Ça fait longtemps que l’on ne vous a pas parlé de femmes photographes, erreur réparée en vous présentant la grande, l’intelligente, l’inimitable Carrie Mae Weems, afro-féministe venue tout droit des Etats-Unis.
Née le 20 avril 1953 à Portland, elle a vécu à New York, à Brooklyn plus précisément. Elle approche le domaine de l’art à travers le théâtre et la danse de rue et décide d’étudier la danse moderne l’Université de Californie à San Diego.
On lui offre pendant ses études un boitier, elle va l’utiliser pour témoigner des inégalités sociales dans les universités et va explorer le concept de l’injustice, notamment avec sa brillantissime série de photos : Kitchen Table.
Le noyau central de tout son travail, c’est la tension et la structure. Carrie Mae Weems est une auteure photographe, qui réfléchit beaucoup avant de déclencher son boitier. Sa force photographique ce sont la composition, le noir & blanc parfaitement maitrisé et le sens parfait des formes géométriques.
Si vous prenez le temps de regarder la série Kitchen table, vous noterez une tension dans toutes les photos, même les images montrant des moments heureux. Elle réussit ce tour de force, en gardant le même angle et le même décor qu’est sa cuisine, avec, pour seule lumière sa lampe de plafond, telle une épée de Damoclès au dessus de la tête de chacun.e. L’espace réduit donne une vrai force aux personnages, et son sens de la composition touche les étoiles…
L’intelligence de Carrie Mae Weems dans cette série, c’est d’avoir fait un parallèle entre le très grand et le très petit. Cette petite cuisine c’est ni plus ni moins le symbole des USA et comment ce grand territoire traite les femmes noires.
Cette série va mettre le doigt sur quelques des sujets nerveux, tels que l’inégalité de genre et de race sociale. Dénoncer les dominations avec le médium qu’est la photographie, c’est le pari réussi de Carrie Mae Weems. Féministe de la première heure, elle dévoile et condamne comment les lieux de vies sont dessinés pour les hommes, et comment les femmes se réfugient dans cette pièce, qu’est la cuisine, dès qu’il y a une crise, comment elles résolvent tous les problèmes dans cette même pièce, la société patriarcale ne leur laissant pas beaucoup de place, surtout dans leurs propres habitations…
La force de Carrie Mae Weems, c’est de conceptualiser son travail avec un regard très lucide sur cette société, elle n’a jamais voulu être déconnectée de ce monde, du coup, elle n’a pas arrêté de se former à la photographie, au féminisme et à la sociologie. C’est une bosseuse hors-pair, elle n’arrête pas de se documenter sur les rapports de pouvoir, en se posant ces éternelles questions : Qui détient le pouvoir ? Qu’est ce que le pouvoir ? Comment est-il utilisé ?
Carrie Mae Weems a passé sa vie à examiner le pouvoir, car en tant que femme noire elle n’en a eu aucun ! À travers l’art et la réflexion, elle se demande comment peut-on s’en emparer, et impacter les autres femmes noires dans son sillage.
Grande témoin de son époque, elle a aussi travaillé sur sa propre famille, en produisant de belles photos brutes. À travers son oeuvre, elle est arrivée à capturer des moments de vie et à les rendre extraordinaires. Elle a su valoriser les familles afro-américaines avec un regard tendre et intelligent.
Elle regrette ne pas avoir 20 ans aujourd’hui, car le monde vit un moment de bouleversement social profond. Ces changements de clameur que l’on vit aujourd’hui, c’est grâce à des personnes comme elle qui sont restées verticales devant un système raciste, sexiste et utlra-violent ! Elle a ouvert une porte pour les femmes noires dans l’art contemporain et les autres femmes racisées l’ont aussi suivie !
Si vous avez vu la série Empire ou encore Nola Darling, ses œuvres sont accrochées en arrière plan. Car les amoureux de l’image ne peuvent pas passer à coté du travail de Carrie Mae Weems. Aujourd’hui, il y a toute une génération qui lui rend hommage, l’invite à des conférences, lui achète à prix d’or ses tirages. Elle produit beaucoup plus de séries de photos qu’il y a 20 ans, car elle se sent bien dans cette époque où le féminisme a sa part dans la société.
Des articles dithyrambiques dans la presse internationales lui sont adressés et c’est amplement mérité. Dans une rétrospective de son oeuvre dans le New York Times, Holland Cotter a écrit : “Ms. Weems is what she has always been, a superb image maker and a moral force, focused and irrepressible. » (« Mme Weems est ce qu’elle a toujours été, une superbe faiseuse d’images, et une force morale irrépressible et déterminée. »)
Carrie Mae Weems a été en quelque sorte la marraine de toutes les femmes opprimées dans leur condition de genre, race… Nous l’aimons et nous l’honorons avec cet article dans Dialna.