[Portrait] Raïs Mbarek Aïssar, l’histoire d’un Raïs pas comme les autres

Grand poète et chanteur amazigh, chleuh plus précisément, Raïs Mbarek Aïssar est un des maîtres de l’art oratoire du sud marocain. Fier défenseur des combats de la tribu Aït Baamrane face aux colonisateurs notamment espagnols, Raïs Mbarek Aïssar n’a eu de cesse de célébrer cet héritage et cette histoire, à travers son art. Portrait

Patrimoine menacé d’extinction selon l’Unesco, la poésie amazighe du Souss au Maroc résiste et tente de survivre. Aucun.e descendant.e de cette culture ne peut manquer d’entendre une chanson en tachlehite récitée par un.e Rais.a. Cet art oratoire raconte notre histoire, basée sur un cycle rythmique de cinq temps (soit 5/8) au son du bendir et du ribab (magnifique instrument monocorde propre à la musique amazighe du Souss).

Raïs Mbarek Aïssar est l’homme qui a déposé sa signature vocale sur ces rythmes. Ce représentant de la chanson amazighe a chanté pendant près de quatre décennies de sa vie et exclusivement en Chleuh, sur la terre de ses ancêtres. Un poète, un danseur, un chanteur, un leader, un nerveux… Présentation du grand Raïs Mbarek Aïssar.

Mbarek Hadouch naît en 1952 à Aïda Ida Ouissar. C’est de là que lui est venu son nom de scène. À 17 ans, il commence sa carrière de raïs en reprenant les classiques de la poésie de sa contrée: Lhaj Hamed Amentag, Mohamed Amensir et Mohamed Boulhawa, qui fut son mentor.

En 1976, il rencontre l’artiste qui va changer sa vie, Raïs Mohamed Ou Brahim Ou Tassurt. Mbarek est tellement séduit par l’artiste, en visite dans son village, qu’il ose lui demander d’être son apprenti. C’est ainsi que Mbarek Aïssar chante avec Raïs Mohamed Ou Brahim Ou Tassurt dans tout le sud-ouest marocain, en Chleuh. C’est en découvrant Marrakech qu’il prend le risque de lancer son groupe, malgré son jeune âge. Avant de s’installer sur la place Jaam El fnaa, il chausse des lunettes de soleil pour cacher sa malvoyance. Elles deviennent sa signature scènique. Cette place, sa présence et sa voix, tous ces ingrédients captivent la foule. Le succès est immédiat et le public en redemande. Il fidélise un public exigeant, qui veut entendre sa voix si particulière.

Il n’y a pas un spectacle, une chanson ou un album où Raïs Mbarek Aïssar ne rende pas un vibrant hommage aux combattants de la tribu des Aït Baamrane. Dès qu’il prenait son micro, c’était pour dédier une chanson à ce peuple de guerriers/èrres. A chaque prestation, c’est l’hystérie ! Les gens lui accrochaient des billets dans le col pour le remercier. La présence de cet artiste est électrique ! Il chante, secoue la tête et danse en criant son admiration pour Aït Baamrane. 100% amazigh, il tape sur le sol à chaque fois qu’il entame une chanson pour dire que nous sommes là !

Aïssar finit par enregistrer des vinyles sur le célèbre label Ifriquia et enregistre des kilomètres de bandes sur Radio Amazigh. Ses thèmes de prédilection : les difficultés de la vie, la misère, la tristesse de la solitude et la colonisation. Toute une génération d’immigrés chleuhs vivant en Europe se retrouvait autour des vidéos avec un plateau de thé, prête à écouter religieusement Raïs Mbarek Aïssar. Et il se passait vraiment quelque chose lorsque l’on regardait ces cassettes VHS.

Les productions Boussiphone ont donné une portée incroyable à Raïs Mbarek Aïssar et à la tradition de cet art, car une nouvelle génération d’Imazighen a pu témoigner de l’émotion et de leurs parents face à cet art ancestral, et cela n’a pas de prix ! Ce public de Chleuhs de la première génération achetait des vinyles, des K7 et des VHS. Il est aujourd’hui possible de faire perdurer un art musical séculaire.

A la fin de sa carrière, Mbarek Aïssar a beaucoup chanté avec son fils. Il s’est éteint le 31 mai 2009, rattrapé par la maladie. Malgré tous les spectacles, les K7 et les disques vendus, Raïs Mbarek Aïssar a achevé sa vie dans la précarité, laissant derrière lui quelques joyaux de la musique chleuh : Alf Rial Igan Moran, Samaha, Fkas aoudi lakhbar.

De nombreux Rways tels que Lahoucine Marrakchi, Mina Tiwirit et Hassan Aresmouk se revendiquent comme les légataires directs de Raïs Mbarek Aïssar.

Cette voix éraillée restera à jamais sur les ondes, cette énergie terrienne sera toujours présente dans nos corps, ces textes poignants perdureront à travers le temps. Il a si bien chanté la résistance et l’amour. Nous lui dédions toute notre affection, et nous résisterons à l’effacement culturel.

« DIS A CELUI QUI NE SAIT PAS PARLER TAMAZIGHT, QU’IL EST INCAPABLE D’EXPRIMER DES MOTS D’AMOUR »

Poésie Orale amazighe.

Merci à Brahim El Mazned pour son livre anthologie des Rrways, un objet magnifique avec des informations précieuses. Cet ouvrage se présente sous la forme d’un coffret de 10 albums réunissant une sélection de 100 titres enregistrés par plus de 80 artistes, accompagnés de 3 livrets de 120 pages. en 2020,  et récompensée par l’Académie Charles Cros en 2021 par le Prix Coup de cœur Musiques du monde »; Ainsi que le Beau-livre “L’art des Rrways” qui a été publié en juillet 2022

Merci à Toukadime pour l’accès à ces informations et l’écoute de certains morceaux du Raïs Mbarek Aïssar.