Qu’est ce qu’être musulman aujourd’hui, et avoir la vingtaine ? C’est simple, c’est avoir toujours connu un climat ouvertement et explicitement islamophobe. C’est avoir grandi avec le traumatisme du 11 septembre et ses conséquences sur les musulmans. C’est s’être construit dans un monde où ses semblables étaient devenus les nouveaux ennemis mondiaux, où ils devaient sans cesse se justifier de qui ils étaient, où l’islamophobie s’était normalisée.
C’est le cas de Sarah El Attar, Amal Mouttaki et Amena Alim, qui ont grandi dans ce climat, et, qui en tant que jeunes musulmanes, ont eu l’idée de donner la parole à ceux qui vivent ce rejet, les musulmans. Le 11/09 ayant été un véritable tournant et un cataclysme géopolitique mondial, elles ont décidé d’agir, elles ne pouvaient plus rester passives, nous dit Amena. A l’heure où l’Islam est stigmatisé et représenté de manière négative dans les média, elles ne supportaient plus le renforcement des stéréotypes et la généralisation de certains discours clairement stigmatisants. Alors que les musulmans sont les premières victimes du terrorisme, et qu’ils subissent en plus l’islamophobie, il leur fallait faire quelque chose. Elles ont décidé de donner la parole aux musulmans, dans leur diversité, pour se raconter eux-mêmes, raconter leur humanité, reprendre la narration de leurs expériences.
“Les attentats de 2015 en France ont été le réel déclic qui nous a poussé à agir, je pense. Ce moment où tu zappes sur toutes les chaines, que tu t’énerves face à ce que tu vois, et te dis que tu ne peux plus être passive.”
Il a fallu plus d’un an pour concrétiser complètement le projet Work To Gather depuis que l’idée leur est venue. Amena nous raconte que “C’est à l’été 2015 qu’on s’est dit « et si… », mais on avait toutes des contraintes et projets dans nos vies à ce moment là. Une fois posées et réunies, et surtout, après avoir digéré tout ce qu’on voyait encore dans les médias suite au 13 novembre, on a pu brainstormer sur Work to Gather et mettre nos idées d’un éventuel documentaire, Togæther, sur papier”.
Suite à ça, Amal et Sarah sont parties tourner aux Etats Unis, pendant 3 mois intenses, de fin avril à fin juillet de cette année. Les jeunes femmes tenaient vraiment à sensibiliser les gens au problème de l’islamophobie et à la stigmatisation des musulmans. Ce documentaire est un appel à la tolérance et au vivre ensemble pour elles.
“Chacun de nous voit le monde à travers son regard subjectif. Nous interprétons la vie, l’histoire, les événements, l’actualité, et les autres, à travers le prisme de la réalité dans laquelle nous sommes ancrés.”
Le plus important pour elles, était de faire découvrir la réalité du quotidien des musulmans, faire entendre leur parole, afin de susciter la réflexion. “Avec Togæther on voulait montrer à travers leurs témoignages qu’avant d’être musulmans ce sont des êtres humains.”, nous dit Amena. Ce désire de réflexion et d’ouverture explique aussi le choix d’aller faire ce documentaire aux Etats Unis, plutôt qu’en France. Cela leur a permis d’avoir le recul nécessaire, pour mieux analyser la situation ici. Pour elles, “il est toujours plus facile de voir ce qui ne va pas ailleurs, pour ouvrir les yeux sur notre situation”. Elles espèrent ainsi appliquer les mêmes solutions, car malgré des différences culturelles et politiques, elles ont pu identifier des mécanismes de discrimination identiques. Ce projet de documentaire était pour elles le moyen idéal d’ouvrir un vrai dialogue à la tolérance.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça percute. Les personnages interrogés sont passionnants, et leur témoignages touchent en plein coeur. Ils sont livrés bruts, sans effet particulier, sans intervention de la réalisatrice qui s’efface complètement lors des entretiens, pour nous livrer uniquement leur vécu.
Certaines personnes ont été choisies via les réseaux sociaux, d’autres au fil des rencontres. De fil en aiguille, elles ont interviewé plus de 20 personnes, de toutes origines, de statut sociaux très différents, avec des parcours de vie tous uniques, qui ont livré leur expérience de la différence, le rejet de certains de leurs concitoyens.
Togæther | Official Trailer from Work to Gather on Vimeo.
On réalise que là-bas aussi, les insultes, moqueries, agressions, discriminations ont toujours existé, mais qu’ils deviennent quasi systématiques depuis quelques années. La haine de l’islam est venue se greffer au mépris et rejet de ceux qui étaient considérés comme “étrangers“. La déshumanisation est telle que quasiment tous les interviewés en appellent à l’unité. Revenir sur ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare, un rêve de fraternité.
Et la suite pour ces 3 jeunes femmes nantaises et leur projet ? Après avoir finalisé le mixage son, elles ont enfin pu mettre en ligne le documentaire, depuis dimanche dernier, via leur site Worktogather. De nouvelles projections avec débats sont prévues, après celles à Paris (Science Po) et à Nantes, le tout annoncé sur leur page facebook. Elles sont également en pourparlers avec des élus et média locaux pour organiser des ateliers et diffusion dans des collèges pour alerter les plus jeunes.
« Certains nous parlent de faire ce parallèle avec la France en réalisant un documentaire ici, ou de retourner aux US pour faire un bilan post-Trump… On verra, InshAllah kheir comme on dit ! »
Nous souhaitons longue vie au projet « Work Togaether » !
Il fait gris, c’est la pause déj, je lance le docu découvert grâce à Dialna, et BIM: c’est la folie dans mon cerveau. Merci pour le partage, parce que le sujet est constructif et nécessaire pour tous(tes).
Merci pour ton commentaire sur ton ressenti ! je trouve que ce projet permet à chacun de découvrir le vécu d’une population bien précise, ou de réaliser que la situation est malheureusement similaire ici ou aux USA. Les témoignages sont puissants.