Farida Khelfa, une jeune lyonnaise d’origine algérienne de 16 ans, ne veut plus être maltraitée par ses parents. Elle quitte la banlieue lyonnaise, arrête un camion en stop et part vers Paris. Elle comprendra vite que la belle vie se concentre la nuit dans la fameuse boite « Le palace ». Aujourd’hui, ironie du sort ,elle occupe un vrai palace du coté de place Vendôme !
Là -bas, elle rencontre Christian Louboutin, encore lycéen. Dans ce monde de blancs riches, tous les deux seront connectés par leur mélanine, c’est bien connu on va vers ce qui nous ressemble. Pas de carnet d’adresse, ni d’argent en poche, mais une furieuse envie de vivre qui les réunit au point de brûler la vie par les deux bouts de la chandelle. Aujourd’hui encore, ils collaborent ensemble sur des campagnes de chaussures Louboutin.
Le célèbre couple de photographes Pierre & Gilles, remarque cette énergie brune et l’héberge dans leur appartement parisien. Eux, deux provinciaux qui sont aussi partis à la conquête de la capitale. De cette époque elle dira : » Les bains douches, le palace c’étaient des lieux de rencontres et de fêtes. Loulou De la Falaise et Yves Saint Laurent étaient là, ainsi que des maghrébins de banlieues. On pouvait danser ensemble, il n’y avait pas de discrimination sociale, le temps d’une nuit parisienne « .
Elle arrive avec ses cheveux bouclé, ses yeux noirs, une beauté volcanique que l’on avait pas l’habitude de médiatiser en France. Cette photo de Pierre & Gilles montre bien ses débuts de modèle, elle a quelque chose du chat sauvage, de brut, de rare…
Et même, poser pour ses amis photographes, n’a pas été un exercice facile, comme elle le souligne très bien : « Les nord Africains de ma génération, comprennent mon rapport à l’image. Je viens d’une culture où l’on ne se photographie pas, on n’accroche pas des portraits. S’exhiber photographiquement, c’était vraiment vu comme une forme d’impudeur à l’époque. »
Jean Paul Gauthier remarque la brune longiligne au milieu de cette piste, et la fait défiler. Sa carrière de mannequin est lancée. Elle deviendra par la même occasion la muse de Jean Paul Goude (rien que ça) et décrira sa rencontre avec Azzedine Alaïa comme un coup de foudre amicale !
A cette époque à eux deux ils représentent les seules personnes originaires du Maghreb dans la mode, on les appelait « le couple arabe de la mode. »
Ce qui force le respect avec Farida Khelfa c’est qu’elle n’a rien changé pour réussir ! RIEN ! On la prenait pour une brésilienne, elle répondait « non je suis algérienne », elle ne s’est pas fait passer pour une autre en changeant de nom, elle n’a pas essayé de modeler son visage à travers le bistouri de la chirurgie esthétique pour avoir un nez à la Nicole Kidman, elle n’a pas lissé son apparence pour obtenir plus de contrats… Quand on n’oublie pas qui l’on est et d’où l’on vient, ça paie toujours ! Jean-Paul Goude dira de ses boucles, « tes cheveux c’est de l’art, c’est de la calligraphie arabe ! » et il réalisera ce portrait d’elle ci dessous.
Elle réussit à passer devant l’objectif du germanique Helmut Newton, en tailleur et montre une image très fortes des femmes originaires du Maghreb, en posant de manière verticale, avec des tailleurs très structurés. Ce genre de portraits est important car pour elle, nous sommes toujours représentées comme des victimes, mais nous sommes les héroïnes de nos vies !
Quand on n’est pas issu de la bourgeoisie et que l’on n’a pas les cartes en mains, il faut se battre tout le temps, comprendre les codes de la haute société de la mode et savoir aussi observer pour réussir dans cet univers surréaliste. En regardant le parcours de Farida Khelfa on se dit c’est un musée, pas une vie qu’elle a eu ! Des gens ont fait l’ENA, Sciences politiques ou Polytechnique, Farida, elle, a eu la meilleure école au monde, elle a été en contact avec de véritables génies, des créateurs comme il n’en existe plus et un univers d’art, de pouvoir et d’intelligence s’est ouvert à elle ! Elle a même assisté au premier concert de PRINCE !!!
En tant que portraitiste, quand je vois le visage de Farida Khelfa je me dis : « Pour moi c’est ça la vrai beauté, ce coté ténébreux que j’affectionne, cette force dans le regard noir et ces cheveux indomptables ! » Cette gamine de 16 ans qui danse en retroussant son jeans jusqu’au genoux, je la trouve fascinante, hypnotisante, superbe de vie !