Ce coup de gueule sur la convergence des luttes est écrit par la-le brillant.e bruxellois.e, Ruth Grâce Paluku-Atoka, iel est employé.e à la RainbowHouse Brussels & InQlusion – Activiste afroféministe queer. Un écrit qui a été viral sur Facebook. Iel nous fait l’honneur de le publier sur Dialna.
Attention brillance…
Exemple d’une relation à sens unique : la (fameuse) convergence des luttes. Ou plutôt, une convergence en carton recyclé.
Spoiler : ceci est un message plein de rage.
Depuis des mois, le mouvement climatique prend de l’ampleur. Des actions symboliques et de désobéissance civile se multiplient dans tous les coins de Belgique. Il est plus que nécessaire de répondre à l’urgence climatique. C’est maintenant qu’il faut faire monter la pression pour obtenir des actions à la hauteur des revendications des jeunes, des activistes, des personnes précaires, des gilets jaunes…
Mots d’ordre « 1 et 2 et 3°, c’est un crime contre l’humanité », « Faut pas dépasser la ligne rouge », « le rapport du GIEC » et blababla. Pour que les politiques entendent l’alarme climatique, il faut converger. Il faut mobiliser, que les luttes se rejoignent sous la grande bannière « Justice climatique ET SOCIALE ». On a compris, si on ne fait pas quelque chose pour le climat MAINTENANT, on va tou·te·s mourir. On y reviendra, sur notre prétendu mort prématurée, notre avenir arraché.
Dimanche 24 mars : Marche contre le racisme. Plutôt banal pour certain·e·s aux alentours du 21 mars « Journée internationale pour l’élimination des discriminations raciales ». Banal, mais nécessaire. J’apprends qu’une action climat se prépare le même jour que la marche. Évidemment, priorité maximum ! Il faut absolument faire passer la Loi climat. Résultat : la marche contre le racisme passe un peu à la trappe.
À la suite de ça, je pose plusieurs constats et je me pose également des questions :
La convergence des luttes va toujours dans un sens, celui des dominants. Pourquoi dominant ? Parce que la narrative climatique d’aujourd’hui ne parle pas à tout le monde, et ne permet pas un réel changement de système comme le préconisent plusieurs organisations en lutte pour le climat. La ligne rouge est déjà dépassée. Dans tous les pays exploités par l’Occident, l’exploitation des ressources est une catastrophe climatique et amène avec elle beaucoup d’insécurité politique, l’expulsion de peuples autochtones, des guerres civiles, des violences envers les femmes, la mise au travail des enfants, etc. Pas un mot sur tous les pays déjà touchés lourdement par l’exploitation des terres autochtones par des multinationales (Brésil, Guyane…). Pas un mot sur les Français d’Outre-mer touchées par le chlordécone (conséquence d’années d’exploitation coloniale). Pas un mot sur les pays colonisés par la Belgique touchés par les exploitations de ressources minières.
On demandera toujours aux femmes de se mobiliser pour le climat, aux personnes racisées de se mobiliser pour le climat. Pourquoi ? Parce que c’est là qu’est l’urgence !!! « Comment tu veux lutter pour le reste s’il n’y a plus de planète ? » Entendez bien, « comment lutter si nous ne sommes plus là ? » Au sommet des combats, des luttes, le climat. La seule urgence valable. Le reste, ça peut attendre. Y compris la marche contre le racisme. Ça peut attendre que la loi passe.. et qu’on se repose parce qu’il fallait organiser toutes ces actions.
La convergence des luttes, c’est une relation à sens unique. C’est l’appel que je reçois pour rejoindre une action dont je ne comprends pas les mots d’ordre. C’est la culpabilité que je ressens de ne pas être présente alors que je ne suis aucunement représentée dans les slogans, ni dans les rangs du mouvement climatique (très masculin et blanc). C’est finalement le peu d’effet que me fera l’adoption ou non d’une loi climat (même si je me rends bien compte qu’elle a de l’importance pour certain·e·s). La convergence des luttes, c’est cette personne avec qui tu n’as aucune chance en tant que personne racisée, mais t’essaies quand même.
La convergence des luttes, c’est cette personne qui ne fera jamais de toi sa priorité. Tu t’épuises à lui montrer que tu existes. La convergence des luttes, ce sont ces conversations sur le climat un peu absurdes auxquelles je ne trouve pas vraiment de sens, depuis quelques derniers jours. La convergence des luttes, c’est ce mec blanc qui ne s’arrête pas de parler en réunion parce qu’il a une idée lumineuse, salvatrice, géniale, révolutionnaire, univeraliste… Oups, la réunion est finie. On reporte le reste des points de l’ordre du jours à la réunion suivante, next.
Le monde ne va pas s’effondrer. Vous n’allez pas mourir si la loi climat ne passe pas. Parce que :
– Les crimes contre l’humanité ont déjà lieu.
– Beaucoup de personnes subissent déjà les conséquences du changement climatique.
– Les diasporas subissent déjà les effets de l’exploitation de leurs terres natales.
– Les peuples autochtones sont déjà expulsés pour palier à la surconsommation ou les alternatives végé, vegan, bio…
La ligne rouge est plus que dépassée. Le crime actuel est de le nier.
Alors, qu’est-ce que tout ce mouvement climatique va produire comme effet ? Est-ce que la Belgique s’engagera ou pas dans une politique climatique moins coloniale ? Est-ce qu’il permettra de changer radicalement notre manière de produire ?
Converger (pour moi) ça prend un temps qu’on pense ne jamais avoir. Ça demande de s’éduquer, d’entendre, de passer au second plan, de s’ennuyer parfois même. Converger, c’est aller à la marge, donner son énergie et ne pas puiser dans celle des autres. Converger, c’est lutter avec et pour les éternel·e·s oublié·e·s.
Dédicace à la bonne convergence des luttes. Celle qui a des bonnes intentions, mais qui doit faire avec l’effet de groupe. Les bonnes intentions avant tout, évidemment.
Photo en une : © Bertrand Vandeloise Photography