[Actualité] Au Maroc, un pas de plus dans la reconnaissance de l’identité amazighe

Dialna - Amazigh

Pour la première fois, Yennayer, le nouvel an amazigh est un jour férié chômé national au Maroc, suite à une décision du palais royal en mai 2023. Le 14 janvier 2024 a donc eu une saveur particulière dans le royaume chérifien. La reconnaissance de l’identité amazighe s’affirme de plus en plus au Maroc, suite aux nombreuses décisions du pouvoir politique, au fil des années.
Décryptage avec l’historien Mustapha Qadery, l’anthropologue Khalid Mouna et la sociologue Fadma Aït Mous.

 

La décision du palais royal de rendre férié le jour de l’an amazigh appelé Yennayer a surpris la population marocaine. Une célébration purement amazighe qui va concerner tout le peuple marocain, pour le passage à l’année 2974 du calendrier suivi par cette population.

« C’est un bonheur ! », s’exclame l’historien Mustapha Qadery. « De nombreuses associations imazighen, qui défendent l’identité du pays, ont depuis longtemps demandé que ce jour soit rendu férié au Maroc, comme un signe parmi tant d’autres de reconnaissance de l’amazighité du pays ». Une reconnaissance qui se fait de manière nationale en rendant ce jour férié pour tous.

« Yennayer, c’est une tradition très ancienne, vécue en famille. C’est un symbole très profond, reconnu et qui permet au mouvement amazigh de reconquérir son identité par des moyens les plus pacifiques qui existent », précise-t-il.

 
 
 
 
 
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Même son de cloche pour Khalid Mouna, anthropologue et professeur à l’université de Meknès : « C’est réjouissant car on assiste aujourd’hui à un déblocage de la situation de la question amazighe qui a été déjà introduite dans la Constitution de 2011 (officialisation de la langue amazighe, ndlr). Et on a vu comment les islamistes au pouvoir ont tout fait pour poursuivre ce blocage, malgré cette loi », explique-t-il.  « Mais, c’est aussi triste car cela montre à quel point la scène politique au Maroc dépend entièrement des décisions du Palais royal », poursuit-il.

La nécessité de passer par l’appareil législatif est une évidence pour la sociologue Fadma Aït Mous. « Les lois sont importantes, elles octroient une légitimité juridique et politique de taille et viennent couronner des revendications longtemps acclamées par les associations culturelles imazighen », détaille-t-elle. « Un jour férié, une fête nationale appartient ainsi à tous et permet de donner à voir une culture qui se manifeste et se pratique via sa célébration », poursuit-elle.

« Le nationalisme arabisant a été très offensif au Maroc. »

Mustapha Qadery, historien

Nationalisme post-indépendance, pan-arabisme, et amazighité

Et si ces revendications persistent encore aujourd’hui, c’est après l’indépendance du pays, en 1956, qu’il faut aller chercher un début d’explication. 

Dans de nombreuses anciennes colonies, les mouvements nationalistes – arrivés au pouvoir au lendemain de l’indépendance – ont porté des politiques panarabistes. Dans le cas du Maroc, ces politiques ont pensé une identité uniforme du pays autour de la langue arabe et de la religion musulmane.

Pour l’historien Mustapha Qadery, « le nationalisme arabisant a été très offensif au Maroc ». Il poursuit : « Le nationalisme nord-africain a voulu faire de l’Afrique du nord une succursale de Nasser ou du baasisme, nés au Moyen-Orient et qui se nourrit de l’orientalisme et du colonialisme », poursuit-il expliquant ainsi la volonté des autorités au pouvoir d’arabiser l’identité nationale. 

« Il faut comprendre que les Imazighen ne sont pas une minorité, contrairement à ce que l’on peut entendre ».

Mustapha Qadery

« Le nationalisme est d’ailleurs un enfant légitime du colonialisme qui a volé, gommé, éliminé tout ce qui est amazigh en Afrique du Nord et donc au Maroc », explique l’historien.

« Les Arabes ont été un empire en extension qui a atteint l’Afrique du Nord. Les populations locales ont ensuite chassé les Arabes », détaille Mustapha Qadéry. « Les grandes dynasties qui ont dirigé le Maroc, comme les Almoravides ou les Almohades étaient des Imazighen, pas des Arabes », se justifie-t-il. « Ces populations ont gardé la religion musulmane et la langue arabe en héritage, sans les théories nationalistes qui sont apparues bien plus tard », explique-t-il. 

L’identité marocaine post indépendance se construit alors autour d’une langue unique, l’arabe ;  d’une religion, l’islam et de la figure du roi comme leader. 

« La question amazighe a été complètement occultée. Dans certaines régions la langue a complètement disparu, parce que les gens avaient honte de parler amazigh. Ils devaient être arabes. Les prénoms imazighen étaient même interdits », explique l’anthropologue à l’université Moulay Ismail de Meknès, Khalid Mouna.

Pour Mustapha Qadery, une minorité d’intellectuels a résisté à cette idéologie qu’il qualifie de « fascisante ». « Les gens ont commencé à s’organiser pour la défense des cultures populaires, comme on les appelait à la fin des années 60, avant que cela ne devienne dans les années 90, des revendications de l’identité amazighe », détaille-t-il.

Dialna - Amazigh
Yennayer avec le festival Tiflwine à Tiznit au Maroc, samedi 13 janvier 2024 © Sinan Benlakhdar (IG : Sinan_leptitmarocain)

Hors de question de parler de « minorités” d’ailleurs, pour l’historien. « Il faut comprendre que les Imazighen ne sont pas une minorité, contrairement à ce que l’on peut entendre. Ce sont des études coloniales qui les ont considérés comme ‘minorité’ numérique, ce qui est faux », déclare-t-il. « Le Maroc a été considéré comme un pays arabe par la France, notamment. Parce qu’on croit que ceux qui parlent le créole, la darija sont des arabes. Ce n’est bien entendu pas le cas », détaille-t-il. « Aujourd’hui on parle des Arabes en France, comme si les immigrés venaient d’Arabie. Ce n’est même pas un abus de langage mais une construction », déplore l’historien. « La France récolte ce qu’elle a semé. Elle a inventé les ‘Arabes’ en Afrique du Nord et elle en a hérité », explique-t-il.

D’ailleurs, le terme « Amazigh » a toujours été celui utilisé par les personnes issues de cette population, dans leur propre langue. Il signifie « Homme libre ». « C’est ainsi qu’ils se définissent dans leur propre langue et qu’ils demandent à être définis », explique Mustapha Qadery. 

« Le terme ‘Amazigh’ renvoie également à une zone géographique très vaste, ‘Tamzgha’, qui est la région originale du peuple amazigh », ajoute l’anthropologue Khalid Mouna. « C’est aussi un ancien espace culturel et géographique, dans lequel il y avait une circulation d’un savoir amazigh », poursuit-il.

Pour ce qui est du terme « berbère », il tend à être moins utilisé par ses diasporas à l’étranger, rejetant ainsi sa connotation négative et coloniale. « Pendant la période coloniale, le berbère représente une sous-catégorie culturelle. Il est synonyme de sauvage, de barbare », décrit Khalid Mouna. « Il est à noter que le terme apparaît aussi avec la ‘Barbarie’, qui désigne les côtes sud de la Méditerranée, à savoir l’Afrique du Nord », précise l’historien Mustapha Qadery. « On parle alors de côtes de Barbarie. Le terme est alors associé à la piraterie, dès le XVIe siècle, et ce jusqu’au XVIIe et XVIIIe », poursuit-il. D’ailleurs, il précise que le mot « berbère » n’existe pas dans la langue amazighe. « Même le dictionnaire français est perdu quand il traduit le mot ‘Maure’ pour renvoyer aux Arabes ou Berbères. Le ‘Maure’ renvoie à la Mauritanie, l’ancien nom du Maroc et d’une partie de l’Algérie », explique-t-il. « C’est le Mauritanien d’avant l’Islam ».

 
 
 
 
 
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La langue Amazighe au cœur des revendications

C’est au cours des années 70 et 80 que les revendications autour de cette identité s’organisent au sein d’un tissu associatif au Maroc. “Le changement a été progressif et était en lien avec la dynamique des revendications amazighes. La signature de la Charte relative à la langue et à la culture amazighe au Maroc, (Charte d’Agadir) en 1991, a constitué un acte fondateur dans l’histoire de l’amazighité dans le pays”, explique la sociologue Fadma Ait Mous.

“Cette Charte liste ces revendications amazighe dont, entre autres, une demande de création d’un institut de recherche visant à l’élaboration d’un système alphabétique, ainsi que le développement d’outils pédagogiques pour l’enseignement de la langue amazighe, appelée tamazight”, éclaircit-elle.

L’une des premières avancées majeures de cette reconnaissance reste le passage des journaux télévisés de la chaîne nationale (chaîne unique à l’époque) en langue tamazight, en 1994. “C’était la première fois qu’on entendait les différents accents de tamazight à la télévision marocaine. Il y avait une radio qui diffusait des programmes dans cette langue, mais elle était très difficile à capter. Là, il s’agissait de la télévision qui était présente dans tous les foyers”, raconte Mustapha Qadery. Les journaux télévisés sont alors présentés en arabe, français et espagnol, auxquelles se sont ajoutées les différentes variantes de la langue tamazight de la région du Souss, du Rif et du Maroc Central. 

Cette décision a fait suite à l’arrestation de militants Imazighen selon l’historien. “En 1994, à Errachidia (sud-est du Maroc), des militants d’une association amazighe, brandissant des banderoles en tifinagh (alphabet amazigh) sont arrêtés. Ils ont été rapidement graciés par la suite, par décision royale. Il a été vite ordonné que la télévision nationale commence à diffuser un bulletin d’information en langue amazighe”, raconte Mustapha Qadery.

La question amazighe est devenue essentiellement l’affaire des mouvements associatifs face au détachement des partis politiques.

Khalid Mouna, anthropologue et professeur à l’université de Meknès

“C’était une sorte de miracle pour les Marocains, de voir et d’entendre la langue tamazight à l’antenne d’une télévision qu’ils financent par l’argent public. Cela ne devrait pas être un miracle car les Marocains sont essentiellement amazigh”, poursuit l’historien.

D’ailleurs pour Mustapha Qadery, pas moins de la moitié de la population marocaine est amazighophone. “La seconde moitié de la population qui est darijaophone n’est pas mieux lotie car cette langue n’est pas enseignée à l’école. Personne n’a comme langue maternelle l’arabe constitutionnel au Maroc”, détaille l’historien. 

“Les élites intellectuelles ont considéré la langue arabe comme la leur, comme représentant une partie de la population, ce qui est faux. C’était une forme de schizophrénie de nos élites depuis les années 50 jusqu’à nos jours. Nous avons encore des résidus de ces idéologies-là, voulant nous faire croire que nous venons d’Arabie”, se défend-il.

Dialna - Amazigh
Tapis Imazighen, Essaouira, xxxx ©Nora Noor

En 2001, c’est l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) qui est créé, avec pour objectif annoncé de faire de la recherche autour de cette culture. “Le but premier était très noble”, assure l’anthropologue Khalid Mouna. « Mais, très rapidement, pour les institutions, c’est devenu l’image d’une politique folklorique du Maroc, dans laquelle rien ne se passe. C’est la raison même du statu quo sur la question amazighe”, dénonce-t-il. “Cet institut a été asphyxié et vidé de ses chercheurs”, poursuit-il. 

Pourtant, les avancées continuent et la langue amazigh devient langue officielle dans la Constitution en 2011, juste après ce qui a ironiquement été appelé les “Printemps arabes”. Ce n’est pour autant qu’en 2019 que la loi est réellement adoptée. “Nous avons en effet vu la langue amazighe entrer dans la Constitution, qui devient langue officielle aux côtés de la langue arabe”, explique Khalid Mouna.

“Néanmoins, il y a eu une fausse lecture politico-religieuse notamment par le parti islamiste au pouvoir, le PJD, malgré le fait que l’un des Premiers ministre Saad Dine El Otmani, soit lui-même amazighophone. Cela a été vu comme une possibilité d’ouverture vers la reconnaissance de la langue amazighe, mais rien n’a été fait”, détaille l’anthropologue. “La question amazighe est devenue essentiellement l’affaire des mouvements associatifs face au détachement des partis politiques”, poursuit-il.

On avait l’habitude d’entendre que ce n’était qu’une langue orale, qui ne s’écrit pas, tellement cet alphabet avait été effacé.

Khalid Mouna, anthropologue

Après l’adoption de cette loi, la langue amazigh et l’alphabet tifinagh qui sert à l’écrire fleurissent partout au Maroc dans les documents officiels, sur les panneaux de signalisation, les bâtiments publics. Cet alphabet, quasiment oublié par la population, redevient une composante de la culture marocaine. “De nombreux Imazighen sont pratiquement devenus analphabètes car il leur a fallu apprendre à lire et écrire la langue avec l’alphabet tifinagh”, raconte Khalid Mouna.

Dialna - Amazigh
L’alphabet tifinagh accompagne le français et l’arabe sur les bâtiments publics au Maroc, Essaouira, 2022 ©Habiba Bigdade

« On avait l’habitude d’entendre que ce n’était qu’une langue orale, qui ne s’écrit pas, tellement cet alphabet avait été effacé”, poursuit-il. Cette apparition publique de l’alphabet tifinagh a de quoi ravir les militants pour une meilleure reconnaissance de cette culture. “Bien sûr, sur le plan symbolique c’est très fort. Les ‘idéologisés’ qui méprisaient cette culture, sa langue, son histoire font face à une réalité très forte. Voir cet alphabet sur les façades officielles des ministères, des administrations, des écoles relève presque du miracle tant l’érosion était très avancée, à cause d’un enseignement très marqué idéologiquement. On nous enseignait des ‘Nos ancêtres les Arabes’, après ‘Nos ancêtres les Gaulois’. Et ce, malgré l’indépendance”, détaille Mustapha Qadery. 

Nous avons été sortis de notre histoire et on en retrouve le chemin.

Mustapha Qadery, historien

Alors, après ce nouveau jour férié en janvier pour célébrer Yennayer, où en est- on de cette reconnaissance ? “Comme dit l’adage amazigh, ‘Goutte par goutte, le fleuve retrouve sa voie’. Nous avons été sortis de notre histoire et on en retrouve le chemin, en somme. C’est une histoire tellement longue et riche que l’on s’y perd parfois, que l’on ignore encore”, déplore l’historien.

De nouvelles revendications économiques et sociales

Selon Khalid Mouna, les revendications politiques des militants imazighen au Maroc mais aussi dans toute la région ont évolué et changé de cible. La reconnaissance culturelle étant sur la bonne voie, ils se préoccupent maintenant de problèmes plus globaux. “A partir de 2004, quelque chose va changer, qui va se confirmer après 2011 avec le ‘Printemps arabe’. Ces associations vont plutôt investir des revendications économiques et sociales à travers la culture amazighe”, explique-t-il.

“Ils vont demander plus de démocratisation, plus de partage de pouvoir, par exemple”, poursuit l’anthropologue. En plus de ces changements de revendications, la nature même du mouvement change et passe du milieu urbain culturel et intellectuel au milieu rural et populaire, dès le milieu des années 2000, selon Khalid Mouna. Le mouvement populaire du Rif (ou Hirak) en 2016 était largement soutenu par ces militants, nous explique-t-il.

“Le mouvement du Rif était en quelque sorte tentaculaire avec plusieurs connexions avec le monde rural qui donnaient force aux revendications urbaines, concernant notamment la paupérisation de la population, une certaine prise de conscience politique vers une société démocratique”, continue l’anthropologue. “Les symboles utilisés par les manifestants étaient clairement issus de la tradition tribale amazighe”, conclut-il.

 

Photo en Une : Fatima Tabaamrant, sur la scène de l’Alliance Française, à Paris, le 5 juin 2023
© Nadia Bouchenni

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