La directrice des éditions Faces Cachées, Ouafa Mameche, se lance dans un cycle de conférences appelées Femmes Cachées. La première aura lieu ce samedi 22 juin 2019, s’appellera Femmes cachées derrière les micros autour de trois profils de femmes différentes, travaillant dans l’industrie du rap. On vous a déjà présenté le travail d’éditrice de Ouafa et son parcours, mais ces conférences sont l’occasion pour Dialna de vous proposer un focus sur son travail et sa passion pour le rap.
Bien avant de se lancer dans l’édition de livres, Ouafa Mameche a toujours eu la passion de l’écriture et de la musique, le rap français plus précisément. Elle se lance d’abord avec le magazine urbain Davibe, avant de rejoindre l’équipe de Mehdi Maizi dans l’émission La sauce, sur OKLM radio, il y a trois ans. L’an dernier, c’est sur le magazine rap L’Abcdr du Son qu’elle commence à publier des interviews et articles.
Cette année, la jeune femme a cumulé les participations à des conférences, tables rondes autour du rap, ce qui lui a donné l’envie et la motivation d’organiser ses propres évènements, en choisissant des femmes comme elles comme intervenantes. Elle nous explique : « C’est vrai que cette année, et notamment pour le 8 mars, on m’a beaucoup sollicitée. C’est à cette occasion, en général, qu’on se souvient qu’on existe. Mais j’ai remarqué que le sujet revenait très souvent, entre ceux qui font des mémoires, des thèses, ou même des documentaires et qui nous contactent. Donc la question intéresse les gens. Donc, pourquoi ne pas lier l’utile à l’agréable ? J’ai voulu prendre en mains cette question, mais en en le faisant de l’intérieur, et surtout en invitant de vraies actrices à prendre la parole. Ce n’est que rarement le cas. » Ouafa Mameche a conscience que cette prise de parole féminine est encore limitée, et ce, quel que soit le domaine. En tant que journaliste, elle n’hésite pas à commenter ou analyser la situation, à parler de son métier. Mais, il était indispensable d’avoir autour d’elle, d’autres femmes occupant des postes différents dans cette industrie : « Moi, je veux qu’on arrête de me demander pourquoi à mon avis, les femmes ne sont pas nombreuses dans le rap? Je n’en ai aucune idée, il n’y a pas de règles et chaque femme est différente. Je voulais vraiment mettre en avant des femmes et montrer leurs métiers. La conférence n’est pas exclusivement centrée sur le fait d’être une femme, mais c’est un parti pris de n’avoir que des femmes dans mon panel. Très souvent on ne voit que des hommes. », explique-t-elle.
Les femmes de l’ombre
D’ailleurs, la jeune journaliste ne veut plus entendre parler de la place des femmes dans le rap. Elle élude cette question : « Je ne veux plus avoir à répondre à la question de la place des femmes, ou pire, de la femme dans le hip-hop. Vous voulez les voir, elles sont là, et elles vont parler de leurs métiers. » Les métiers que Ouafa Mameche veut mettre en lumière, ce sont ceux de l’ombre. À l’image du nom de sa maison d’édition, qui lui vient d’un blog qu’elle tenait, Faces Cachées, les femmes invitées ont des métiers qu’on connait peu.
Et un des milieu que peu de gens connaissent, c’est bien le monde de l’édition. C’était d’ailleurs le premier thème que Ouafa voulait aborder en conférence : « C’est une de mes activités, et personne ne sait comment ça fonctionne. En plus toutes les personnes que je connais qui ont monté des maisons d’édition indépendantes, ce sont des femmes. Je me suis dit qu’il y avait une pertinence à organiser un tel évènement. Mais avant je voulais profiter de la saison des festivals pour commencer par en faire une sur le rap. J’espère en organiser une rapidement sur l’édition, ainsi que d’autres métiers. »
Pour cette première édition, le choix des invitées a été assez facile à faire pour Ouafa Mameche. Elle connaissait déjà les activités des intervenantes, dont la présence a été une évidence pour elle. Manageuse, directrice de label, attachée de presse, les femmes présentes à cette conférence font preuve de grande qualités professionnelles aussi bien qu’humaines, auprès de tous les intervenants du métier. Ouafa nous parle d’elles : « Pour certaines, je les connais depuis des années. Daphné Weil, je la connais depuis mes débuts. Ce milieu est un peu un microcosme, on croise souvent les mêmes personnes. » Daphné Weil est l’actuelle manager d’Ärsenik et de Nakk Mendosa, et la directrice de D.A.Y. Elle produit entre autre la plateforme rap Daymolition, hébergée chez Dailymotion. Ouafa nous en parle en détail : « C’est un projet important pour l’émergence de nouveaux rappeurs, et qui leur permet de faire des clips de qualité à un budget vraiment bas. Ils réalisent également « Rentre dans le cercle » de Fianso. Ils ont aussi Daylight qui produit des clips un peu plus hauts de gamme, pour les grands noms du rap. Daphné produit aussi des concerts, notamment « Retour aux sources » depuis quelques années. C’est vraiment une des femmes de l’ombre qui gère énormément de projets dans le rap, et c’est une des premières fois qu’elle s’exprimera en public. Elle n’aime pas trop ça, mais elle a accepté parce qu’il y avait des femmes qu’elle appréciait. J’ai donc visé juste ! «
Ces autres femmes ce sont tout d’abord Netta Margulies, qui est attachée de presse indépendante. Elle a travaillé notamment sur le concert d’Ärsenik à l’Olympia le mois dernier, elle collabore avec Kenza Farah, Sniper, Soso Maness, et pour le projet de compilation Deezer La relève, entre autres. Ouafa détaille son choix : « Netta, je la connais depuis quelques années, par mon activité dans l’émission La Sauce. Elle nous envoie beaucoup de ses artistes, je vois comment elle travaille depuis longtemps. J’ai pensé aussi à elle, parce que c’est quelqu’un qu’on n’entend jamais. L’attachée de presse, c’est vraiment le métier de l’ombre. »
La dernière femme à intervenir c’est Pauline Duarte, directrice de Def Jam France, l’un des plus gros labels de rap. Parmi ses signatures, on peut trouver Kaaris, Alonzo, Lacrim, ou encore Koba LaD. Si son nom vous dit quelque chose, c’est qu’elle est tout simplement la petite soeur du rappeur Stomy Bugsy, Gilles Duarte. Pendant des années passées dans l’ombre de son frère, elle a appris le métier, le métier caché de productrice. Le blog Vraies Meufs lui a d’ailleurs consacré un très beau portrait. Pauline Duarte est la seule que Ouafa ne connaissait pas personnellement. « J’ai rencontré Pauline pour la première fois, quand on s’est vues pour préparer la conférence. On se suivait déjà sur les réseaux sociaux. Elle m’avait suivie après une émission de La Sauce où j’avais invitée une autre Pauline, Pauline Raignault qui travaille chez Polydor. Et dans cette émission on a parlé des autres femmes de ce métier, dont Pauline Duarte. Et puis depuis quelques mois, elle commence à communiquer autour de son activité, donc sa participation faisait aussi partie de ce processus. »
La réponse du public parisien ne s’est pas faite attendre. Deux jours après le lancement des inscriptions, la conférence est déjà complète, obligeant la journaliste à trouver un lieu plus grand. « Le sujet intéresse vraiment les gens, j’ai beaucoup de messages de personnes me disant que c’est le thème de leurs travaux de recherche par exemple. Alors, c’est bien c’est un sujet à la mode, mais si on peut en profiter pour mettre en avant des femmes brillantes et le travail qu’elles fournissent, autant en profiter. »
Une personnification plus importante
Pour Ouafa Mameche, la nécessité de rendre visible les femmes dans ces domaines est vitale. « En ce qui concerne le rap, avant on ne connaissait pas vraiment les patrons de label, les chefs de projet, etc. Aujourd’hui on est vraiment rentré dans une ère de personnification et de représentation incroyable dans le rap. Avant je ne pouvais pas te citer une seule attachée de presse, et puis les rappeurs n’en avaient pas beaucoup. Pour en revenir à ces femmes là, Daphné est timide, Netta ne se met pas vraiment en avant, la question d’être dans l’ombre ou pas ne se posait pas, il y a encore quelques années. »
Pour la journaliste, cela vient avant tout d’une demande du public de savoir réellement comment se passent les coulisses de ce milieu. « Même nous, les journalistes on commence à plus se montrer. Il y a plus de programmes comme des podcasts, comme les Infiltrés de Mehdi Maizi qui racontent comment on fait un feat, combien coûte une avance, etc. Les gens ont envie de savoir comment ça fonctionne car ils ont envie d’en faire partie. »
Pour ce qui est du lieu, là aussi, c’est une histoire de rencontre. Initialement, la conférence devait avoir lieu à Columbia Paris, l’antenne parisienne de la célèbre université américaine. Ouafa nous raconte : « J’ai connu cet endroit et les gens qui le gèrent parce qu’ils s’étaient intéressés au livre de Bolewa (Sabourin) qu’on a édité. On avait fait une rencontre là-bas qui s’était très bien passée, Balla (Fofana), le co-auteur y avait aussi animé une autre rencontre. Ils les avaient ensuite emmenés à New York faire une tournée d’universités d’ailleurs. Ce sont deux femmes justement qui s’en étaient occupées, Lauren et Joelle, et le courant était très bien passé. J’ai vu en elle une telle ouverture d’esprit comme on en trouve peu en France. Elles ont été très motivantes, et m’ont proposé très rapidement d’organiser des événements autour du rap, ou de la littérature. Forcément j’ai pensé à elles en premier. » Le succès des inscriptions à l’annonce de la conférence est tel, qu’il contraint Ouafa Mameche à chercher un lieu plus grand, pour accueillir les inscrits et les personnes en liste d’attente. « Quand j’ai du leur dire qu’on devait le faire ailleurs, il n’y a pas eu de souci avec elles, elles m’ont juste demandé de leur garder des places (rires). » La journaliste va frapper à toutes les portes, salles de spectacles, théâtre. À un mois de l’événement, tout est complet. « La date de notre conférence est juste après la Fête de la Musique, tout ce qu’on trouvait était complet ou payant. », confie Ouafa. Par l’intermédiaire de son auteur Bolewa Sabourin, elle trouve le lieu, The Family : « Je ne connaissais pas du tout. C’est un genre d’espace de co-working, accompagnateur d’entreprises, à l’anglosaxonne. Bolewa a été convié à un événement là-bas, et j’ai été mise en contact avec eux. Ils voulaient qu’on organise quelque chose ensemble, alors j’en ai profité pour leur parler de ma conférence. Ils ont été tout de suite partants ! »
L’édition, monde de femmes ?
La jeune femme ne compte pas en rester là, et espère organiser une autre conférence Femmes Cachées en fin d’année, sur le thème de l’édition, puisque c’est son autre casquette. « Comme je le disais, en matière d’édition indépendante, les femmes sont plus nombreuses. Je pense à mon amie Assia, de PMN éditions, à Nadia Henni-Moulaï de Melting Book par exemple. Je ne leur ai pas encore proposé. Mais ce sont des noms auxquels je pense, tout comme Clara Tellier Savary des éditions Goutte d’Or, par exemple. » Pour Ouafa Mameche la question des femmes dans l’édition va encore plus loin : « En fait, je cite ces noms tout simplement parce que je ne connais pas d’homme entrepreneur dans ce domaine. La question que je me pose, c’est pourquoi les femmes se lancent plus dans un domaine plutôt risqué, qui ne les fera pas manger, et en plus, sur des questions engagées voire militantes pour certaines. Sociologiquement, qu’est ce que cela veut dire ? Pourquoi ce rapport au livre en général est plus féminin ? «
Elle n’est pas en manque d’idées, puisqu’en plus de ces domaines, elle veut aussi parler des femmes dans le cinéma, la mode et la recherche. Ouafa Mameche veut pouvoir continuer cette nouvelle activité et lancer des discussions : « Je me suis rendue compte que je suis de plus en plus à l’aise dans l’exercice de l’interview. J’arrive à rebondir, faire des liens… J’ai découvert que j’aimais vraiment ça. Et puis, je réalise la force des réseaux. Ton travail, qui tu es, tout ça est rendu visible par les réseaux sociaux aujourd’hui. D’où la question de la représentation, la personnification dont je te parlais tout à l’heure. La qualité de ton travail joue aussi, bien entendu. Mais le coeur de tout cela, tout comme pour l’édition, ce sont les événements, les rencontres. C’est là où tout se joue.