Depuis le 22 mars, et jusqu’au 8 avril, se joue au théâtre de l’aquarium à Vincennes (Cartoucherie), une adaptation ultra moderne de la pièce de Victor Hugo : « Mille francs de récompense », mise en scène par Kheireddine Lardjam. L’histoire est simple, une comédie à rebondissements traitant des différences sociales, de l’individualisme, et du profit.
Cyprienne vit difficilement avec sa mère et son grand-père. Leurs biens sont sur le point d’être saisis par les huissiers. Un banquier assez malhonnête, Rousseline propose la seule solution : éponger les dettes du grand-père contre la main de Cyprienne, qui en aime un autre, beaucoup moins riche… Glapieu, un repris de justice en cavale, mais au grand coeur, décide de venir en aide à la pauvre famille. Son dégout des puissants et de l’injustice sera-t-il suffisant ?
Je suis si essoufflé que je n’ai pas eu le temps de devenir vertueux. Chien de sort.
Glapieu
Véritable brûlot anti capitalisme, contre les banques, « Mille Francs de récompenses » reste surtout très moderne dans sa dénonciation des inégalités sociales, et des privilèges des plus aisés. Victor Hugo l’a écrite lors de son exil sur l’ile de Guernesey, pendant que Napoléon III dirigeait le pays à l’aide des lobbys financiers. Le poète livre ici une satire assez radicale sur les malversations de la finance, moins dans le romantisme, mais tout aussi engagée qu’auparavant. Il refusa néanmoins de voir jouer cette pièce de son vivant, par contestation au régime. François-Victor Hugo, le fils de Victor Hugo résumera quelques années plus tard, l’ambiance de la pièce : « J’imagine très bien mon père écrivant Mille francs à son pupitre de Guernesey, pleurant d’un œil et riant de l’autre. »
La mise en scène osée de Kheireddine Lardjam peut déstabiliser le spectateur au premier abord. Musique électronique, riffs de guitare électrique, rap, le metteur en scène ne recule devant rien. Selon lui, « les scènes se succèdent comme des plans cinématographiques et Mille Francs de récompense s’avère étonnamment contemporain.” Il utilise des panneaux transparents amovibles en guise de décor unique, que les comédiens transforment sur scène.
Avec sa compagnie El Ajouad fondée à Oran, sa ville natale, il offre une autre vision de cette histoire si française. La France d’aujourd’hui est multiple et diverse. Sa sélection de comédiens aussi. Quand on lui fait la remarque sur l’identité et les origines de ses acteurs, il répond en s’amusant : « Ce n’est pas de ma faute si les meilleurs acteurs que je connais sont arabes ! » Une réponse en pied de nez aux questionnements identitaires sur un prétendu communautarisme lié à ses origines.
Moi, tout m’émeut ; et j’ai la quelque chose ; un gouffre. J’aime l’argent ? Non, j’aime moi. Je veux plaire ; je veux plaire aux femmes ; de gré ou de force ; j’entends plaire ; malheur si je ne plais pas ! Un affront me creuse à jamais. J’ai en moi un soulèvement bouillonnant de lave et de colère. Je souris, ne vous y fiez pas. Je suis bon payeur. La passion, c’est la moelle de mes os. Quand je rends le mal pour le mal, ce n’est pas de la rancune, mais de la vengeance.
Rousseline, Acte III Scène 3
Les personnages centraux Glapieu et Rousseline, les seuls à avoir de longs monologues, véritables confessions au public, sont magistralement interprétés par les comédiens Maxime Atmani et Azeddine Benamara. Le héros malgré lui, petit délinquant au grand coeur, va s’opposer au banquier fourbe et arriviste, sauveur de l’orpheline qui a un plan derrière la tête. Le plafond de verre de la condition sociale des uns affronte l’arrivisme cynique des autres. Kheireddine Lardjam réussit l’adaptation moderne de cette satire sociale sur fond de lutte des classes avec virtuosité et humour féroce.
Mille francs de récompense Mille francs de récompense du 22 mars au 08 avril 2018 au théâtre de l’aquarium
mise en scène : Kheireddine Lardjam
Avec : Maxime Atmani, Azeddine Benamara, Romaric Bourgeois, Linda Chaïb, Samuel Churin, Étienne Durot, Aïda Hamri, Cédric Veschambre