[Histoire] Les femmes algériennes et la guerre d’indépendance – Djamila Bouhired

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2022 marque les 60 ans de l’indépendance algérienne gagnée contre la France, ex-colonisateur de 1830 à 1962. Pour commémorer cet événement, nous vous proposons de revenir sur les parcours de combattantes, comme Djamila Bouhired, qui ont participé à la guerre de libération nationale de 1954 à 1962 et qui ont contribué à la victoire algérienne en rejoignant la cause indépendantiste. 

Bien qu’il ait été crucial pour l’indépendance de l’Algérie, le rôle de ces femmes est peu connu à travers le monde et même au sein de la population algérienne. Comme beaucoup d’autres femmes qui ont pourtant marqué l’histoire, on ne retrouve que très peu de traces d’elles dans les livres ou même dans les cours d’histoire. Aujourd’hui encore, la femme algérienne n’est l’étendard d’aucun combat ni lutte. Et pourtant, on pourrait nommer bien des figures féminines algériennes qui ont marqué leur temps. De Diyhan, reine guerrière berbère qui a combattu les Omeyyades lors de la conquête musulmane au Maghreb au VIIe siècle, à plus récemment, Amira Bouraoui, meneuse du mouvement Hirak.

Il est enfin temps de redire, de réécrire et de partager l’histoire de ces femmes algériennes pour les sortir des oubliettes de l’histoire et que leurs noms soient autant scandés que ceux d’Angela Davis ou de Gloria Steinem par la nouvelle génération. 

Pendant la guerre d’Algérie, des femmes se sont engagées auprès du FLN (Front de Libération Nationale) et de l’ALN (Armée de Libération Nationale), investissant des secteurs qui étaient jusque-là réservés de manière trop exclusive aux hommes : la politique et la guerre. 

Rôle de premier plan dans la lutte

Lorsque la guerre éclate en novembre 1954, personne n’avait envisagé que les femmes, jusqu’alors confinées dans la vie familiale et exclues du monde extérieur, puissent émerger et jouer un rôle de premier plan dans la lutte. Pourtant, dès 1955, des noms de militantes arrêtées apparaissaient dans les journaux et leurs photos faisaient la une de la presse locale. 

Quelle que soit l’importance de leur rôle, elles ont toutes participé à l’indépendance de l’Algérie. Certaines venaient en aide aux maquisards en nettoyant leurs vêtements ou en leur préparant des vivres, d’autres étaient infirmières, couturières ou encore propagandistes. Quelques-unes furent poseuses de bombes ou prirent les armes. Instruites ou analphabètes, les femmes qui se sont engagées dans les mouvements de libération venaient de régions et de classes sociales différentes.

Leur point commun était la discrimination subie par le peuple algérien et les violences de la répression coloniale, qui les ont menées à se mobiliser. Tout au long des décennies d’une politique colonialiste livrée à bras de fer par la France, ces femmes ont été témoin des arrestations, des humiliations et de la torture de membres de leur famille. La perte de proches, notamment lors du massacre de Sétif, le 8 mai 1945 en est symbolique. Tandis que dans les rues, des algériens fêtaient la victoire des Alliés sur les forces de l’Axe en scandant des slogans anti-impérialistes et en agitant des drapeaux de l’Algérie, l’armée française exécuta, dans des conditions souvent particulièrement atroces, 20 à 30 000 algériens pour tenter de calmer la tentative insurrectionnelle anti-colonialiste, selon les travaux de l’historien Jean-Louis Planche. Plus tard, le traumatisme provoqué par les événements de mai 1945 ont déterminé l’engagement de ces femmes dans la lutte armée.

Après ce massacre, beaucoup d’entre elles se sont unies à l’occasion des fêtes (mariages ou circoncisions) afin de discuter stratégie, et scander des chants patriotiques. À partir de 1956, des femmes sont montées au maquis, parfois de leur propre initiative, sans en aviser leur père. Pour des raisons de sécurité, certaines sont parties avec leurs maris.

Chacune d’elles a participé différemment au combat, elles avaient des rôles précis et faisaient preuve de stratégies. La doctrine machiste des membres du FLN ne facilitait pas leurs tâches. Mais, ils finiront par réaliser que l’aide de ces jeunes militantes était cruciale. Elles représentaient 16% de l’ensemble des militants: 74% ont moins de 25 ans, et 50% moins de 20 ans, selon les travaux de l’écrivaine Djamila Amrane-Minne.

Ces femmes ont épaté leur entourage avec leur endurance à supporter les conditions de vie dans les maquis. Elles devaient supporter des marches interminables, le froid, la faim, la misère ainsi que la dure réalité des combats. Pour les jeunes citadines qui prenaient le maquis, c’était souvent le premier contact avec la pauvreté des campagnes. Et pour l’ensemble de ces maquisardes, qui étaient presque toutes très jeunes, le maquis a constitué également le premier contact avec la mort.

De maquisardes à fidayate

Certaines allaient même jusqu’à être des poseuses de bombes. Elles étaient plus connues sous le nom de fidayate ce qui signifie « celui qui a accepté de donner sa vie par idéal ». Elles constituaient seulement 2% de l’ensemble des combattantes. Les fidayate ont participé directement aux actions armées en transportant des armes ou en déposant des bombes. Les hommes étant continuellement traqués par l’armée française, les femmes procuraient une aide indispensable puisqu’elles se déplaçaient aisément et librement en se fondant facilement dans la masse. Le haïk, vêtement traditionnel, pouvait servir de moyen de transport afin d’acheminer des armes ou encore des lettres. Et comme certaines d’entre elles pouvaient être prises pour des Européennes, elles s’apprêtaient à la mode occidentale pour accéder par la suite aux cafés français dans les quartiers européens et y déposer des bombes. 

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1957, des combattantes du FLN dans le maquis pendant la guerre d’Algérie. © Zebar Andia

En moyenne, on a recensé 10 949 militantes, 1 755 maquisardes et 65 combattantes ayant exercé directement la violence (source). Bien qu’elles soient les militantes pour l’indépendance de l’Algérie les plus connues et dont nous avons le plus d’informations, leurs noms ne nous disent parfois rien. Il en est tout de même une dont le nom est connu de tous, Djamila Bouhired. 

Elle naît en 1935 à Alger, dans une famille de classe moyenne. C’est durant ses années d’études qu’elle rejoint le FNL. Elle devient une fidayate en intégrant rapidement le « réseau bombes”, qui a vu le jour au sein de la branche militaire du FLN et qui était composé de scientifiques reconvertis en chimistes.

Elle fut la collaboratrice de Yacef Saâdi, chef de la zone autonome d’Alger qui était en possession d’un stock de bombes. Il utilisa des militantes pour faire sortir les explosifs de la Casbah et les déposer dans les quartiers européens. Yacef Saâdi avait choisi des objectifs en plein centre d’Alger : la Cafeteria et le Milk Bar, lieux de réunion des jeunes Européens d’une classe sociale assez élevée, et le hall d’Air France dans le grand immeuble Maurétania. Pour mener à bien sa mission, il s’est tourné vers les militantes de milieux bourgeois  qui passeraient facilement pour des européennes. Selon lui, leur savoir-être leur permettraient de franchir sans encombre les barrages de sortie de la Casbah.

Djamila Bouhired faisait partie de ces femmes. Le 30 septembre 1956, vêtue de son haïk, elle se rendit au rendez-vous fixé par Yacef Saâdi sans savoir ce qui l’attendait. À 18h, elle devait poser trois bombes à Alger. C’était la première fois que le FLN allait déposer des bombes. Mais après l’attentat de la rue de Thèbes, orchestré par l’Organisation de la résistance de l’Algérie française, faisant 80 morts et 14 blessés, le FLN avait promis vengeance au peuple algérien. Pour Yacef Saâdi, c’était également un moyen pour se faire entendre pour que la révolte algérienne soit prise au sérieux. 

Sous son haïk, Djamila Bouhired portait une robe légère imprimée et elle avait apporté un sac de plage. Yacef Saâdi lui tendit une boîte en bois vernie qui contenait les bombes cylindriques. Elles étaient assez encombrantes et représentaient en volume l’équivalent de deux kilos de sucre. Djamila l’enfourna dans son sac et y déposa par-dessus un maillot de bain, une serviette de toilette et de l’huile solaire. Comme prévu, elle n’a eu aucun mal à quitter la Casbah. Un sourire, une plaisanterie auront suffit aux soldats.  

“Fumier !”

Djamila Bouhired aurait déposé sa première bombe au Milk Bar, un glacier réputé d’Alger. L’explosion eut lieu à 18 h 35. Trois jeunes femmes ont été tuées, et on a dénombré 60 blessés dont de nombreux enfants. Cet attentat a marqué le début de la bataille d’Alger. La vague d’attentats ne faisait que commencer. 

Le 26 janvier 1957, vers 17h30, trois bombes à retardement ont explosé presque simultanément. On a fait porter la responsabilité de l’attentat de la brasserie du Coq Hardi à Djamila Bouhired. La bombe a explosé sous un guéridon, au centre de la terrasse vitrée. Trois Européennes ont été tuées. Tout le matériel a été détruit et les vitres pulvérisées. 

Elle est ensuite capturée le 9 avril 1957 par les forces françaises puis blessée à l’épaule dans la fusillade qui s’en est suivie. Porteuse de documents prouvant qu’elle était en contact avec Yacef Saâdi, elle est interrogée par un officier du service de renseignements, et torturée pour qu’elle avoue où se trouve la cache de l’indépendantiste. 

Mais elle n’a livré que des adresses sans importance et des informations déjà révélées par les documents saisis. Pendant son interrogatoire, malgré les épisodes de torture, elle a, à plusieurs occasions, fait preuve de désinvolture envers le capitaine français qui l’interrogeait et répondait fréquemment à ses questions par  « fumier ! ».

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Djamila Bouhired, lors de son procès (DR)

Mais ce qui fera d’elle une légende, c’est son attitude dite nonchalante décrite lors de son procès quelques mois plus tard. Jugée par le tribunal militaire du régime colonial français pour terrorisme, inculpée pour sa participation aux attentats, elle est condamnée à mort le 15 juillet 1957. Contre toute attente, Djamila Bouhired éclate de rire. On raconte que son rire a littéralement explosé aux visages des magistrats. Le juge lui a rappelé que l’heure était grave mais rien n’y a fait, l’éclat de son rire a continué de recouvrir la voix de tous ceux présents dans la salle d’audience. Effectivement pour Djamila, l’heure n’était pas grave. Au contraire, l’heure était à la célébration. Que son sort était scellé ou non, à ce moment-là, elle fêtait déjà la libération du peuple algérien ainsi que tous les autres pays colonisés par la France. 

La condamnation de Djamila Bouhired a donné lieu à une intense campagne médiatique menée par Jacques Vergès, son avocat. Avec Georges Arnaud, ils ont écrit un manifeste Pour Djamila Bouhired, publié la même année. C’est l’un des manifestes qui a alerté l’opinion publique sur les mauvais traitements et les tortures infligées par l’armée aux combattants algériens. Soutenue par une intense campagne internationale, elle est graciée en 1959 par le président Charles De Gaulle, puis libérée en 1962 dans le cadre des accords d’Évian.

Après la guerre d’Algérie, la militante s’est faite très discrète. Néanmoins, elle n’a pu empeĉhé son histoire d’en inspirer beaucoup. Le réalisateur égyptienYoussef Chahine adaptera sa vie au cinéma dans le film Djamila, sorti en 1958. Plus récemment, on a pu également l’apercevoir le 1er mars 2019 dans les rues d’Alger où elle a rejoint une manifestation du mouvement Hirak pour protester contre la nouvelle candidature d’Abdelaziz Bouteflika à l’élection présidentielle. Le 19 avril 2019, elle a participé à une autre manifestation pour rejeter le système en Algérie et exiger le passage à une deuxième république. 

Djamila Bouhired est toujours immensément populaire dans les pays anciennement colonisés et dans le monde arabe en particulier. 

Texte : Nadia Benzaaza

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