L’équipe du Maroc a fini 4e de la Coupe du monde 2022, au Qatar. Une première pour les Lions de l’Atlas, mais aussi pour l’Afrique, voire le monde arabe. Le sélectionneur, Walid Regragui, et les joueurs ont offert à leurs supporters et au reste du monde un superbe spectacle sportif, mais aussi et surtout une joie unique, collective, dans l’union. Dialna revient sur cette expérience extraordinaire, dans un billet d’humeur à deux voix.
Historique. C’est le mot qui revient sur presque toutes les lèvres. L’exploit de l’équipe du Maroc d’aller jusqu’en demi-finale de Coupe du monde, en ayant éliminé des grandes nations est littéralement historique. Du jamais vu. Et comme le football est l’une des activités qui anime le plus le peuple, les Marocains du monde entier ont vécu cette euphorie tous ensemble, soutenus par une bonne partie du monde. Sauf en France. Le traitement notamment médiatique de cette liesse populaire nous a laissé un goût amer qui n’entachera pas pour autant cette joie.
Nora : La Coupe du monde est finie. Je ne sais pas pour toi, mais j’ai vécu cette aventure marocaine étape par étape. J’étais contente au début, puis le match contre l’Espagne m’a fait exploser de joie pour une équipe, comme jamais ! J’ai tout d’un coup compris ce qu’éprouvait un mec blanc qui a du succès en permanence ! La victoire fait bomber le torse et elle est addictive…
Nadia : Moi j’étais prête depuis longtemps même si je ne m’attendais pas à ce parcours ! Depuis le tirage au sort et l’annonce du groupe de la mort, j’étais stressée. Pour le 1er tour, un match était le plus important pour moi, celui contre la Belgique. Je suis allée le voir à Bruxelles avec la communauté marocaine là-bas. Avec cette victoire, on a goûté à quelque chose de presque inédit, en tout cas très rare, la joie de la victoire, de l’exploit et surtout la confiance en l’équipe pour de beaux résultats. C’était fantastique !
Ensuite, à chaque match j’étais toujours plus en apnée, j’ai dû faire quelques AVC et arrêts cardiaques au fil des matchs ! Mais la joie de la victoire était à chaque fois plus forte, plus belle ! Surtout en allant fêter ça dans la rue, en vivant les matchs en groupe ! A chaque fois, me revenait en tête chaque élimination de l’équipe du Maroc dans les compétitions internationales précédentes. Je me souviens qu’on se disait tout le temps “On est donc condamnés à ne jamais être heureux nous ?”, un peu en rigolant, mais avec un fond de vrai tout de même. Il nous manquait toujours un petit quelque chose, la dernière clé pour y arriver….
Depuis les débuts de ma passion pour le football, lors de mon adolescence, j’en ai vu des victoires, défaites d’équipes que je soutenais. Les Lions de l’Atlas m’ont parfois déçue, mais malgré le manque de réussite, on a toujours vibré d’une manière bien particulière en les voyant jouer. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser aux générations précédentes de joueurs qui avaient un talent fou mais qui n’ont pas connu ces victoires. Ce qui s’est passé pendant cette Coupe du monde avec l’équipe du Maroc, c’était inédit dans la joie qu’on a tous ressenti.
Nora : C’est vrai ! Je n’ai, pour ma part, jamais ressenti cet engouement pour une équipe de foot, même en 98 quand la France avait gagné 3-0 contre le Brésil. Pourtant Zinedine Zidane c’est un ancien gamin des quartiers nord de Marseille qui a posé la coupe du monde sur la table de ce pays et le voir heureux m’a rendu heureuse mais sans plus… En fait, j’ai toujours eu un problème avec le triomphalisme français. Pour moi la meilleure équipe de France, c’était 2006, j’ai adoré la dynamique engendrée par Zidane, pas Domenech, entendons nous. Mais mon coeur n’a pas vibré comme il a vibré pour ces drari marocains. Et toi ?
Nadia : Ah la génération 98/2000, c’était la meilleure équipe de France, et la meilleure période pour nous en termes de représentation, reconnaissance. J’ai adoré cette équipe, j’étais fière de leurs victoires et titres. Mais la parenthèse enchantée a pris fin très rapidement dans ce pays. La norme où on est discriminés, insultés a repris cours.
Là, le Maroc, comme toute équipe africaine, avait le statut d’outsider inattendu, et on aime toujours quand les outsiders s’imposent. Je pense que c’est ce qui a fait qu’une bonne partie du monde a soutenu cette équipe. Le Maroc a brillé dans le monde entier. On avait déjà 1001 raisons d’être fier.e.s d’être marocains de manière générale, mais là, le monde entier était derrière nous. On a vu en boucle des images de Marocains avec leurs drapeaux partout dans le monde, des supporters d’autres pays faire la fête, des rappeurs américains porter le maillot, jouer l’hymne national en concert, etc .. C’était complètement dingue !
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Nora : Cette équipe a montré notre plus-value et notre force en tant que marocain.e.s appartenant à la diaspora, ou pas. Cette phrase de Walid Regragui « dirou nya » est très forte ! Croyez en nous, investissez en nous et bossons ensemble ! Cette équipe de foot, c’est la preuve que nous pouvons conjuguer nos talents et que nous sommes pas juste une devise comme j’ai pu l’entendre au Maroc.
Nadia : C’est vrai que l’identité d’une partie des joueurs et du coach a fait beaucoup pour fédérer autour de cette équipe. Tous les marocain.e.s se retrouvent en eux dans leur manière de célébrer, dans leur culture tout simplement. Mais en tant que descendant.e.s d’immigrés, c’est hyper touchant de voir certains d’entre eux choisir ce maillot et pas celui du pays où ils sont nés. Il y a certainement une once de pragmatisme dans leur choix, mais on ne peut pas s’empêcher de penser au racisme qu’ils ont certainement subi, qu’ils subissent encore aujourd’hui dans ces pays. Certains ne parlent pas la darija pour de nombreuses raisons, et malgré tout ils choisissent le Maroc. Dans tout le groupe, plusieurs langues sont parlées, ils ne se comprennent pas toujours entre eux, pourtant l’unité est là. Et autre fait important, l’identité et la présence Amazigh est forte. Ça complète encore plus l’identité marocaine que l’on connait dans notre quotidien. C’est parfait.
Nora : Mais quelle euphorie de voir les joueurs marocains brandir ce drapeau amazigh ! De parler en darija lors des conférences de presse et ne pas s’excuser d’être qui il sont ! Pour la première fois j’ai vu des marocains du Maroc défendre les enfants d’immigrés ! D’habitude quand on fait une faute, le groupe se moque de nous et il ne nous fait pas de cadeau ! Là j’ai vu des gens défendre Hakimi, en lui disant: “Tu peux faire les fautes que tu veux, que ton darija se casse la figure dans les escaliers ! Tu as notre gratitude à vie…” ! C’est exceptionnel ce qui se passe entre la diaspora et les locaux. Une vraie unité grâce au foot, ce n’est pas juste un jeu, il y a beaucoup d’enjeux derrière ce sport ! L’unité, les revendications et une vraie vitrine économique pour le pays qui brille.
Nadia : Et n’oublions pas le drapeau palestinien après chaque victoire ! Quelle belle image, alors que les autorités marocaines ont voulu banaliser les relations économiques et politiques avec Israël. Voir à leur tour les palestiniens braver la répression militaire en allant célébrer dans les rues les victoires marocaines, c’était fort. Tout cela a remis ces questions de bi-nationalité (et d’immigration post-coloniale) mais surtout d’identité amazigh en lumière d’un point de vue international, notamment dans les pays arabes du Proche et Moyen Orient qui commencent à se poser la question sur l’identité africaine, amazigh de l’Afrique du nord. C’est incroyable !
L’autre facette de notre identité marocaine, c’est la place de la foi musulmane. Bien sûr tout le monde n’est pas musulman dans cette équipe, ou dans le pays, mais ceux qui le sont n’ont pas rougi, hésité avant de montrer leur foi, telle qu’elle existe dans leur vie. Fatiha récitée avant les matchs, dou’as avant de rentrer sur le terrain, soujoud après les victoires et j’en passe, et ce, devant les yeux du monde entier sans se poser les questions qu’on entend au quotidien ici. C’était rafraîchissant et apaisant.
Nora : Oui ! C’était beau à voir particulièrement pour nous marocain.es.de France qui vivons une islamophobie permanente. Voir ces jeunes faire une prière avant le match, remercier Allah après le match était émouvant. J’ai entendu beaucoup de gens dire « vous êtes amazigh et vous vous dites musulmans ? » Oui. On peut être tout ça à la fois. Merci de ne pas commenter nos identités multiples.
Nadia : On est tellement habitués à la négation de nos identités multiples qu’on ne s’en rend presque plus compte. Avec toutes ces images, et par le football on a pu se sentir entièrement représenté.e.s, vu.e.s et reconnu.e.s directement pour ce que l’on est en tant que marocain.e.s, enfants d’immigrés (ou pas), amazigh, musulman.e.s, africain.e.s. Cette reconnaissance s’est faite directement et pas par procuration via l’identité d’autres personnes qui nous ressemblent de près ou de loin. Et ça change tout.
Et puis l’un des nombreux coups de génie de Walid Regragui, au-delà du sport dont on pourrait parler pendant des heures, c’est d’avoir créé une union de groupe, d’avoir fédéré l’équipe, le staff. Avoir invité les parents, et les mères en particulier des joueurs à rester tout au long de la Coupe du monde, d’avoir lui-même fait venir sa mère pour la première fois de sa carrière, cela a créé une ambiance unique, cela a donné une autre force à ces joueurs. Et ces images de célébrations avec les mères, cet amour filial étaient l’une des plus belles choses vues pendant cette compétition.
Nora : Ma soeur me disait que les européens parlent des femmes de footballeurs, nous on montre et on parle des mères de footballeur (rires) ! Plus sérieusement, c’était intéressant pour moi de voir le pouvoir des femmes dans la société marocaine, et plus particulièrement l’influence des mères. Ces hommes rendent hommages aux sacrifices de leurs mères, en dansant sur la pelouse. Avec sa mère, Sofiane Boufal a fait fondre le cœur du monde entier, n’en déplaise aux rageux ! Car oui dans les familles marocain.es.on s’aime ! Un jour, une personne blanche m’a dit « vous savez nous on aime nos enfants ! », comme si cela leur était réservé ! Ce genre d’images de joie et d’amour viennent casser tous les clichés toxiques coloniaux.
Nadia : Et il y en a eu des clichés coloniaux en France pendant cette Coupe (et ce n’est pas nouveau). Mais là où il y a eu une vraie brisure pour moi, c’est l’indifférence cruelle, puis le mépris et les insultes face à cette joie intense, unique, belle et presque enfantine des Français Marocains, de la part du reste des Français, des médias, etc .. On vivait l’une des plus belles joies et fiertés, et on ne parlait de nous que pour dire que cela allait être la guerre, que les violences allaient être horribles.
Les Français ont raté une occasion de faire la fête en ne s’intéressant pas du tout à ce qui ce passait pour ce pays soi disant ami, selon eux (Si pour vous, la colonisation et l’exploitation sont la source de relations amicales ou amoureuses, je ne veux pas voir ce que sont vos relations avec autrui). Certains de vos compatriotes ont fait la fête et vous les avez ignorés, voire insultés. Tout ce qui comptait, c’était de nous marcher dessus.
Tout cela a cassé presque définitivement un lien déjà très fortement fragilisé par le racisme systémique subi depuis toujours.
Nora : Je ne pardonnerais jamais les propos tenus par les journalistes de Cnews, les politicien.ne.s et autres civils qui ont rabaissé avec toute leur haine cet exploit sportif et cette joie du peuple marocain vivant en France. Quand tu entends « Un moment donné, je me suis crue à Casablanca pas à Paris », sur une chaîne française, ça dégoute.
On n’a pas le droit d’exploser de joie sur les Champs-Elysées ? On est là pour bosser ou consommer uniquement ? On n’a pas le droit d’être fiers de notre pays d’origine ? Ne l’oublions pas mais ça ne fait pas si longtemps en France que nous avons le droit à la nationalité française à la naissance sur le sol français. Il n’y a pas si longtemps il fallait prendre la nationalité de tes parents et ensuite passer par un labyrinthe administratif pour être français.
Donc notre bi-nationalité, on nous l’a imposée et nous pouvons être fiers de notre parcours, de notre équipe et de nos origines ! On essaie de nous infliger une honte pour nous manipuler. Mais on était fiers sur les Champs-Elysées ou dans les champs normands.
Nadia : Ce qu’on retiendra, c’est cette belle équipe, le discours incroyable de cet entraîneur si inspirant, la confiance en l’avenir du football marocain et africain, mais aussi l’ambiance chez les Marocains partout dans le monde, à jamais les meilleurs supporters, les chansons en boucle, les drapeaux achetés pour la première fois, la communion avec les ami.e.s, autres personnes racisées fières de ce parcours, et les belles images qu’on a visionnées pendant plusieurs jours…
On a ri, crié, espéré, chanté, dansé et pleuré ensemble.
Dima Maghrib !
Et pour continuer, on vous a concocté une playlist Dima Maghrib Dialna !