Oumaïma Aït Addi, Oumaïma Baazia, de son nom de scène, est un véritable phénomène dans le monde de la musique traditionnel marocain. Issue de la tradition des Houariates(groupes de chanteuses) à Marrakech, elle manie la derbouka et les percussions comme personne, au point de devenir la coqueluche des réseaux sociaux.
Oumaïma Baazia est une véritable fille du sérail qui a évolué dans un milieu musical, traditionnel, et se tourne assez naturellement vers la musique pour en faire son métier. «La musique coule dans mes veines. Petite, je ne regardais pas les dessins animés, mais j’observais comment ma mère chantait dans les mariages », explique-t-elle. Sa mère, c’est son mentor, elle lui apprend à porter sa voix le plus loin possible et son frère lui apprend les percussions, bendir, taarjia et dabourka !
En effet, sa mère était une Houaria, et dirigeait un groupe dans la ville de Marrakech. Les Houariates sont ces chanteuses traditionnelles qui chantent lors de grandes occasions dans la région du Sud/ Sud ouest marocain. Elles ont souvent des voix éraillées, et divertissent l’assemblée en jouant des percussions et en chantant des paroles parfois érotiques. Les textes de ces chants traditionnels sont ultra codés. La souffrance des émotions fait également partie des thèmes de leurs chants. Dans ces groupes exclusivement composés de femmes, on reconnaît souvent la cheffe des Houariates par le caftan doré ou argenté qu’elles portent.
Des tournées aux réseaux sociaux
La jeune Oumaïma maîtrise tellement bien cet la derbouka, qu’un surnom lui sera donné, « Moulat Derbouka« qu’on pourrait traduire par « La pro de la darbouka » car quand elle a cet instrument dans les bras, il devient une prolongation d’elle-même, personne ne peut venir lui arracher cet objet. C’est une véritable virtuose de cet instrument.
Oumaïma suit alors sa mère dans les tournées, et finit par prendre naturellement le lead au sein d’un petit groupe de femmes percussionnistes. Elle performe au chant et à la derbouka lors d’occasions festives non-mixtes. Sans le savoir les smartphones vont contribuer à sa gloire. Les invitées la filment et postent les vidéos sur les réseaux sociaux. Et là où elle va, elle met le feu ! Oumaïma a tout pour elle. Elle est belle, drôle, souriante, talentueuse, innovante et élégante ! Elle devient célèbre avec la vidéo d’une de ses performances en particulier, que vous pouvez voir ci-dessous.
Le son grésille, l’image tremble et pourtant on se rend rapidement compte de l’énergie et la grâce communicatives d’Oumaïma. C’est du pur empowerment made in Morocco !
Youtube, Whatsapp, Instagram, partout où la vidéo passe, les gens se demandent qui est cette jeune femme incroyable ? On retrouve son numéro de portable sur une chaîne Youtube et là son agenda se remplit à la vitesse de la lumière. En plus d’être une musicienne et chanteuse hors paire, ce sont ses textes ouvertement misandres qui séduisent son public 100% féminin. C’est le cas de ce morceau 3ateh qu’elle chante avec panache. On pourrait traduire le titre par « Donne-lui » ! Cette chanson est cathartique, et permet aux femmes d’évacuer une certaine violence qu’elles gardaient pour elles. Grace au texte et aux percussions de Oumaïma, les femmes se rejoignent entre elles et tapent sur des instruments, des plateaux, pour plus de sécurité !
La vidéo devient à nouveau virale, et toutes les femmes du royaume se réunissent pour chanter à l’unisson cette chanson : « Donne-lui ton poing sur sa bouche si sa bouche ne sert qu’à insulter. Donne-lui un poing sur son coeur s’il ne sait pas t’aimer.. » Cette chanson devient un véritable hymne pour toutes les marocaines.
Un succès qui gêne certains
Le succès grandissant, Oumaïma va même être invitée sur plusieurs plateau télé et certains animateurs ne vont pas se gêner pour la mettre mal à l’aise suite aux paroles de cette chanson à son succès soudain. C’est notamment le cas de Rachid Allali, présentateur du Rachid Show :
Rachid Allali : C’est quoi ton problème avec les hommes ?
Oumaima Baazia : Aucun. C’est une chanson qui divertit c’est tout !
Échange intéressant quand on constate que les paroles misogynes du répertoire marocain n’est jamais relevé, encore moins par ce genre de présentateurs populaires. On pense notamment aux paroles du groupe Tagada qui dit clairement qu’une femme est là pour lui servir la nourriture et lui nettoyer son linge. Si elle ne lui obéit pas, il la répudie sans vergogne. Mais quand une femme joue sur ce registre, elle subit un véritable interrogatoire lors d’une émission télé.(Pour information, cela ne semblait pas déranger Rachid Allali d’inviter sur son plateau en 2014, un chanteur marocain ayant été accusé de viol en 2010, à savoir Saad Lamjarred, ndlr)
Mais Oumaïma n’a que faire de ces esprits étriqués. Sa notoriété explosent et elle cumule les cachets. Elle peut ainsi prendre soin des siens, et devient cheffe d’entreprise. Elle emploie plusieurs femmes dans son groupe, et se constitue ainsi une véritable glam team qui s’occupe de son apparence. Là aussi, elle reçoit des critiques, car maintenant elle se maquillerait trop … À ses détracteurs elle répond par un simple Je vous aime. Quand on lui souligne son succès hasardeux grâce à des vidéos bancales sur youtube, elle répond qu’elle « doit son succès à Dieu et à [son] travail, et personne d’autres ».
Oumaïma n’entre pas dans la polémique. En plus d’être une artiste complète, c’est une femme d’affaires qui emmène ses musiciennes partout avec elle et s’assure de faire rentrer des salaires fixes pour elle et son groupe. Ses musiciennes lui on juré loyauté et protection. Lors d’une interview, sa deuxième percussionniste, Rita a déclaré : « Celui qui fait pleurer Oumaïma me fait pleurer moi et je n’aime pas pleurer. Oumaïma pourra compter sur moi toute sa vie, car elle a changé la nôtre. » C’est un véritable système matriarcal qui l’entoure. Sa mère, sa sœur et son groupe de musiciennes sont sa garde rapprochée.
Le photographe Hassan Hajjaj ne pouvait pas passer à côté du phénomène Oumaïma. Complètement admiratif de la jeune femme, il l’invite dans son studio à Marrakech pour réaliser un portrait d’elle. Les plus grands designers de caftan veulent l’habiller pour ses soirées, les journalistes du nord de l’Afrique se battent pour l’interviewer. Oumaïma devient la joie marocaine incarnée.
Et pourtant malgré le succès, le talent et la reconnaissance, elle n’aspire qu’à une chose, reprendre des études pour explorer une autre voie professionnelle. Elle prend conscience de la difficulté de cette vie, comme elle le déclarait à Chadia TV : « J’ai compris à mes dépends que la vie d’artiste est instable, surtout quand on travail la nuit. Il faut plus d’une corde à son arc pour survivre dans ce monde… » Mais elle en a profité également pour donner des conseils de vie aux jeunes femmes marocaines : « J’encourage les jeunes filles à faire des études, à explorer leur potentiel et surtout de prendre leur temps pour le mariage ! Prenez le temps de choisir un homme bien. Être seule ce n’est pas dramatique. Se marier avec la mauvaise personne, ça peut l’être. Ne cédez à aucune pression. »
Oumaïma a tout pour elle, le talent, la beauté et la lucidité !