[Portrait] Nassima Guessoum

dialna nassima guessoum
Suite à la publication de notre article sur le documentaire « 10949 femmes« , la semaine dernière, nous vous proposons aujourd’hui l’interview de sa réalisatrice, la talentueuse Nassima Guessoum.

Nassima bonjour, pourrais-tu tout d’abord nous présenter ta formation et ton parcours ?
J’ai d’abord fait des études d’Histoire à la Sorbonne, spécialité monde arabe contemporain, où j’ai fait un mémoire de maîtrise sur l’Algérie juste après l’indépendance, 1965, celle du coup d’état de Boumediene.
Ensuite, brève expérience dans le journalisme, et je suis partie un an en Algérie, c’est là que j’ai su que je voulais faire du cinéma. A mon retour j’ai fait un Master 2 en cinéma documentaire. J’ai réalisé un court métrage d’école « Naïm« , portrait d’un jeune immigré algérien qui se travestit et rêve de faire du cinéma. Ensuite, j’ai fait un documentaire spectacle, « Le voyage de Tata Milouda« , avec une femme marocaine, ancienne femme de ménage, analphabète, devenue slameuse de renom à l’âge de 60 ans. « 10949 femmes » est donc mon premier film long métrage. J’ai développé une partie de l’écriture du scénario à l’atelier documentaire de la Fémis, une école de cinéma.

dialna - nassima guessoum 3

 Comment t’est venue l’idée de ce film ?
L’idée du film est née de plusieurs envies, et manques, c’est donc c’est la rencontre de plusieurs énergies.
Je suis Franco Algérienne, je vais en Algérie depuis mon enfance, donc j’ai une relation affective et personnelle à ce pays. Ensuite, avant d’avoir la nationalité française et bien que née en France, j’ai eu un passeport algérien, jusqu’à mes 20 ans, c’était très important pour mes parents. Donc au delà des livres, j’avais cette nécessité de comprendre et savoir, ce que cela signifiait d’être algérienne, en quelque sorte, d’où l’on vient et où l’on est.
Ensuite durant mes études, puis mes recherches, j’ai été frappée par l’invisibilité des femmes dans l’Histoire, puis dans l’Histoire de la révolution Algérienne. Car ce qui m’a intéressée, c’est ce mouvement, ce renversement d’un ordre.
La révolution algérienne, et non pas la guerre d’Algérie, c’et important, c’est avant tout, renverser, faire tomber un ordre, celui de l’ordre colonial, d’un système de domination. A l’intérieur de ce mouvement, un autre ordre se renverse, tourne, c’est la place des femmes : la révolution, la guerre, la lutte armée permettent de transgresser des lignes. C’est ce que les femmes algériennes vont aussi expérimenter dans ce mouvement de l’Histoire.
Ensuite, face au roman national Algérien qui; dans sa mythologie, dans son imagerie, réduit les rôles des révolutionnaires et des femmes à la lutte armée et donc à l’image de la guerrière, de la femme en armes, ou qui ne valorise que la poseuse de bombes, ou celle morte en martyre. Je voulais sortir de cette image et aller chercher les vivants déjà, l’individu, la personne, la militante, affranchie d’un discours officiel.
J’étais moi-même en recherche d’identification à des héroïnes historiques, comme on en a en France :  Lucie Aubrac, Germaine Tillion, Jeanne D’arc etc… J’avais aussi besoin de me fabriquer, de chercher des femmes, bien vivantes algériennes, et pas toujours des femmes victimes… C’est important, parce que dans la représentation ici en France de la femme arabe, elle est toujours victime : des hommes, des islamistes, de son père, son frère, son mari, des terroristes etc… Je voulais m’affranchir aussi de cette représentation.
La star du film s’appelle Nassima Hablal. Comment l’as tu rencontrée et comment l’as tu convaincue de faire ce documentaire ?
J’ai rencontré Nassima Hablal grâce à la thèse de Djamila Amrane Minne, « les Femmes Algériennes dans la guerre ». Nassima Hablal était citée dans les entretiens que j’ai pu lire. Elle faisait partie dès 1945, des premières femmes qui se sont engagées bien avant la guerre dans un parti politique, clandestin, qui militait pour l’indépendance de l’Algérie, le PPA, le parti du peuple algérien. Je pensais que c’était fondamental d’avoir le récit d’un tel engagement, de presque 20 ans, de comprendre le parcours d’une militante politique, qui n’est pas seulement prise par un mouvement, mais qui a joué un rôle dans l’Histoire.
J’ai pu la rencontrer grâce à ancienne journaliste, militante féministe, qui m’a dit où elle habitait, et je suis allée la rencontrer, seule. Elle m’a accueillie simplement, autour d’un café. J’ai tout de suite senti qu’elle était à part. La question n’était pas de la convaincre, mais plutôt de savoir si le film dont j’avais envie était le même film que celui qu’elle s’imaginait.
C’est sa grande liberté de ton, d’esprit, sa façon d’être qui m’ont séduite, et je voulais dans ce film, que la relation, comme celle d’une grand mère qui raconte son histoire à sa petite fille, soit le lien, le fil rouge pour le spectateur, pour entrer dans l’Histoire avec un grand H.
Alors il fallait apprendre à se connaître, donc j’ai passé du temps avec elle, sans filmer, à tout simplement lui rendre visite, discuter, enfin la connaître. Je pense qu’il faut deux désirs, elle voulait parler de cette histoire, sans être corsetée dans un costume, elle voulait enfin raconter vraiment comment elle l’avait vécue.
C’est ce qui est vibrant chez cette femme, les sentiments, la passions, la sagesse, la distance, l’humour, la fidélité et l’engagement; la souffrance. Ce ne sont pas des faits qu’elle étale, et c’est comme cela que l’on comprend réellement ce que cette révolution, cette guerre ont vraiment été, pour les femmes et les Algériens.
Je ne voulais pas faire un film didactique qui « expose » un panel de toutes les femmes qui se sont engagées au côté du FLN. Je pense que l’identification envers un personnage et son parcours qui nous amène à rencontrer d’autres femmes avec qui elle a un lien fort, que ce soit Baya ou Nelly Forget, nous permet de comprendre un cheminement. Il fallait aussi que les autres femmes aient cette même liberté de ton, cette même force tout en étant différentes, mais aussi solaires les unes que les autres, pour évoquer, imaginer, ces 10949 femmes. 10949, c’est le nombre officiel répertorié par le ministère des anciens moudjahiddines en Algérie des femmes ayant combattu, donc celles qui ont obtenu un statut. Dans la réalité, elles ont été plus nombreuses à participer aux combats, aux côtés du FLN. Dans un contexte de guérilla, la population et ceux qui combattent sont intriqués.
L’autre protagoniste du film, malgré sa courte apparition c’est Baya. Son témoignage dans le film est juste glaçant et émouvant à la fois. As-tu eu des problèmes en Algérie quand elle donne les noms des colons qui l’ont torturée? 
Je n’ai pas eu de souci pour les noms que Baya cite, parce que le souci viendrait plutôt de ce que Nassima dit sur l’assassinat de Abane Ramdane, par des frères du FLN. Non pour le colon, Borgeaud, ils ne sont plus en Algérie, mais surtout, ce n’est pas moi qui le dit, mais Baya. Ce qui est intéressant, c’est que Baya parle des sévices et des viols qu’elle a subie, ce qui est énorme, là aussi elle transgresse un tabou. Et la manière dont elle le dit, en préparant un repas, c’est aussi parce qu’elle a été entendue (et notamment par son père), qu’elle peut le dire à son tour. Cette séquence est magnifique, et elle est à l’image du film : la tragédie, la réparation, l’humour, la distance et le chant.
Pendant la réalisation de ce film, toutes ces tragédies historiques n’étaient-elles pas trop lourdes à porter ? Comment étais tu émotionnellement ? 
Ce qui m’a permis de tenir émotionnellement, car c’est vrai c’est lourd, ce sont ces rencontres exceptionnelles. Je me sentais privilégiée d’être là, et je tenais à ce film. Je ne l’ai pas lâché, j’y ai investi mon propre argent car c’était trop important. Les soutiens sont venus à la fin.
Par contre non, je ne me sens pas de responsabilités ou de dettes, vis à vis de ces femmes. Je me sens un devoir de respect par rapport à ce qu’elles m’ont transmis, confié, c’est à dire d’être fidèle à ce qu’elles sont, ça c’est très important. Je ressens une fidélité, oui, comme en amitié. Après, c’est important de faire circuler cette parole, de la transmettre aux autres générations, ce sont des figures de l’engagement : elles sont si énergiques, jeunes, libres, inattendues !!!!
On ne peut pas dire qu’elles sont retournées aux cuisines, pour beaucoup, elles ont ensuite travaillé. Nassima était directrice d’un centre de formation professionnelle pour femmes, Baya était sage femme dans sa clinique. Je ne dis pas que c’était facile, non, elles ont continué de lutter, surtout Baya, et même les autres. Mais elle ont quand même été exclues du champs politique, des décisions de tout. En 1963 à la première assemblée nationale, elles sont à peine 10 députés sur presque 195 sièges. Tout est dit, on les cantonne aux associations de femmes, aux bonnes oeuvres caritatives. En France et en Europe à la même époque, c’est pareil.
Mais pour Nassima (comme Baya), elle est placardisée aussi parce qu’elle s’oppose au nouveau régime.
Qu’est ce qui a changé après la réalisation de ce film ?
Ce qui a changé : alors avant je ne comprenais que le kabyle et maintenant je parle arabe, pas couramment mais je le comprend très bien 🙂  Ce qui a changé, c’est ma relation à l’ALGÉRIE, au féminisme, à l’engagement, à beaucoup de choses, même si cela reste encore compliqué. C’est un nouveau lien, je réfléchis différemment.
J’ai beaucoup appris, je me suis aussi intéressée à d’autres pays, Cuba, d’autres pays africains, au Burkina, à des penseurs, une autre culture, une autre façon de penser. Changer son point de vue, se déplacer, c’est précieux. J’ai aussi appris à aller jusqu’au bout, vraiment au bout de ses convictions, de ce que l’on veut, et surtout artistiquement, assumer ses choix. C’est aussi ça être libre.
Quels sont tes projets cinématographiques ?
J’ai plein de projets, j’ai écrit un court métrage, sur une femme…le désir et la frustration… je n’en dis pas plus. C’est une fiction.
J’aimerais réaliser un moyen métrage, sur l’histoire d’un jeune garçon et la figure du père, toujours en Algérie.
Il est en cours d’écriture. Là je travaille sur un web documentaire, c’est un film de commande, mais je me suis beaucoup impliquée, le titre c’est « On se la raconte » ça traite avec humour de la discrimination et le racisme en France.
Ton coup de cœur artistique ?
Voilà, mon dernier coup de coeur, c’est le film Moonlight.
Quels conseils pourrais-tu donner à nos lecteurs qui lisent notre magazine ?
Je ne suis pas trop donneuse de conseils, mais en tous les cas, si vous avez un projet artistique, il faut aller vraiment vers ce que l’on veut d’un point de vue éthique, esthétique, ce qui pour moi est indissociable, et quoi que les autres pensent, l’important c’est de vivre ses choix, de les assumer jusqu’au bout, même si on est hors système. C’est le prix de la liberté.

 

Bisous et merci à Dialna.
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Nassima Hablal, jeune

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1 commentaire

  1. […] Dionysienne, dont nous avons déjà parlé chez Dialna, puisqu’il s’agit de Nassima Guessoum, réalisatrice du documentaire « 10949 […]

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