Magda El Haitem est une avocate, spécialiste de la défense des droits humains, auprès des plus démunis, notamment les personnes étrangères en France. Combattante, engagée, la jeune femme n’hésite pas à donner des conseils juridiques basiques sur ses réseaux sociaux. Rencontre avec Maître El Haitem.
Si Magda El Haitem devait être un mot, elle serait l’incarnation même de l’élégance, pas seulement dans ses tenues, mais dans ses mots, son attitude et son regard bienveillant qu’elle pose sur vous. Cette avocate qui défends les droits humais avec ferveur, organise son emploi du temps comme une marathonienne et ne compte rien lâcher au pays « des droits humains ». Oui il y a beaucoup d’élégance et de brillance chez Magda, lisez cette interview et vous serez conquis.e par tant d’authenticité.
Dialna : Peux-tu te présenter à nos lecteurs/trices?
Magda El Haitem : Je suis née en France d’un père marocain et d’une mère algérienne. J’ai grandi dans les Yvelines où j’ai toujours été une très bonne élève à l’école et une grosse bosseuse. Mes parents m’ont toujours beaucoup poussée à poursuivre mes études et je leur en suis extrêmement reconnaissante aujourd’hui. Après un BAC scientifique j’ai fait 4 ans de droit à Paris. Je suis ensuite partie à Aix-en-Provence pour mon Master 2 en droit public et en droit international.
D : Pourquoi le droit comme filière professionnel ?
M.E.H. : À 18 ans, je ne savais pas encore exactement ce que je voulais faire. Je savais que je voulais travailler plus tard dans les organisations internationales et l’humanitaires. J’ai rapidement compris que c’était par le droit international que j’allais y arriver. En tant que scientifique, le droit m’a toujours permis de travailler de manière très organisée et très logique. J’ai toujours pensé que les études de droit, c’était quitte ou double, soit on adore ça et on sait rapidement qu’on ne veut rien faire d’autre, soit on déteste ça et on sait rapidement qu’on doit changer de voie. J’ai adoré ça et je n’ai jamais regretté.
D : As-tu eu des réticences avant de te lancer dans ce cursus universitaire si compétitif ?
M.E.H. : Lorsque j’ai débuté mes études, je n’ai pas eu de réticences particulières. Parce que j’ai toujours été une grande travailleuse et que je savais que j’étais capable d’endurer des études longues et compliquées. Par contre, au moment de rentrer dans le monde du travail, j’ai vite compris qu’il fallait que je m’en sorte par moi-même.
D : Cette spécialisation en droit international et droits humains t’apporte quoi humainement ?
M.E.H. : Pendant nos études, on nous dit souvent que ce sont des filières « qui ne mènent à rien ». Sous-entendu que nous ne trouverons jamais de travail dans ces domaines. Finalement, je me suis obstinée et je n’ai écouté personne, comme à mon habitude. C’est une spécialisation qui m’a permis de voir le monde sous un autre angle. Mais ça m’a aussi permis de réaliser à quel point les conventions internationales et le droit international en général n’étaient pas absolus.
D : Quand on voit la cartographie de ta vie, c’est assez impressionnant ce parcours. Tu as vécu, étudié et travaillé à Beyrouth, Tunis, Londres, Paris. D’ailleurs, lors d’une de nos conversations tu m’as dit : « ma vie en Tunisie était douce et agréable ». Pourquoi avoir quitté cette douceur de vivre méditerranéenne pour le gris parisien ?
M.E.H. : C’est une question que je me pose très souvent, surtout pendant le mois de février pendant lequel je me demande souvent ce que je fais à Paris. Blague à part, mes années en Tunisie m’ont permis de me former et de grandir, tout en travaillant sur des projets passionnants. J’ai travaillé sur un projet relatif à la justice transitionnelle qui m’a passionnée. J’ai notamment travaillé avec des victimes directes ou indirectes de torture ou de disparitions forcées qui demandaient réparation. Néanmoins, après plusieurs années, j’ai senti que j’avais besoin de me rapprocher des victimes en devenant leur avocate. J’avais besoin de pouvoir les défendre moi-même. J’ai donc ensuite passé le barreau. Je n’étais pas encore prête à rentrer en France. J’ai donc tout d’abord exercé à Londres pendant 2 ans sur des dossiers internationaux. Puis l’appel de la France est arrivé. Cela faisait près de 10 ans que j’étais partie, il fallait donc que je rentre, pour me rapprocher de ma famille tout d’abord, mais aussi pour me stabiliser. Donc je suis rentrée en France avec un gros bagage international, ce qui me permet aussi d’exerce mon métier d’avocate différemment !
En tant que femme racisée, c’est aussi un positionnement important de se placer au cœur de la capitale, pour y fonder son cabinet.
Magda El Haitem, avocate au barreau de Paris
D : Peux-tu nous raconter tes sensations et ton état d’esprit quand tu as prêté serment ?
M.E.H. : J’étais fière. Et ma famille aussi. Je me souviens encore de ma mère qui m’a attrapée la main juste avant d’entrer dans la salle et que je ne voulais plus lâcher. C’était pour m’envoyer toute sa force et pour me montrer à quel point elle était fière de moi. Puis le regard ému de mon père m’a achevée. Ce jour est gravé à vie dans l’esprit de tout.e avocat.e, parce qu’on y pense pendant des années, parce que c’est un objectif, mais aussi parce que c’est le début d’une grande aventure. On en ressort fier.e mais on sait qu’une montagne encore plus impressionnante nous attend.
D : Tu as ouvert ton cabinet au coeur de Paris. Pourquoi ce choix ?
M.E.H. : Je voulais que mon cabinet me ressemble. Parisienne de cœur et accessible à tou.tes. Le positionnement d’un cabinet est extrêmement important lorsque l’on construit sa clientèle. Châtelet est un quartier historique, au centre de Paris. En tant que femme racisée, c’est aussi un positionnement important de se placer au cœur de la capitale, pour y fonder son cabinet.
D : Quand nous avons réalisé notre séance photo, nous sommes parties dans le quartier Cité, lieu symbolique et fort de la justice française. Comment te sens-tu quand tu vas plaider sur place ?
M.E.H. : Ce lieu est un lieu hautement symbolique. C’est toujours très impressionnant d’y plaider parce que les salles sont incroyablement belles, ornées de dorures et de peintures aux plafonds. C’est un lieu magistral qui donne aussi un poids important aux décisions qui y sont rendues. Mais avec l’expérience, on s’y sent de plus en plus chez soi. On en connait les coins et les recoins et ça nous permet d’appréhender le lieu et de s’y sentir légitimes. C’est ce qui nous donne de la force.
D : Quel est ton principal combat sur le plan juridique ?
M.E.H. : Plus j’évolue, plus j’ai de combats. Je dirais que celui qui m’a toujours animée est celui du combat contre les discriminations. Je crois qu’il englobe tellement de domaines que c’est celui qui restera le centre de mon exercice pour de nombreuses années encore.
D : On parle rarement de la violence administrative. Est-ce que lorsqu’on l’on connait ses droits, on peut éviter ces violences, ou la machine est tellement énorme en face que l’on est obligé d’être impacté ?
M.E.H. : La violence administrative est un sujet important et trop peu pris en compte. Lorsque l’on connait ses droits, ceci peut nous éviter de faire face à certaines situations. Néanmoins, même lorsque l’on est tout à fait au fait de ce qui est légal ou de ce qui ne l’est pas, le système est toujours aussi violent.
Il existe dans situations dans lesquels des étrangers qui sont présents sur le sol français depuis plus de 20 ans doivent demander le renouvellement de leur titre de séjour tous les ans, avec l’inquiétude constante de se voir notifier une décision de refus.
Magda El Haitem, avocate au barreau de Paris
D : Pourquoi les personnes étrangères sont plus fragilisées face à ce système juridique français?
M.E.H. : Les personnes étrangères ont des droits limités par nature. Contrairement à ce que l’on pense, beaucoup d’étrangers en situation régulière détenteurs d’un récépissé de titre de séjour n’ont pas le droit de travailler car la Préfecture ne leur accorde pas ce droit. Ceci les place dans des situations d’extrême précarité. Il existe dans situations dans lesquels des étrangers qui sont présents sur le sol français depuis plus de 20 ans doivent demander le renouvellement de leur titre de séjour tous les ans, avec l’inquiétude constante de se voir notifier une décision de refus. Cette insécurité juridique les place dans une situation de grande fragilité dans un système juridique qui a été construit contre eux. Ceci signifie qu’un étranger en France, en pratique, ne bénéficie pas des droits les plus simples tel qu’un arrêt maladie longue durée, de s’arrêter en cas de burn out ou encore une démission à la suite d’un harcèlement au travail, de peur de se voir refuser le renouvellement de leur titre de séjour. Ils deviendraient ainsi « une charge » pour la société, ce qui va totalement à l’encontre des principes du système actuel.
D : Un conseil pour que les gens non initiés s’intéressent au droit ? Comment faire pour comprendre les textes ?
M.E.H. : Aller sur les réseaux sociaux et sur les sites internet d’avocats qui publient des articles intéressants sur des questions de base. Sinon, il est possible de consulter un.e avocat.e en consultation gratuite en maison du droit ou en mairie. Est ce que le droit français continue de servir un système patriarcal ou on a fait des progrès (vue le garde des sceaux que l’on a…) ? Il y a parfois de grandes disparités entre la loi, l’esprit de la loi et la mise en application de la loi. Le droit avance parfois, mais il faut que la société suive.
D : En tant qu’avocate, quels sont tes projets ?
M.E.H. : Mon projet est d’agrandir mon cabinet et de recruter une équipe avec laquelle je pourrai construire un projet commun. Mon deuxième objectif est d’ouvrir mon cabinet à l’international. J’ai toujours 10 idées en même temps. Mon esprit fuse, mais il faut que je trouve le temps et le bon moment pour mettre ces idées à exécution.
D : Est ce que tu pourrais animer des ateliers autour du droit, pour vulgariser ce domaine ?
M.E.H. : Je suis déjà en lien avec des associations avec qui je le fais. Je donne aussi des formations sur des domaines variés, c’est dans l’ADN du cabinet !
D : Un conseil pour nos lectrices/teurs concernant le droit ?
M.E.H. : Lisez bien entre les lignes d’un article avant d’en demander l’application. Demandez-vous pourquoi il est écrit « et » et non pas « ou ».
D : Si tu étais une ville, un pays, un plat, un film ?
M.E.H. : Une ville – Londres
Un plat – Le zaalouk de mon père
Un film – Billy Elliot pour l’amour de la danse classique
Merci pour ce bel entretien, c’est grâce à des personnalités comme Magda que les véritables changements s’opèrent dans nos sociétés. Et si Dialna existe c’est pour mettre à l’honneur des femmes comme elle qui ont des ressources incroyables et des qualités telles que l’endurance, la connaissance, la bienveillance et l’humilité. Bénie soit votre route chère Magda !