[Interview] Zoubida Mouhssin, la conteuse guérisseuse

Dialna - Zoubida Mouhssin

Zoubida Mouhssin exerce le beau métier de conteuse, une profession qui exige l’amour des mots, une culture littéraire illimitée, une expérience de vie et une signature vocale captivante. Quand Zoubida conte, le silence s’impose. Très vite, l’audience écoute et se laisse porter par sa voix qui transporte une véritable énergie bienveillante.

Nous sommes fières, chez Dialna, de mettre en lumière le parcours et le talent de cette grande artiste belgo-marocaine. Une interview à lire et relire sans compter.

La première fois que j’ai rencontré Zoubida, il s’est passé quelques chose de magique entre nous. Nos cellules amazigh se sont certainement connectées. Le respect, la complicité et le rire se sont invités à notre table, comme si nos ancêtres étaient présents et activaient une synergie créative et artistique. Au moment où je l’ai photographiée, elle m’a regardée et m’a dit : « Nora je sais qu’à cet instant tu viens de prendre la bonne photo ».

En effet, je tenais LE portrait de Zoubida entre mes mains, c’est vous dire à quel point l’alchimie était présente !

 

D: Peux-tu nous parler de ton métier de conteuse ? Comment as-tu eu le déclic de te lancer ?

Zoubida Mouhssin : Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré lire. Dès que j’ai su déchiffrer l’alphabet, j’ai eu un livre en main. J’étais une boulimique des histoires écrites. Les histoires racontées, c’est sous le ciel étoilé du sud marocain que je les aie entendues. Chaque été, nous rentrions au Maroc et dans le village, le soir, les familles se réunissaient autour des lampes à huile. Les plus vieux parlaient et les plus jeunes écoutaient. Je crois que c’est là que tout a commencé…

Puis j’ai eu des enfants. Tous les soirs, je leur lisais des histoires et un jour j’ai eu envie d’en écrire. J’ai suivi une formation pour lire à haute voix et pour raconter. Et au gré des hasards, j’ai fait entendre ma voix. Mais, tant pour l’écriture que pour raconter, je ne me sentais pas légitime. Je ne me voyais pas en faire une activité professionnelle, car je n’avais pas le cursus et le parcours des autres auteurs et conteurs…

Et puis, en 2014, j’ai complètement changé de direction et e me suis formée à la médiation. J’ai travaillé ensuite dans une association pour coordonner un projet interculturel avec des réfugiés syriens car je parle aussi leur dialecte. Puis j’y ai animé des ateliers d’écriture de contes, pour un projet d’alphabétisation. Ensuite, tout s’est enclenché. En 2017/2018, j’ai participé au projet Orfeo et Majnun au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, et j’ai été amenée à raconter à des publics très différents. Par la force des choses, j’ai appris à me faire confiance et à même accepter que j’étais légitime, après tout. Cette expérience m’a donné envie de créer un spectacle que j’ai présenté en 2019. Parallèlement, j’ai écrit un premier livre jeunesse qui a été publié.

D : Quelle est ta routine de travail ?

Z. M. : Je n’en ai pas vraiment. En dehors des ateliers d’écriture que je donne, je ne suis pas très disciplinée. Je partage mon temps entre l’écriture et la création (que ce soit pour les livres jeunesse ou les spectacles en préparation), et les projets qui me sont proposés au fur et à mesure. Cette façon de travailler me convient bien car j’ai du mal avec les journées « organisées ». J’ai du mal avec les horaires de bureau, j’aime me sentir libre.

D : Tu contes les histoires en quelle langue ? 

Z. M. : J’ai deux « langues maternelles », celle qui m’a bercée d’histoires, l’amazigh (chleuh) du sud marocain et celle avec laquelle je suis la plus à l’aise pour raconter, le français. 

D : Laquelle des deux préfères-tu pour conter ?  

Z. M. : Lorsque l’on raconte, ce n’est pas seulement des mots que l’on transmet, mais aussi des émotions, des ressentis… Et pour moi la langue qui me permet de faire cela, c’est le français.

Dialna - Zoubida Mouhssin
Zoubida Mouhssin
© Nora Noor

D : As tu une fascination pour les textes des pays du sud ? Lesquels ? 

Z. M. : J’aime beaucoup les contes traditionnels car ils me racontent l’endroit d’où je viens, mes racines. Même si mon tronc et mes branches ont poussé sous d’autres cieux, grâce à ces histoires, je connais la mienne. Puis j’aime ces contes aussi car ils nous donnent accès à un monde parallèle. Pour ma part, cela a beaucoup stimulé mon imaginaire. Cependant comme j’ai beaucoup baigné, du fait de mon histoire personnelle, dans les contes du Moyen Orient, ce sont ceux-là que je privilégie dans mes spectacles, pour l’instant en tout cas.

D : Quelle est ton écrivain.e  préféré.e ? 

Z. M. : Shéhérazade…

D : Est-ce que tu écris aussi tes textes ? 

Z. M. : J’écris principalement pour les enfants. Mais quand me vient l’envie de parler d’un sujet, d’une thématique qui m’interpelle, j’écris mes textes pour en faire un spectacle. 

D : Y a-t-il beaucoup de femmes conteuse ? 

Z. M. : Je dirais qu’elles sont nombreuses mais j’ai l’impression qu’elles ne sont pas très visibles. Parce que ce sont des femmes, d’une part, mais aussi, parce que le conte est un art qui n’est pas vraiment reconnu en tant que tel, selon moi. Quand je dis que je suis conteuse, soit on pense que c’est le féminin de « comptable », soit on me dit : « Ah tu racontes pour les enfants. » Comme si c’était un art mineur alors que les enfants sont un public impitoyable.

D : D’après toi quel est la différence entre un conteur.se, actrice.teur et un.e écrivain.e ? 

Z. M. : L’écrivain peut être conteur et raconter les contes qu’il/elle a écrit. Mais un bon écrivain ne fera pas obligatoirement un bon conteur et vice versa. L’acteur par contre fera rarement, selon moi, un bon conteur. C’est difficile d’effacer la formation d’acteur pour devenir conteur. J’ai l’impression mais je peux me tromper, que l’acteur aime la lumière des projecteurs, le conteur a l’humilité de mettre en avant le conte. Il disparaît et est au service du conte. Il n’est qu’un outil de transmission…

D : Tu es originaire d’Afrique du Nord ou la culture orale est très importante pour transmettre des savoirs. Penses-tu que tu portes cet héritage culturel en toi ? 

Z. M. : J’en suis persuadée. J’ai appris récemment que mon arrière-grand-mère était guérisseuse. Je crois que je porte en moi ce besoin de guérir avec les mots. Je pense que cette région du sud marocain, où j’ai eu la chance de retourner régulièrement depuis toute petite m’a façonnée. Que ce soit par la langue, l’Histoire (les berbères étaient des rebelles ) les traditions, la géographie, la générosité, l’hospitalité, tout cela à fait de moi qui je suis devenue. 

Dialna - Zoubida Mouhssin
Zoubida Mouhssin
© Nora Noor

D : Que penses-tu transmettre avec tes histoires ?

Z. M. : Quand j’ai dû choisir les études que je voulais faire, je me suis dirigée vers la traduction. Puis, je me suis formée à la médiation. Je suis d’ici et d’ailleurs. Je pense que quand je raconte, je veux être un pont entre deux ou plusieurs cultures pour rassembler, faciliter la compréhension, être « l’intermédiaire », l’objet qui se trouve entre deux. Le conte c’est ça aussi, une langue intermédiaire.

D : Quand tu contes une histoire, as-tu une vision de mise en scène bien précise ou réalises-tu ta propre performance avec ton texte et le public ? 

Z. M. : Autant je ne suis pas disciplinée dans mon organisation journalière, autant quand je suis dans l’écriture d’un spectacle, je réfléchis à chaque mot que je vais prononcer, au lien entre les histoires, au fil conducteur. Je crois profondément que les mots sont comme des notes de musique et qu’un mauvais assemblage de mots peut être dissonant. Le respect du public est aussi très important. J’ai envie qu’il passe un moment agréable tout en l’amenant à réfléchir. Je travaille en général avec un musicien dont le langage est aussi important que les mots. J’essaye donc que nos deux prestations aient la même importance sur scène. Pour ce qui est du décor, je dois dire que jusqu’à présent, il n’y a jamais eu de mise en scène. Parfois je me dis que je devrais peut-être y penser et puis je me dis que les histoires et la musique suffisent à transporter le public.

D : Te sens-tu conteuse itinérante ou as-tu besoin de t’enraciner dans un lieu (la Belgique) ? 

Z. M. : Je dirais que je suis itinérante en francophonie…

D : Pour être conteur.se, faut-il acquérir des techniques particulières (diction, culture des textes et de la littérature, respiration) ? 

Z. M. : Il y a les techniques communes aux métiers de la scène qu’on acquiert au fil du temps par les formations, mais aussi avec l’expérience, la pratique, la maturité. Je crois que la voix est importante, qu’elle doit faire du bien, apaiser. Mais à côté des techniques, il est primordial, selon moi, de conserver une grande humilité et d’avoir une envie de transmettre ce qui nous a été transmis. 


D : Qu’aimerais-tu transmettre à travers tes textes ? 

Z. M. : Quand j’écris pour les enfants ou que je crée un spectacle, j’ai besoin d’être en accord avec mes valeurs. Mes deux principales valeurs sont la justice et le respect. C’est cela que j’ai envie de transmettre et tout ce qui y est lié de près ou de loin. Puis j’ai envie de faire du bien aux gens qui viennent m’écouter. Je crois que les histoires que je raconte touchent chaque personne à l’endroit où elle se trouve au moment elle reçoit l’histoire. Je me répète  mais les contes sont thérapeutiques en termes de valeurs, messages, émotions. 

D : As-tu des conteurs.ses à conseiller à nos lectrices. teurs ? 

Z. M. : J’aime beaucoup Henri Gougaud, même si beaucoup de ses contes sont des contes traditionnels qu’il a adaptés. J’aime son écriture. J’avoue que j’ai du mal à retenir les noms, je n’ai donc pas d’autres noms de conteurs à proposer. Mais j’aimerais rajouter que j’aime les conteurs et les conteuses qui restent naturel(le)s, qui ne se prennent pas la tête, qui n’en font pas trop.

D : Que t’apporte ce métier au quotidien ?

Z. M. : Un bien-être infini, un sentiment de liberté. Je voyage continuellement, mentalement j’entends. Et aujourd’hui, alors que le conte fait vraiment partie de ma vie professionnelle, j’ai parfois l’impression que j’arrive à passer très facilement de la dimension du réel vers d’autres dimensions. Et je ne suis pas folle !

D : Où peut-on te voir sur scène ?  Animes-tu des ateliers ? 

Z. M. : J’anime toujours des ateliers d’écriture pour des associations. J’aimerais bientôt proposer des formations conte. Pour ce qui est de la scène, je travaille sur un projet dont le thème est la violence faite aux femmes sous la colonisation/protectorat français au Maroc. L’idée est de mélanger contes et éléments historiques. Je poste toutes les informations sur ma page Facebook.

D : Quelle est ton actualité ? 

Z. M. : Je viens de finir de présenter un spectacle en février. L’atelier d’écriture que j’ai donné s’est terminé avec une lecture par les participantes à la Foire du Livre. Et puis j’ai plusieurs propositions pour  conter mes textes dans le cadre d’événements privés, ou public, dont un qui devrait avoir lieu à Ixelles au mois de mai dans le quartier Matonge à Ixelles mais vue la conjoncture actuelle…


D : Si tu étais :

une ville : Marseille

un pays : l’Egypte

un plat : Ce serait un dessert, un merveilleux

une chanson : Résiste

un film : La Grande Vadrouille

un mot: Liberté

 

Photo en Une : © Nora Noor

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