[Portrait] Finding Ryad Boulanouar !

Dialna - Ryad Boulanouar

Pour les retardataires, qui n’ont pas lu l’article précédent, je vous conseille de le lire avant d’attaquer cette entretien Looking for Ryad Boulanouar

Enfin on a eu notre rendez-vous au café chic des BOZAR  de Bruxelles, pour interviewer…Le créateur du compte Nickel !

 Alors, alors !!!  On est là ou on est pas  là ? Bon trêve de plaisanterie voici la conversation tant attendu avec monsieur Ryad Boulanouar. Celui qui clame son métier d’ingénieur comme une identité à part entière est enfin dans notre magazine.

Quand on converse avec Ryad, on se dit qu’il est la personnification même de cette citation de Sénèque : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. »

Alors on a osé l’interview dans un endroit « Chichi ponpon » bruxellois, histoire de basaner un peu les lieux,  c’est maintenant, c’est pour vous, c’est dans Dialna 🙂

dialna - Ryad Boulanouar
©noranoor

Dialna : Je suppose que tu as lu mon article. Qu’est ce que tu en as pensé ? Je n’ai pas trop été agressive ?
Ryad Boulanouar : Oui je l’ai lu et je me suis dit c’est une chasse à l’homme, mais ça m’a bien fait marrer.

D : C’est presque ça, j’ai vraiment eu du mal à te joindre..
R.B. : Pas plus tard que tout à l’heure j’ai eu l’appel d’un mec qui s’appelle Mehdi, que je ne connais pas.

D : On peut avoir ton numéro comme ça ?
R.B. : Bah ouais, on arrive à le trouver assez facilement

D : Non moi je l’ai pas eu et je suis bien élevée je ne vais pas appeler les gens comme ça (rires)
R.B. : Quand est ce que tu as essayé de me contacter ?

D : Au lancement du compte Nickel, j’ai essayé de t’approcher, via tes attachées  de presse et ton assistante.
Il réfléchit…
R.B. : Ah si c’est possible, je me souviens de ton mail ! C’est passé entre les maille du filet, car au lancement du compte Nickel c’était l’émeute. Après je te cache pas que j’ai zappé tout ce qui était communautaire, il fallait pas se tromper de combat et rester neutre.

D : Moi, si j’ai voulu t’interviewer ce n’est pas pour tes origines, parce que je trouve cela réducteur, mais parce que tu avais chamboulé le système bancaire.
R.B. : Moi j’aime bien agir, je suis un ingénieur. Pour moi, un problème égale une solution

D : Mais si tu t’étais appelé Jean-Claude ou Pépito, ça n’avait aucune importance, pour moi à l’époque c’était ce chamboulement qui m’a plu.
R.B.: Oui mais j’aurais eu moins de visibilité !

D : Pour ceux et celles qui ne te connaissent pas, je fais une brève présentation. Tu es né à Lyon et tu as grandi en banlieue parisienne. Tu t’es rendu compte très vite que tu avais des facilités à l’école ?
R.B. : Oui je suis né à Lyon de parents algériens, Kabyle et Oranais, je suis un conflit interne (rires). J’ai des facilités à l’école, mais je m’en rends pas compte ! Ça doit faire peut être 8 ans que je réalise que je suis différent des autres. Avant, je pensais que tout le monde était comme moi, réfléchissais comme moi, et ça a donné un grand écart avec le monde. Depuis enfant, je suis passionné par la science et les technologies électroniques, et j’ai fait une école d’ingénieur. Je savais que je voulais être soit chirurgien, soit ingénieur.

D : Tu as ce luxe de savoir très tôt ce que tu voulais faire de ta vie ?
R.B. : Oui très tôt, je savais ce que je voulais faire et j’étais d’ailleurs étonné quand quelqu’un me disait « je ne sais pas quoi faire de ma vie ».

D : Et tu avais cette facilité de pouvoir étudier. Beaucoup de gamins rêvent d’être cosmonaute mais s’aperçoivent qu’ils/elles ne peuvent pas le faire.
R.B. : Je crois qu’on se met beaucoup de limites, c’est une somme de tout, on a un acquis et un inné, c’est un jeu de départ et il y a l’issue du jeu, on peut limiter la casse ok… On peut même avoir un très bon jeu de départ et se planter, tout dépend de comment on va jouer avec les règles.
On est d’accord tout le monde n’a pas les même bases pour démarrer dans la vie , quand on est issu de milieu un peu plus modeste, on peut se dire que ce jeu est un peu plus dur, ce n’est pas facile certes, mais on va développer quelques choses en nous, d’intéressant, d’autres ressources.

D : Il y avait une pression chez toi pour être dans les meilleurs?
R.B. : J’ai eu des parents qui m’ont transmis des valeurs comme l’excellence, et m’ont appris à toujours regarder vers le haut. Mon père était un journaliste, c’était un intellectuel appauvri, on mangeait à notre faim et on ne manquait surtout pas d’amour, on a eu l’essentiel. Après on nous a toujours transmis des valeurs de respect, de travail et d’honnêteté.

D : Au moment de l’orientation à l’école, on ne t’as pas proposé une autre formation ?  
R.B. : Si, parce que j’étais dans un collège pourri, en 5ème on m’a proposé la classe CPPN (Les classes pré-professionnelles de niveau) car j’aimais l’électronique, on m’a dit « si t’aime souder ça va être bien pour toi » . Et mon père m’a forcé à m’inscrire en latin et allemand. Toujours cette notion d’excellence.
Aujourd’hui, je me rends compte que cette exigence était calculée, pour nous assurer un avenir meilleur. Il m’a toujours encouragé dans mes passions. Quand j’avais besoin d’un bouquin technique, il me l’achetait, même si ça coûtait cher ! Il me disait : priorité à l’éducation.

D : A 15 ans, tu perds ton père. Tu n’as plus eu envie d’étudier après cela ?
R.B. : Ouais je pars en cacahuètes, ça été exagéré, mais bon les conneries que va faire un maghrébin sont dix fois plus importantes que les autres. Je n’ai jamais été en garde à vue, j’ai eu des sales fréquentations mais ça va…  Par contre intérieurement je suis effondré, mon père c’était mon socle, un pygmalion. On avait une relation fusionnelle.

D : Quand on est triste et jeune, on fait des choses stupides, comme s’auto-saboter à l’école. Ce sont tes amis de ta cité qui te poussent à continuer tes études ?
R.B. : Ils me disaient t’as l’air d’être brillant, continue l’école. Moi, je ne comprenais pas. Des gens intelligents j’en croise pleins ! Je ne les déconsidérais pas sous prétexte qu’ils n’avaient pas été scolarisés, je les aimais bien.

D’ailleurs cette étape de ta vie me rappelle cette scène Will hunting de Gus Van Sant

D : Il parait que tu poussais les cartes téléphonique jusqu’à 120 unités et tu as créé des décodeurs canal plus pour toi et tes amis ?
R.B. : A 12/13 ans, j’ai fabriqué un décodeur Canal +. J’étais un passionné, j’avais des fers à souder, j’expérimentais tout ! Je démontais et je remontais une télé, c’était passionnant. Après j’ai aimé jouer les hackers, c’était pas pour du business, j’ai fait 10 décodeurs Canal + dans ma vie, dont un pour moi qui m’a permis d’avoir une éducation sexuelle bien avant tout le monde, chaque premier samedi du mois (rire). Ça m’a bien motivé ! Et neuf pour mes amis. Pareil pour les cartes téléphoniques, je crakais par défi.

D : Retour à l’école, tu cartonnes et tu intègres les meilleurs écoles d’ingénieur. On te conditionne pendant ta formation par des messages tel que « vous allez être les cadres dirigeants de demain », mais à la sortie, il n’y a rien pour toi ?
R.B.  : Oui on nous dit vous allez être les élites de ce pays. Et à la fin du cursus, tout le monde avait un job, sauf moi. Je reste 3 mois sans travail, et c’est ma petite amie de l’époque qui m’a pistonné pour rentrer dans sa boite.

D : Quel est ton premier contrat de travail ?
R.B. : La SNCF

D : Très vite tu vas monter ta propre société. Pourquoi ?
R.B. : Je me dis très vite que je risque de m’encroûter la dedans, j’étais le petit jeune qui arrivait. T’as faim et des mecs me disaient ‘vas y doucement !’  On me donnait des trucs à faire, je les bouffais. Après ils m’ont fait bosser sur la recherche billettique et un moment donné je me suis dit ‘ah ca bosse mais en fait c’est moi qui prends le plis’… Je me suis dit ‘c’est bon, il est temps de partir’. J’ai monté ma première boite à 25 ans.

D : Te rends-tu compte que j’ai utilisé quasiment toutes tes créations, Nickel, Monéo, Navigo  ?
R.B. : Navigo c’est pas moi directement, c’est le début de l’expérimentation de la carte. je suis pas derrière, c’est des raccourcis journalistiques et de la discrimination positive, subitement t’as tout créé ! J’ai travaillé en tant qu’ingénieur études et développement sur les cartes sans contact de la SNCF, Navigo c’est la RATP. La SNCF a fait sa carte en 1997 et Navigo est arrivé en 2003. Technologiquement, j’ai fait partie des précurseurs à travailler dessus et je n’étais pas le seul, il y avait une équipe. En revanche le compte Nickel, j’en revendique la pleine paternité !

D : Quel est l’élément déclencheur qui va te donner envie de créer une carte bancaire hors réseaux bancaire ?
R.B. : La première raison pour laquelle j’ai fait ça, d’abord j’estime que j’ai été ultra chanceux. J’ai réussi scolairement, professionnellement et personnellement, j’ai eu tout ce que je voulais avoir ! Je voulais rendre un peu ce que j’ai reçu et aider les gens à s’accomplir et à réussir. Je préfère servir que être servi et j’ai eu une vraie envie d’aider et de réparer une injustice.
On me dit ‘c’est bien vous avez fait une banque pour les pauvres’, moi je réponds ‘pourquoi les pauvres n’ont pas le droit à une banque ?’ Le racisme de l’argent est universel et l’exclusion bancaire, c’est 6 à 8 millions de personnes. J’ai eu envie de me mettre sur ce projet et j’ai pensé aux bureaux de tabac, car je voulais un réseau physique, bien maillé et qui ne juge pas ! Un guichetier de banque ou un réseau de courtier d’assurance juge ! Quand on arrive dans ce genre d’endroit et on pas d’argent c’est anxiogène et si on a de l’argent on a le droit à un ‘Bonjour monsieur, comment vont vos enfants?’, etc. Je suis un provocateur, je suis un gosse qui a du pognon, j’ai des rêves de gosse et on va changer les habitudes ! On va ouvrir dans les bureaux de tabac un compte bancaire pour tout le monde et il n’y aura pas de découvert ! J’en étais tellement convaincu, la promesse est simple et je la tiendrai ! Tout le monde au même niveau.

D : La question qui fâche ? Pourquoi cette vente de  95% des parts à BNP Paribas ?
R.B. : Alors on va déconstruire le schéma, on a été les premiers à créer une banque sans banque. Aujourd’hui, tout le monde s’y met, la Fnac, les opérateurs téléphoniques et autres banques. C’est une vraie concurrence, qui a le budget pour investir dans la publicité. Ça créé une véritable fragilité, et j’ai 200 personnes qui ont pris des crédits pour payer leur baraque. A un moment, il faut savoir être raisonnable. Est ce que j’ai accompli ce que je voulais faire, la réponse est oui ! L’exclusion bancaire n’existe plus et c’est grâce au compte Nickel.

D: Ce qui me perturbe c’est que le système bancaire est tellement tentaculaire, fourbe et compliqué. Tout le monde sait que ce sont des chiffres virtuels, alors qu’avec Nickel je savais qu’en mettant 50 euros sur mon compte, l’argent était dans un coffre. Si ça passe entre les mains d’une grosse boite comme la BNP, les 50 euros seront-ils toujours dans le coffre ? Ou on va encore faire joujou avec mon argent ?
R.B. :  Bah c’est évident que ça va rester tel quel ! la BNP ne veut pas casser le réseau des buralistes, la vérité c’est qu’ils s’ubérisent avant d’être ubérisés

D : As-tu déjà connu un échec professionnel ?
R.B.  : Non je pense et repense mon projet dans ma tête, je le construis et le déconstruis tellement de fois. Je doute aussi et je travaille beaucoup, donc non j’ai jamais raté un projet professionnel.

D : Ta devise, se marrer, aider, changer, se barrer est-elle atteinte pour le compte Nickel ?
R.B. : Oui je me suis marrer à faire chier les banques, j’ai changé les choses et j’ai encore pleins de choses nickel à faire.

D : Tu dit aussi que la naïveté c’est une force. Comment peut-on être naïf dans un domaine aussi vicieux que le système bancaire ?
R.B. : Il le faut (ton convaincu) ! Il faut rester enfant !  il n’est pas beau le monde des adultes, il est plein de calculs. Moi, je suis un optimiste qui veut toujours avoir raison et j’ai toujours raison !

D : Pour finir si tu étais  une musique, un film, un plat, un pays, une ville, un mot !
R.B. : Une musique : Black M, Je suis français, elle me fait monter les larmes.  Un petit jeune comme ça qui ne sent pas français, c’est un cri, c’est un déchirement ! La chanson est quelconque mais on se dit mince, on en est encore là !
Un film : Je ne suis pas très cinéphile, mais le film je me mate tous les 3/4 ans c’est Un singe en hiver, d’Henri Verneuil.
Un plat : Un coq au vin
Un pays  : La France
Une ville : Bruxelles
Un mot : Solidarité !

Dialna - Ryad Boulanouar
©noranoor

On espère que notre conversation a été à la hauteur du mec que l’on a rencontré,  un homme intègre qui a le cœur et le cerveau connecté ! Merci Ryad.

Une chose est sûre cher-es lecteur-trices, si je devais tirer une leçon de cet entretien, c’est qu’il est important de se respecter et de s’écouter pour être en connexion avec vos envies, suivre vos passions et valider vos compétences par des formations ou une pratique assidue. Un jour, ce talent sera maîtrisé, il vous apportera beaucoup et il contribuera à la société dans laquelle nous vivons tous. Le parcours de Ryad en est la preuve ! Ne lâchez rien, soyez heureux-se.


Il faut garder la foi en notre vieux cerveau d’homme! Notre plus grande richesse, c’est notre génie créateur.
Isaac Asimov

crédit photo Une ©noranoor

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