[Portrait] Toutefine, la slammeuse algérienne qui brise les barrières

dialna - toutefine

Toutefine est une artiste algérienne née à Oran au début des années 90 du nom de Zoulikha Tahar. Doctorante en mécanique des matériaux et artiste dans l’âme, elle fut fortement touchée par les mots dès son plus jeune âge. C’est sa mère, passionnée de poésie et de littérature, qui lui transmet cet amour des lettres. Elle se rend compte de la force de la poésie, quand elle déclame des textes. Lire pour soi apporte énormément de joie, mais réciter une œuvre, c’est curatif, joussif et constructif !

En 2015, Zoulikha Tahar décide de partager ses créations sur la plateforme « Soundcloud », et la terre entière entend sa voix si particulière, une voix teinté de douceur et paradoxalement très déterminée ! Car quand on entend Zoulikha, on se tait, on se plonge dans ses paroles et on frissonne par tant d’émotions.

Du son à l’image il n’y aura qu’un pas. Elle réalise des capsules vidéo et une communauté se crée autour d’elle ! Elle est invitée à des débats, anime des ateliers d’écritures, se produit sur scène. Il y en a entre les oreilles de cette jeune femme. Artiste complète, celle qui va se donner le nom de scène de « Toutefine », est à la fois vidéaste, photographe, slameuse, écrivaine et ingénieur.

Je me suis affranchie du regard masculin, et la vie est plus légère.
Toutefine, slammeuse

Son nom de scène est lié à son corps, que l’on a longtemps critiqué car de l’autre côté de la méditerranée, on vous encourage plutôt à avoir des courbes et des formes. Être mince n’est pas toujours bien vu, et est parfois même moqué. La scène et le féminisme lui on permit d’assumer son corps et sa personnalité ! Toutefine développe ce concept : « Je suis bien plus qu’une enveloppe corporelle. Ne pas s’aimer est un casse tête qui ne sert à rien! Il faut arrêter de croire que notre valeur dépend du regard des hommes, car au final c’est de ça dont il est question. Est-ce qu’un homme va bien vouloir de nous si on est plus comme ci ou moins comme ça  ! Je me suis affranchie de ce regard et la vie est plus légère.« 

dialna - toutefine
Toutefine © Nora Noor

Sa vie est son inspiration première. De ses questionnements, elle en crée des textes où elle tente de trouver des réponses. Mais une question la taraude parmi tant d’autre : la relation mère/Fille. « Ma mère avait mon âge à ma naissance, elle à vécu sa grossesse pendant les années noires en Algérie. Ma vie intra-utérine s‘est formée dans la peur, du coup j’angoisse à l’idée que ma mère angoisse. », confie-t-elle.

Cette angoisse amène Zoulikha Tahar a ressentir des peurs irrationnelles,  paralysant bien des projets et des ambitions. Il lui a fallu du temps pour comprendre que l’angoisse ce n’est pas de l’amour et que l’on ne doit être le réceptacle de personne. Elle décide donc d’aller étudier en France, afin de continuer sa route de jeune femme et prendre du recul avec son environnement. La relation mère – fille est un sujet central pour Toutefine : « Je pense que c’est une relation compliquée, et ce, de manière universelle. Mais dans les pays du sud, il y a un écart générationnel énorme, d’où une incompréhension parfois totale entre les deux. », explique-t-elle.

Elle écrit beaucoup, couche sur le papier ses questionnements, ses peurs et ça donne un manuscrit prêt à éditer au sujet de sa mère.

En 2016 elle réalise avec une amie Sam MB, un petit clip, dans lequel elle slame et dénonce le harcèlement de rue. C’est un carton immédiat ! Les femmes témoignent sur sa page YouTube, elles ripostent dans la vraie vie et n’hésitent pas à porter plainte en Algérie pour harcèlement. Même si la société dissuade les femmes sur place d’engager des poursuites, elles n’ont plus peur de se défendre et de s’unir pour dénoncer le harcèlement sous toutes ses formes.

Il n’y a pas d’autre solution que d’être féministe. Nous sommes en permanence exposées à l’injustice, tant dans l’espace public, que privé.
Toutefine

Après cette vidéo, les associations féministes l’invitent à des conférences, interviews et performances, un peu partout dans le monde. Quand on lui demande ce que lui évoque le mot « Féminisme », elle répond : « Il n’y a pas d’autre solution que d’être féministe. Nous sommes en permanence exposées à l’injustice, tant dans l’espace public, que privé. Je ne comprends pas les femmes qui ne se disent pas féministes, ça me dépasse !  Dans le monde arabe, on est un peu plus frileuses à prononcer ce mot, car des féministes blanches  ont appuyé une image décalée voir même dégradante des femmes du Maghreb, sur nos sociétés, avec une vision très eurocentrée. Ce féminisme ne nous sert pas dans notre quotidien et ne correspond pas à notre réalité. Mais comprendre qu’il existe des féminismes et et qu’il faille défendre nos droits et notre dignité c’est vitale pour nous toutes. »

dialna - toutefine
Toutefine
© Nora Noor

L’an dernier, Toutefine a sorti son premier EP, Mon drapeau, disponible en ligne. Elle y raconte la difficulté de trouver sa place. Elle est souvent accompagnée de musiciens sur scène, ce qui crée une atmosphère particulière. Quand Zoulikha Tahar aka Toutefine se positionne devant un micro et son pupitre, afin de poser ses textes, la magie opère de suite. Sa voix qui se mélange parfaitement, aux instruments à cordes, l’intelligence de ses propos, sa présence, tout ces ingrédients sont là pour vous faire passer un moment hors du temps… Suivez la, invitez là, regardez là. C’est l’incarnation même d’une nouvelle Algérie, c’est le visage de la liberté et de l’intelligence.

Vous pouvez la suivre sur son site, Instagram et Facebook.

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