Btihal Remli est une artiste visuelle qui a su décrypter une facette d’un monde nord africain, encore très peu connu du grand public. Il s’agit du monde des Djinn, de la sorcellerie et de la voyance. Préparez-vous à vibrer en lisant cet article…
Cet ouvrage, »le journal de bord djinn », constitue mon enquête personnelle sur ce sujet au Maroc. Mon objectif est de révéler une culture éloignée des clichés doux et orientaux répandus par la presse et les agences de voyages, et de montrer une facette d’un pays dont tout le monde parle, mais que personne n’ose montrer, celle de la sorcellerie, des rituels, des prières et du soi-disant djinn. C’est un Maroc aux visages rugueux, aux paysages lunaires, aux traditions mystiques et aux secrets mystérieux. Un pays qui sent l’encens, les bougies, panse ses blessures, trouve l’amour, protège du mal….
À travers ma double culture, je vous invite à me suivre dans un voyage de poésie, de force, de peur, de vérité et mystique.
Voilà comment Btihal Remli présente son futur livre à paraître. Si le monde entier a baptisé Kate Bush « la sorcière du son », alors qu’il s’apprête à nommer Btihal Remli « la sorcière de l’image ». Cette germano-marocaine née à Cologne et originaire d’Oujda a eu une formation d’architecte aux beaux arts de Vienne. Elle s’est ensuite lancée dans les arts visuels, en gagnant notamment le prestigieux prix Magnum en 2017 par la « Fondation Prince Clause & AFAC », qui lui a alloué une bourse pour la photographie.
Pour ce projet titanesque sur la sorcellerie et les superstitions au Maroc, « sujet ô combien sensible et inconnu du grand public », Btihal a passé plusieurs mois à sillonner les 12 régions du royaume. Elle entame des recherches auprès d’herboristes, voyantes, guérisseurs, possédé.es et scientifiques. Elle pose à froid tous les ingrédients sur le sujet de la sorcellerie, comme on dessine le plan d’une maison; en illustrant son travail avec des dessins, des textes et des photos qui touchent directement nos cinq sens. On pourrait croire que son travail est un joyeux bazar, et pourtant quand on y regarde de plus près il est très fourni et structuré. Une fois les recherches et photos réalisées, Btihal Remli a saupoudré de la magie et de la poésie dans ses retouches. Elle a surtout réussi à rendre l’invisible, visible.
Dialna : Quelle est ta formation professionnelle et ton parcours artistique? Btihal Remli : Je suis née et j’ai grandi en Allemagne, dans un esprit et une culture marocaine. Je travaille en tant que photographe, mais je n’ai pas eu de formation professionnelle en photographie. Cependant, j’ai étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, où j’ai obtenu un Master en architecture.
D : Tes origines marocaines ont une place incroyable dans ton travail, pourquoi ce besoin de revenir a la source ?
B.R : J’ai grandi avec beaucoup de questions, pour lesquelles il n’y avait pas de place dans la société allemande. En conséquence, j’ai développé l’envie de rechercher et de comprendre ma propre culture. J’ai commencé à chercher des réponses au Maroc. Sur la base de mes expériences et de mes questions, j’adopte une approche très personnelle et à travers ma méthode, je peux explorer ces sujets d’une manière qui m’aide non seulement à comprendre, mais aussi à partager mes découvertes avec d’autres situations similaires, qui partagent les mêmes questions.
D : Tu travailles sur un sujet très sensible, à savoir la sorcellerie et les Djinn. Peux-tu nous en dire plus sur les Djinns? Que sont-ils ?
B.R. : Eh bien… Les Djinn sont des créatures surnaturelles. Alors que l’on dit que les anges sont faits de lumière, le Coran dit que les djinns sortent d’un feu sans fumée. Ils sont habituellement invisibles pour les êtres humains, alors, les sorcières découpent la pupille d’un chat, la mélangent avec du kajal et la mettent sur leurs yeux, pour les voir. Sans oublier qu’ils deviennent également visibles pour ceux qui sont possédés! Au Maroc, on suppose que les djinns se trouvent dans des espaces humides et sales, c’est-à-dire impurs.
D : Comment t’es venue l’idée de ce projet ?
B.R. : Pour moi, l’histoire du djinn a commencé dans mon enfance, derrière une armoire de notre appartement en Allemagne. Nos parents, tous deux nés et élevés au Maroc, essayaient de nous éduquer en tant que musulmans. Ils ont essayé de nous inculquer leur connaissance de l’Islam – de ce qui est juste ou faux, bon ou mauvais. Cela signifiait également que nous devions croire, non seulement en Allah, mais également en d’autres créatures que notre Dieu avait créées, y compris les djinn. Quand mon frère, ma soeur et moi nous conduisions mal, mes parents nous disaient que les djinns viendraient nous chercher. Il n’y a jamais eu de moment où l’existence du djinn a été niée. Chaque été, lorsque notre famille rentrait au Maroc, ces histoires prenaient encore plus d’importance, car les djinns faisaient et font toujours partie de la réalité des gens.
D : Quels sont les artistes qui t’ont influencée ?
B.R. : Pour être honnête, je tire plus mon inspiration des textes, comme ceux de John Berger par exemple. Parfois, je regarde aussi des artistes spécifiques, comme Taryn Simon ou Akram Zaatari.
D : Avec ce travail si particulier sur la sorcellerie, tu dois rencontrer de sacrés personnages ?
B.R. : Oui, j’ai rencontré des sorciers, des magiciens, des herboristes, des diseuses de bonne aventure et je me sentais constamment comme dans un jeu. J’avais aussi beaucoup peur et il était presque impossible pour moi de prendre des photos d’eux, alors je devais commencer à trouver différentes façons de représenter l’invisible. De plus, les femmes qui ont utilisé la sorcellerie dans leur vie ne pourraient jamais me montrer leur visage sur une photo, car nous parlons toujours d’un pays où la majorité de la population suit les règles de l’Islam au quotidien, et pour qui la sorcellerie est une pratique que la société entière punie. Donc, dans un sens, ils-elles m’ont inspirée, car ils_elles ne m’ont pas laissée travailler comme j’ai l’habitude de procéder ; ce qui m’a fait sortir de ma zone de confort et m’a conduit à une nouvelle façon de raconter une histoire.
D : Dernièrement tu as écrit sur Facebook un texte très colérique sur l’utilisation de tes images et ton travail sans ton consentement par la presse. Peux tu nous en dire plus ?
B.R. : J’ai reçu l’email d’un magazine en ligne, qui me disait vouloir publier un article sur les problèmes de santé liés aux métaux au Moyen-Orient. J’étais curieuse de savoir qui ils étaient, et ce qu’ils faisaient, alors j’ai cliqué sur leur site Web. J’y ai vu le titre Photographes du Moyen-Orient sensibilisés à la santé mentale au Moyen-Orient. Sous ce titre, imaginez, il y avait une photo de ma tante, pendant sa prière. J’ai été profondément choquée quand j’ai vu cela ,et encore plus quand j’ai lu le texte. Mon travail a été volé via des captures d’écran, sorti de son contexte et publié sans mon consentement. Il n’est pas rare que des histoires de photographes africains soient prises et déformées par des publications occidentales, de sorte qu’elles s’intègrent dans leur récit. Et je crois vraiment que nous devons commencer à lutter contre cela, car ce sont nos histoires. (Le site a retiré l’article depuis, ndlr)
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D : Les femmes marocaines ont une place importante dans ton travail et tu les valorises avec talent. Penses-tu que ces femmes ont été photographiées à leur juste valeur, jusqu’à présent ?
B.R. : Pour moi, les femmes marocaines sont extrêmement fortes, mais malheureusement, je les vois souvent représentées comme des femmes réprimées, vivant dans des conditions très dures et sous le pouvoir des hommes. Et c’est en partie vrai, mais on oublie souvent qu’elles sont bien plus que cela. Elles sont puissantes, elles ont leur propre culture. On oublie aussi qu’elles sont en réalité la plus forte entité de la structure familiale. Et pour être honnête, moi-même, je dois vivre sous ces préjugés. Il n’est pas rare que des citoyens de pays européens me demandent, si je cache des choses à mes parents ou pourquoi je ne porte pas de voile… Tout ces clichés viennent d’une fausse représentation de ces femmes .
D : Considères-tu ton travail comme féministe ?
B.R. : Et bien à toi de me le dire 🙂
D : Quels-sont tes projets à venir ?
B.R. : Actuellement, j’essaie encore de terminer mon travail sur la sorcellerie, qui arrive presque à sa fin. Après cela, je veux me concentrer davantage sur l’histoire migratoire de mes parents qui se sont rendus en Allemagne en tant que travailleurs immigrés.
D : Si tu étais une ville ?
B.R. : Lisbonne
D : Si tu étais un plat ?
B.R. : Des profiteroles 🙂
D : Si tu étais un film ?
B.R. : Chungkind Express
D : Si tu étais une chanson ?
B.R. : Fear de Kendrick Lamar
Quand on a la chance de côtoyer une telle personne comme Btihal Remli, on se doit de la présenter au monde et d’applaudir son courage d’aborder un tel sujet qui a touché l’imaginaire et les vies de millions de nord africains. Btihal Remli est l’incarnation même de notre mantra Pour nous et par nous, une femme verticale qui se bat pour que notre art et notre culture ne soient pas récupérés comme un vulgaire folklore, mais considérés comme une performance artistique à part entière. 5 sur toi Btihal <3