rester en France pour essayer de montrer que moi aussi je fais partie intégrante de cette société.

A suivre …

Nefertiti

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