Avez-vous déjà regardé un poème sur grand écran, en animé ? C’est ce que nous a proposé en 2004 le réalisateur Hayao Miyazaki avec Le Château Ambulant, adapté d’une nouvelle anglaise Le Château de Hurle. Dans ce film, plus que jamais, Miyazaki aborde la dualité de l’être et du paraître, grâce à la poésie qu’offre ce conte.
Vous avez tous au moins une fois vu ou aperçu un film, un dessin de Hayao Miyazaki. C’est dans un Japon en guerre que le petit Hayao nait en 1941, et grandit. La guerre est d’ailleurs un thème récurrent dans les réalisations de H. Miyazaki. Le père du petit Hayao travaille dans l’entreprise familiale, spécialisée en aéronautique. L’aéronautique, la guerre, l’écologie, l’humanité, et la paix sont les thèmes principaux de ses réalisations.
De la nouvelle anglaise à l’adaptation japonaise
Certains aiment à le qualifier de Walt Disney japonais mais il n’en est rien. Il est lui dans son entière créativité qui lui est propre. Il est aujourd’hui reconnu pour son travail de dessinateur réalisateur et de scénariste. Le superbe documentaire 10 years with Hayao Miyazaki permet de mieux apprécier son travail. À mes yeux, il est à la fois un conteur et un poète.
Le Château Ambulant est donc l’adaptation très fidèle d’une nouvelle anglaise de fantasy de Diana Wynn Jones, écrite en 1986. La nouvelle, tout comme le film, raconte l’histoire d’un sorcier vivant dans un château fabriqué de bric et de broc. Il déplace son château grâce à la puissance du démon de feu Calcifer, et a la réputation de dévorer le cœur des belles femmes.
Un jour, une sorcière jette un sort à Sophie, une jeune fille de 17 ans. Le puissant sorcier est le seul à pouvoir lever ce maléfice. Sophie se lance à sa recherche pour s’en défaire. L’histoire du film est quasi identique. Évidemment, il y a quelques libertés mais elles ne transgressent en rien l’œuvre originale. Miyazaki va aborder le rapport à l’apparence et à l’être intérieur à travers chacun de ses personnage, à commencer par le Château, lui-même. Oui, le château.
Le renversement de l’imaginaire collectif
Dans l’imaginaire collectif, le château renvoie à des représentations assez classiques : les histoires de princesses, ou les maisons hantées. On visualise instinctivement un château fort aux solides fondations de pierres, avec des douves et des donjons. Vous vous souvenez des châteaux dans les livres, ou dessins animés de votre enfance ? C’est très exactement ce que vous ne trouverez pas dans Le Château Ambulant ! Et oui, Miyazaki prend le contrepied de ces représentations.
La preuve ? Regardez de plus près l’affiche du film. On y voit un ramassis de vieux objets entassés qui donne l’illusion d’une construction. Le château ambulant de Miyazaki ressemble plus à un taudis ambulant. Imaginez un tas de ferraille rouillée à la forme d’un crapaud. Sur ce tas de fer, disposez-y des maisonnettes en ruines, des plaques de tôles assemblées à l’aide de boulons rouillés et sales. Laissez de la moisissure s’installer sur cet amas rafistolé et fragile. Installez-y quelques cheminées crachant une fumée noire et polluante. Votre porte d’entrée est ornée de dents de requins acérées comme des lames. On dirait un monstrueux dragon sortie tout droit d’une casse. Polluant, effrayant, sauvage.
Cela ressemble-t-il à l’image que vous aviez d’un château ? Pas vraiment ! Avant même de commencer à regarder le film, quelque chose d’irrationnel s’installe, quelque chose de magique.
Le titre et l’affiche stimulent notre imaginaire. Hayao Miyazaki se joue déjà de nos croyances et certitudes. Comment un château, par définition une construction immobile, peut-il être ambulant? C’est en ce lieu, que Sophie, Hauru, Marco, Hin et les autres vont vivre l’une des plus belles histoires que le monde de l’animation nous ait proposée. Le message est simple : « ne vous fiez jamais aux apparences ! »
Du jeu de l’apparence
La première fois que j’ai visionné Le Château Ambulant c’était, pour moi, une simple et belle histoire d’amour avec des gentils et des méchants. La deuxième fois, j’ai réussi à saisir une thématique chère au réalisateur : la dénonciation de la guerre. Puis, j’ai compris que le fer de lance de Hayao Miyazaki est de juxtaposer des problématiques. À chaque visionnage, je notais quelque chose de nouveau que la maturité et l’expérience de la vie m’aidaient à saisir.
Ce château ambulant est laid, sale, polluant et bruyant. Il fait peur. Puis en découvrant l’intérieur, le spectateur oublie son apparence. Une fois le pas de la porte franchi, ce petit intérieur devient une maisonnette charmante, avec au coin du feu un fauteuil pour les fraîches soirées d’été. Ce petit misérable taudis est magique. Il suffit d’ouvrir une porte ou une fenêtre pour être transporté vers différents mondes : une contrée lointaine, des vallées verdoyantes, le front de mer d’un bleu réconfortant ou un centre-ville urbain agité.
Le château retrouve ses lettres de noblesses. En son antre, ce monstrueux taudis recèle un secret magique et il dépasse de loin tous les châteaux connus des contes et légendes. Hayao Miyazaki réussit à sonder l’âme de cette bâtisse pour y découvrir de l’amour, de la magie et un endroit chaleureux. Tel un personnage vivant, ce château va, tout au long du film évoluer et devenir propre, accueillant, débarrassé de ses cheminées polluantes, et utiliser une nouvelle énergie propre pour se déplacer. Le réalisateur nous intime de voir au-delà de l’apparence.
De l’être et du paraître
Sophie apparaît pour la première fois de dos. Elle travaille dans la boutique de son défunt père qui était chapelier. Elle ne prête pas trop attention aux racontars de ses collègues qui parlent d’un certain Haru, sorcier qui arrache le cœur des belles femmes. On la voit se saisir de son sobre chapeau qui contraste avec l’exubérance de ceux qu’elle fabrique, et le poser avec fierté sur sa tête, devant un miroir en triptyque. Il apparaît comme annonciateur des multiples identités qu’incarne Sophie dans le film : la jeune adolescente, la vieille femme et la jeune adulte. D’ailleurs sur son chapeau vous remarquerez trois boules de décorations, signe des trois identités de Sophie.
La première Sophie a 17 ans et ne se sent pas belle. Pourtant, elle ressemble à n’importe quelle jeune fille. Hayao Miyazaki n’a pas dessiné un personnage laid. Pour illustrer à quel point Sophie évolue dans un monde où le paraître est important il a dessiné la sœur et la mère de Sophie à l’opposé total : une chevelure blonde, des robes excessivement colorées, un maquillage prononcé, une forte extraversion et surtout courtisées par les hommes. Sophie, elle, est seule, timide et sobrement habillée.
En ville, la jeune Sophie va connaître une mésaventure. Un homme beau comme un prince vient à son secours. C’est Haru le sorcier à la réputation d’ogre et doué d’une grande force qui la sauve. Une sorcière jalouse lui jette un sort, la transformant en vieille dame. Elle sera présente ainsi la majeure partie du film.
Ne subsiste de l’apparence de la première que son sobre chapeau. Cette nouvelle Sophie est une battante. C’est une vieille dame âgée qui n’a plus rien à perdre et qui n’a pas peur de l’inconnu et de l’aventure. Elle va se lancer à la recherche du puissant sorcier Haru avec l’objectif de lever la malédiction. Sa quête sera double : lever la malédiction et sa quête intérieure.
La fusion de ces deux versions de Sophie donne naissance à une troisième qui apparaît furtivement pendant le film. Parfois, la nuit, Sophie retrouve son apparence de jeune fille et c’est seulement à travers les yeux d’Haru qu’on la voit. Il dépasse l’apparence physique de Sophie et décèle celle qu’elle est intérieurement : une belle jeune femme pleine de force et de courage. Elle a la force physique d’une jeune femme et la force mentale d’une personne mature.
Les frontières entre les trois apparences de Sophie sont floues. Au fil du film, l’attention se porte de moins en moins sur l’apparence de Sophie. Ses traits physiques en mouvement constant n’attirent plus le regard. Les passages de la jeune Sophie à la vieille dame ne sont même plus remarqués.
Avec un seul personnage, Hayao Miyazaki arrive à voyager entre différentes périodes de vie. Cette invitation à aller au-delà de l’apparence reste une constante dans le Château Ambulant. Miyazaki insuffle cette notion dans chacun de ses personnages pour découvrir l’âme, le for intérieur de chacun.
Haru, sorcier malgré lui
Haru est un puissant sorcier à la lourde réputation, qui vit dans son château, loin de la ville derrière un épais brouillard. Parfois, il prend l’apparence d’un oiseau noir géant, ressemblant à un démon. C’est ainsi que le spectateur entend parler d’Haru pour la première fois. Il devient donc aisé d’imaginer une sorte de monstre mangeur de cœur.
Lorsque Sophie rencontre Haru pour la première fois, ce n’est pas un monstre qu’elle voit mais un beau jeune homme à la chevelure blonde, aux vêtements colorés et au regard doux. Il est beau et il le sait. Ses cheveux sont le fil conducteur de l’évolution du personnage. Il est bien loin du monstre qu’on imagine. Haru évolue tout le long du film.
Comme Sophie, il possède cette capacité à passer d’un âge à un autre, d’une maturité certaine à une puérilité enfantine. Lorsqu’il sauve Sophie des griffes des soldats, il a l’air de s’amuser et de profiter de la situation pour la séduire.
Lors de leur seconde rencontre, il adopte un comportement directif, de « maître de maison ». Il était au combat juste avant de rentrer et maintenant il s’occupe de préparer le repas pour Marco son apprenti et pour la vieille Sophie qui est entrée dans le Château Ambulant. Cette vision est très paternaliste d’Hayao Miyazaki symbolise le rôle que la société attribue à l’homme au sein d’un foyer.
La nécessité d’une belle apparence est au cœur de la personnalité de Haru. Et quand elle change malencontreusement, et malgré lui, c’est une catastrophe. Haru parle de se laisser mourir et fait de son apparence une véritable obsession. Comment vivre sans être beau ? L’apparence est-elle vitale ? Hayao Miyazaki insiste encore sur l’apparence des personnages, changeante qui plus est, comme si l’on passait d’un âge à un autre. Avec ses changements, Haru mue finalement en adulte. Sa chevelure devient le reflet de son âme. Il se révèle à lui-même et aux spectateurs.
Sophie et Haru vont devoir faire front pour affronter deux femmes aux puissants pouvoirs, deux sorcières, qui poursuivent la symbolique de cette dualité entre apparence extérieure et être intérieur, en un combat permanent.
Hayao Miyazaki, tel un sage nous murmure au creux de nos cœurs d’aller au-delà des apparences. C’est ce cheminement menant aux véritables identités qui guérit les cœurs malades.
Je vous ai parlé ici de la dimension de l’être intérieur et du paraître. D’autres thèmes comme la construction de soi à travers la famille, la guerre, l’amour de soi et la confiance en soi sont abordés. Ils feront peut être l’objet d’un autre article, un autre jour.
Texte de Mariam
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