Nous retrouvons cette semaine Mona, qui nous parle de l’influence qu’ont eu les femmes de son entourage dans sa vie, pour se construire en femme forte et indépendante. Les modèles à suivre sont très souvent proches de nous.
À Khadija.
Quand j’étais pauvre, elle m’a enrichi ; quand tout le monde m’abandonnait, elle m’a réconforté ; quand on me traitait de menteur, elle a cru en moi.
Le prophète Muhammad
J’ai 8 ans et demi en juillet 2008 quand mes parents nous annoncent à mon frère – il a 13 ans à ce moment-là – et à moi qu’ils se séparent. C’est inévitablement douloureux au début puis on s’y habitue. Par force ou par contrainte je ne sais pas trop.
Mon père s’est toujours très bien occupé de ses enfants. Loin des clichés du père distant, froid, peu aimant, mon père, c’est tout le contraire. J’ai un lien quelque peu particulier avec lui, on parle de tout – dans la limite du pudique – et on partage plein de choses ensemble. Dans mes plus lointains souvenirs, ma mère a toujours fait beaucoup de choses à la maison. Elle fait à manger, le ménage, elle s’occupe de nous, mais surtout, elle travaille. Le patriarcat qui respire dans les foyers français trouvait son souffle coupé chez moi. Ça n’existait pas, mon père s’occupait de la maison lui aussi. Mais je voyais ma mère souffrir d’une pression qui siégeait au-dessus d’elle, c’était ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui la « charge mentale ».
La famille
Quand mes parents se sont séparés, elle a pris la décision de prendre un appartement, seule. Elle vit seule depuis très longtemps. Petite, ça me préoccupait un peu pour elle. Du haut de mes 8 ans, quand j’étais chez l’un de mes parents ou chez l’autre, je me demandais toujours ce que faisait l’un ou l’autre tout seul, sans moi. Sans nous.
J’ai toujours admiré la force de caractère de ma mère à savoir se débrouiller sans quérir l’aide de personne. J’ai admiré sa force comme j’ai pu admirer la force de mes grands-mères, comme celle de mes tantes, comme celle de mes cousines et celle de mes amies les plus proches.
« Il ne faut dépendre de personne, hein, tu sais ça ? c’est important pour son épanouissement, pour soi, d’être indépendante, Mona. » Évidemment que j’ai la meilleure mère du monde entier quand j’observe de loin, ou de près, tous les sacrifices qu’elle a fait pour moi. Quand je vois le modèle de femme indépendante qu’elle s’est tenue de suivre, pour elle et pour moi. C’est son honnêteté qui a forgé mon caractère libre et honnête, comme elle.
Ma grand-mère maternelle n’a pas pu aller à l’école. Elle est née en Algérie en 1930 et ce n’était pas dans l’ordre des choses d’aller à l’école, notamment parce que sa famille était pauvre. C’est sans doute la raison majeure. J’ôterai à qui que ce soit l’idée de considérer qu’on lui avait empêché de faire des études parce qu’elle était une fille et qu’une fille en Algérie, ça reste à la maison.
Pour moi, c’était normal de faire des études. Je comprenais l’insistance dans les paroles de ma mère quand j’ai vu la grandeur du monde qui s’offrait à ma petite place de femme. Double difficulté qui soit bien sûr, d’être une femme, une femme noire, et une femme arabe en plus de ça. Ma mère ne m’a pas appris à parler l’arabe, sauf quelques mots par ci par là alors que ma grand-mère ne parlait que l’arabe. J’ai de trop bons souvenirs où je me revois passer des heures sur le canapé du salon de sa maison à l’écouter monologuer sur tout et rien. On arrivait à échanger deux, trois choses par moment, mais c’était toujours assez superficiel, ce qui par ailleurs ne rendait absolument pas superficielle la relation. Je lui racontais ce que je faisais à l’école et je sais que ça ne lui parlait pas mais elle me disait toujours que c’était bien, qu’il fallait continuer comme ça. Non pas qu’elle était incapable de comprendre, mais parce que ça lui semblait être à des kilomètres de sa vie. Je lui parlais de la langue française en évoquant les adjectifs épithètes, de l’histoire française en racontant le sacre de Charles X. Elle était loin de tout ça (pas si loin de l’histoire française de la colonisation mais on ne parle pas de ça à l’école).
Femme forte
J’ai toujours voulu, comme mon frère ; avoir mon permis, faire des études, être indépendante, tout comme les femmes qui m’ont accompagnée dans ma vie. Les femmes de ma vie sont des femmes fortes.
J’admire la force de caractère de ma cousine qui sait plus que n’importe qui adopter un regard froid face à tout ce qui pourrait laisser voir que n’importe quoi l’ait touchée. Elle m’a appris à voir la vie de manière distanciée, de savoir faire transpirer mes émotions en en gardant toujours quelques-unes secrètes, sans jamais avoir ni peur ni honte de me découvrir, de m’ouvrir aux gens. Tu m’as appris à être quelqu’un d’indépendant, sûr de soi, sans jamais prétendre à de l’orgueil ni au mépris. C’est par toi que j’ai découvert le vrai amour sans gêne, sans nécessité d’étreinte pour qu’il se révèle authentique. Tu m’as fait grandir en me confortant dans l’idée qu’il n’était pas injuste ni illégitime de ressentir ce que l’on ressent, de dire ce qu’on pensait être méritant de dire. Comme ma béquille, ma jambe droite, mon bras droit, c’est la force de ton caractère que je retiens quand je repense aux difficultés qui ont siégé ta vie. Alors qu’elle faisait partie de ma vie depuis toujours et qu’elle m’épaulait à chaque instant de ma vie, je me voyais tenter d’imiter sa détermination et sa radicalité dans ses choix. On n’est pas tout à fait les mêmes, je m’en voulais de ne pas réussir à tourner une page aussi vite qu’elle, de ne pas savoir prendre autant de distance face à ceux qui le méritaient. C’est un peu moi mais en mieux, on se ressemble beaucoup elle et moi…
J’aimais plus que tout les rides qui marquaient la vie de ma grand-mère paternelle. Elle non plus n’a pas fait de grandes études mais elle est tout de même allée à l’école. J’aurais pu parler de Charles X avec elle, voire même d’adjectifs épithètes mais c’est paradoxalement la distance géographique qui a fait que nous n’étions plus si proches que ça. Elle aussi a vécu seule durant la fin de sa vie, considérant n’ayant nul besoin de n’importe qui, n’importe quoi, ni n’importe quelle aide. J’avoue être obligée de fictionnaliser ce qu’elle a bien pu ressentir car je n’ai jamais eu l’occasion de lui poser la question. Je l’aimais très fort elle aussi, on s’aimait beaucoup elle et moi.
En ce qui concerne mes tantes, ce sont elles qui m’ont appris à gérer ma sensibilité, quelle qu’elle soit. Elles sont toutes à la fois mes « deuxième maman ». Un excès de tristesse ou un excès de nerfs revêtaient toujours une solution, l’une me proposait des huiles essentielles, l’autre un peu de yoga, encore une autre m’invitait à parler, à me confier après un ça va ma chérie ?
Après que j’ai publié mon premier article « L’altérité d’être soi », ma cousine l’a lu à mon oncle et ma tante. Ce à quoi ma tante m’a répondu par vidéo qu’elle avait adoré ce que j’avais écrit, bien qu’elle n’ait pas compris tous les mots que j’avais utilisé. Comment lui dire que tout ce que j’écrivais, c’était grâce à elle ? Grâce à elle, à ma mère, à ma sœur et mes autres tantes. En parlant de mon engagement, c’était celui des femmes qui avaient forgé l’engagement de ma vie dont je voulais réellement, authentiquement parler. J’avais écrit ma vie à la manière d’un engagement politique féminin. J’avais puisé la force d’écrire tout ce dont je voulais parler et dénoncer dans chacune de leur vie, chacune de leurs difficultés et chacun de leur souffle.
Faire ses choix
J’ai vécu une rupture en mai 2018 qui m’a beaucoup touchée. Je m’en suis remise grâce à cette idée qu’elles avaient inscrite en moi, qu’il n’était pas de mon rôle et ne dépendait pas de moi de changer la personne avec qui je pouvais/voulais entretenir une relation. Elles m’ont soutenu chacune à leur manière, surtout toi, chez qui j’ai passé les trois quarts de mes vacances d’été, qui m’a rassurée et m’a précisément appris à ne pas étouffer mes émotions et sentiments afin d’avancer de la meilleure manière possible. J’avais à faire des choix, même si c’est difficile, même si ça parait impossible, mais c’est grâce à elle si j’ai su et pu les affirmer.
[…] est un magazine féministe. La jeune Mawja Mona, talentueuse jeune femme de plume, nous a offert un très beau texte rendant hommage aux femmes de sa vie. Alors on lui offre un superbe morceau, vraie déclaration d’amour aux femmes de notre […]