Le confinement a été pour certain.e.s l’occasion de se dévoiler artistiquement. Pendant que certains ont revisité toutes les recettes de cuisine possibles, d’autres se sont lancés dans le carnet de bord en dessins. C’est le cas de Chaïma, jeune étudiante en art qui a lancé le compte « Sa7a Confinage ». Rencontre.
C’est d’ailleurs grâce au compte Instagram Tassa_art, spécialisé dans la revue de presse des artistes d’origine nord-africaine, que nous avons découvert cette pépite, « Sa7a Confinage », tenu par Chaïma. Sur ce compte, elle dessine son quotidien dans ses carnets et nous embarque dans un monde poétique, dans lequel le darija croise le chemin de PNL. L’idée de croquer le portrait de cette jeune artiste nord-africaine sur Dialna était vraiment tentante..
Dialna : Bonjour Chaïma, peux tu nous parler de toi et de ton rapport au dessin ?
D : Comment toi et ta sœur avez-vous vécu votre entrée dans une telle institution d’art ?
C : Arrivée sur place j’étais déboussolée. Avec ma sœur, on se posait souvent la question « Mais qu’est ce qu’on fait là ? » , dans cette prestigieuse école publique du 5ème arrondissement de Paris. Mais on a réussi le concours d’entrée et je veux faire des choses concrètes, je veux être encadrée pour maîtriser une technique et faire de bon dessins. Et à long terme j’aimerais réaliser des films d’animation.
D : D’où vient cette envie de films d’animation ?
C : Cet art touche à la jeunesse, c’est un public qui n’est pas encore pollué par les idées néfastes. J’ai envie de leur apporter un soutien à ma manière, avec le dessin. Alimenter ce manque de représentation, raconter des histoires que nous n’avons pas l’habitude de voir et faire passer des messages, le tout, grâce aux films d’animations.
D : Tu comptes collaborer avec ta sœur, un jour ?
Pour l’instant on étudie aux Arts Déco, mais on ne collabore pas encore ensemble. Mais ma sœur est une personne précieuse dans ma vie. C’est le premier avis dont j’ai besoin. Sans elle, je n’aurais jamais pu passer le concours des Arts Décoratifs. Elle m’inspire dans tous les domaines qu’ils soient artistique, militant, et dans la vie en général ! J’ai hâte de collaborer avec elle, dans le futur.
D : Comment est née cette série « Sa7a confinage » ?
C: De base Sa7a confinage est parti d’un sujet à l’école. On devait dessiner des autoportraits durant le confinement ou encore des objets. Le rendu pouvait être en PDF ou sur Instagram. Sans m’en rendre vraiment compte, je me le suis vraiment approprié. Ce carnet de dessin et ce compte Instagram sont devenus un réel lieu d’expression, et je ne peux plus m’arrêter maintenant, même si le sujet d’études est terminé maintenant ! En fait, j’ai vraiment adopté le bail.
D : Quel est ton processus créatif ?
C : Mes dessins et écrits reflètent l’instant T de mes pensées. Si je vois un tube d’harissa et que je trouve la forme ou la couleur jolie, je vais le dessiner immédiatement. Je vais aussi écrire les mots qui traversent mon esprit, que ce soit des anecdotes, des paroles de rap francais, de l’argot et des mot en darija. Dessiner des objets, c’est aussi un super exercice pour se perfectionner.
D : Quel est la place du Darija dans ton travail ?
C : J’aimerais accorder encore plus de place à cette langue dans mon travail ! Je la comprends plus que je ne la parle, j’ai du mal à finir mes phrases et je rajoute toujours un mot français dans la conversation. Ne pas maîtriser cette langue m’attriste énormément, car c’est celle de mes parents. Le jour où iels ne seront plus là, ce langage partira avec eux. Je l’apprends avec mes dessins et je veux rattraper ce retard grâce à mes créations. Actuellement, je travaille sur un nouveaux projet en rapport avec le darija. Mes parents me parlent français mais quand je vais voir mes grand parents au Maroc, je me rends compte que la conversation s’affaiblit au fur et à mesure par manque de vocabulaire. Je veux créer un lien avec ma famille et je veux que cette langue soit plus présente dans ma vie !
D : Comment organises-tu ton travail autour du carnet ?
C : Avant ma série Sa7a Confinage, je dessinais plusieurs sujets sur un carnet. Et puis, pendant le confinement, j’ai plus pris conscience des formes, couleurs et volumes des objets qui nous entourent. Et depuis, j’organise mon travail autrement. Un carnet = Un thème.
D : Pourrais-tu vendre tes carnets ?
C : Non impossible !! Je pourrais vendre des reproductions sur du beau papier mais pas mes carnets ! c’est comme si je vendais mes journaux intimes, c’est invendable. On a un vrai lien, on est attaché à ces objets, ils font partie de nous.
D: Penses-tu exposer ?
C : Oui j’aimerais bien ! je me sens pas encore légitime à le faire et je suis toujours surprise de voir des gens s’intéresser à mon travail, comme le compte Tassa_art sur IG qui a mis en lumière mes dessins. J’ai eu la chance de travailler pour le collectif Imazireine, elles m’ont fait confiance pour des illustrations. J’ai certainement le syndrome de l’imposteur ! Mais si demain une galerie me propose l’opportunité d’exposer, je dis oui direct.
D : Pourquoi dessines-tu autant d’objets ?
C : Ça dépend des objets, il y en a qui sont devant moi, d’autres sont dans mes souvenirs mais dans les deux cas c’est très sentimental ! Par exemple le tube d’Harissa, ce sont les couleurs, que je trouve vibrantes ! Je kiffe les objets aux couleurs qui pètent ! Mais les objets sont partout autour de nous et sont de super modèles.
D : Quels artistes t’inspirent ?
C : J’écoute beaucoup de musique et ma source d’inspiration numéro un c’est PNL ! J’aime tout chez eux : leurs histoires, leurs codes couleurs, leurs textes, leurs clips, leur fraternité, tout ce qu’ils dégagent ! Ce groupe m’embarque complètement dans leur univers ! JUL est aussi une grande source d’inspiration, il donne la pêche et une légitimité ! Jul et PNL, sont de base des profils lambda et même invisibilisés ou ignorés et maintenant ils sont omniprésents dans le monde de l’art ! Pareil pour Wejdene et Aya Nakamura, j’adore ! Wejdene a accompli un truc de dingue en très peu de temps et c’est remarquable. Je trouve ça important de les mentionner et d’assumer pleinement qu’ils font partis de mes inspirations et de mes références, malgré le mépris de classe qu’il y a autour ! En dehors de la musique, j’aime énormément l’artiste Sara Sadik, elle est très inspirante. Son travail est très important pour moi.
D : Pour finir cet entretien si tu étais :
Une ville : Saint Denis, c’est la plus belle partie de mon enfance, je n’ai que des bons souvenirs sur place.
Un pays : un pays fictif, le pays des descendants d’immigrés nord-africains. Comme ce que Sara Sadik crée à travers son art en fait. Une île exprès pour nous.
Un plat : Un tajine aux pruneaux
Un mot : « Wesh » qui vient du darija et il est aujourd’hui utilisé par toute la jeunesse française, partout en France.
Une chanson : Le monde ou rien de PNL
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Quelle fierté que de voir cette jeune génération suivre un cursus dans ces institutions d’arts si sélectives. Quelle joie de voir tant de talents s’exposer sur les réseaux sociaux, et on espère bientôt dans les galeries du monde entier. Quel honneur d’avoir eu cette une belle conversation avec Chaïma. Force à toi, on te souhaite une belle route artistique.
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