Le parcours de Dan Dapper est un véritable american dream. Une vie commencée dans la précarité qui prend toute son ampleur grâce au luxe. Créateur de génie pour certains, faussaire pour d’autres, Dan Dapper a marqué les esprits, participant activement à la black culture américaine. Dialna revient sur ce personnage hors du commun qui a compris l’impact du logo dans la mode.
Dan Dapper est un ancien bookmaker et a brièvement été emprisonné pour consommation de drogue dans sa jeunesse. Il va se promettre de ne plus jamais remettre les pieds dans cet endroit et fera son possible pour faire carrière dans le stylisme.
Sa fascination pour l’élégance des gangsters le pousse à d’abord vendre des costumes à la sauvette. Il ouvre ensuite sa boutique dans le quartier de Harlem. La façon dont le hip-hop et les vêtements se sont mutuellement influencés est sous-estimée dans l’histoire de la mode. Ce mouvement artistique révolutionnaire, via des sons, photos et clips a généré des milliards de dollars pour des grandes marques telles que Gucci, Fendi ou Louis Vuitton. Pendant longtemps, nous n’avons vu aucun artiste issue de cette culture poser pour des campagnes publicitaires ou être à la direction artistique de ces marques.
S’il y a bien un homme à avoir compris qu’il tenait un nouvel univers entre ses mains, c’est Don Dapper. Sa façon de voir le vêtement, le style et le logo est de l’ordre du pur génie. Eric B., Rakim, LL Cool J et Salt-N-Pepa, toutes ces légendes du hip-hop sont venues s’habiller sur mesure chez Dan Dapper, le tailleur de cette nouvelle culture.
A 77 ans, Dapper pense comme un historien, philosophe et sociologue. Ses analyses sur la mode et la société sont pertinentes, c’est un véritable old timer, tourné vers l’avenir.
La pauvreté et l’art de la débrouillardise
Dan Dapper, de son vrai nom Daniel Day est né le 8 août 1944 à Harlem. Son père était fonctionnaire et sa mère s’occupait de ses 9 enfants.
La famille Day vivait dans un petit appartement. Quand Dan Dapper parle de son enfance, c’est toujours avec beaucoup d’humilité, car il compare son parcours à celui de son père qui a dû quitter le sud des Etats-Unis pour aller à New York. Pourtant, la vie de ce jeune homme est tout sauf simple, famille toxicomaniaque, noire et pauvre, habitant dans les quartiers d’Harlem dans les années 40/50, bien avant le mouvement pour les droits civiques, un monde d’apartheid et de pure violence.
Pour survivre, Dan Dapper cire des chaussures, alors que les siennes sont trouées et bourrées de papier journal pour ne pas avoir froid l’hiver. Il parie sur des jeux de hasard comme le lancer de dés ou revend des vêtements à la sauvette. Daniel a cruellement manqué dans sa vie, mais les vêtements restent une frustration qu’il doit éteindre ! Il fallait s’en sortir et rien dans ce monde n’a autant de pouvoir qu’un vêtement sur un corps pour une radicale transformation.
En 1976, son frère et lui vendent de la drogue dans les rues de New York. Ils se font arrêtés et passent par la case prison. Durant son incarcération il se jure deux choses, ne plus revivre dans la pauvreté et ne plus jamais refaire de la prison. Sur place, un programme éducatif est organisé pour les détenu. Il passera donc son bac avec des lycéens, à l’âge de 33 ans. Une fois sa peine terminée, on lui propose une bourse pour l’université. Il va préférer l’option voyage et part à la découverte du bassin méditerranéen et de l’Afrique. Vivre au rythme de l’habitant, casser sa zone de confort et surtout observer le monde qui l’entoure.
« Si tu veux étudier une fleur, tu dois d’abord étudier sa graine, essaie toujours de comprendre l’origine des choses… »
Après ces années de prison, le passage au lycée et les voyages, il retourne aux Etats-Unis avec une vraie vision. Dan Dapper a pris le temps de dessiner le patron de sa vie. Comme beaucoup de personnes pauvres, il développe un sens aigu de la débrouillardise et comprend vite sa zone de génie, c’est-à-dire maîtriser les jeux de hasard et les vêtements. Ces deux ingrédients vont être la base de son succès. Il parie, joue et gagne beaucoup d’argent, mais au lieu de le dépenser n’importe comment, il va injecter ses gains dans l’achat d’une boutique de vêtements à Harlem qui portera son nom « Dan Dapper Boutique ».
Harlem, c’était le quartier pauvre de Manhattan et dans cette boutique, Dan Drapper, va créer sa vision « Art life », dans un quartier où il n’y a avait pas d’opportunité d’avenir, où le champ de vision était proche de zéro.
« Le monde veut ressembler à New York et New York veut ressembler à Harlem ! » Vogue 2020
Il va créer et vendre des vêtement, mais aussi connecter les gens entre eux en transformant Harlem en quartier avant-gardiste. Avant d’habiller une personne il pose ces deux questions : « De quoi veux tu avoir l’air ? Comment veux-tu te sentir ? » « Par exemple moi, j’ai voulu ressembler aux mecs du ‘Rat Pack’ et me sentir comme un gangster », a-t-il déclaré à la presse.
Dan Dapper a compris le concept du sur-mesure. Il boost le self-esteem de ses client.es. En sortant de sa boutique ce n’est pas juste des vêtements que l’on achetait mais un style, une attitude et une vision pour aborder son avenir. Pour lui, les humains sont des créatures qui aiment se sentir uniques et être traités de manière exclusive. Dapper ne se contente pas de vous habiller, il vous programme mentalement pour affronter ce monde.
« Je ne dirais jamais d’une personne qu’elle est laide physiquement. Ce sont ses actions et son attitude qui le sont ou pas. Pour moi, dans la mode, la notion de laideur ou beauté n’existe pas ! Il y a la force ou la faiblesse… Alors comment avez- vous décidé de vous présenter au monde ? » Radio HOT 97 2019
L’ouverture d’une boutique était la suite logique pour cet homme qui ne voulait pas gagner sa vie uniquement dans la rue, en portant de beaux costumes. Il lui fallait un endroit où il pouvait créer son univers à base de soie, de fourrures et de cuir crocodile (d’ailleurs, il fut le premier commerçant à vendre de la fourrure à Harlem). Sa boutique allait être l’extension de sa personnalité et de son ambition, un lieu ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, au service du style. Quand les hommes du grand banditisme d’Harlem apprennent qu’il est le seul à fournir des manteaux en fourrure, sa réputation et son chiffre d’affaires explosent dans les 5 quartiers de New York. La machine à succès est lancée.
Logo, hip-hop et richesse
Dan Dapper est un commerçant prospère. Un jour, Jag Jackson, l’un des plus grand dealer de drogues à New York rentre dans sa boutique avec une pochette Louis Vuitton, toute la clientèle sur place était fascinée et excitée de voir cette pochette sous le coude de cet homme. Dan Dapper observe cette fascination et pose la question à ses client.es : « Pourquoi vous mettre dans un tel état pour une pochette en vinyle, vous voyez bien que ce n’est pas du cuir ! »
Les clients répondent avec ferveur « mais tu te rends compte qu’il avait sur lui une pochette Louis Vuitton ! »
Dans Dapper va appliquer ses concepts à lui-même, c’est-à-dire observer un évènement à sa racine. Pourquoi les gens étaient si excités de voir ces deux lettres entrelacées ? Et là il a une révélation, les Etats-Unis sont un logorama géant, la pyramide sur le dollar, l’aigle dans les institutions, le M de McDonalds. Le sigle a une telle puissance dans ce pays, que les gens seraient prêt à payer cher pour être des sponsors ambulants. Si ces clients étaient excités à l’idée de voir un logo, que pourrait-il se passer, si ces personnes avaient ces logos partout sur le corps ? Il tient la clef de son nouveau concept. Il va donc étudier les matières textiles et faire imprimer des km de tissus avec les logos d’essentiellement trois marques : Fendi, Gucci et Louis Vuitton. Ces tissus seront utilisés d’une manière complètement novatrice, il va créer des manteaux en fourrure réversible avec ces fameux logos. D’un côté on avait un manteau en fourrure et de l’autre un manteau Fendi ou Gucci.
Dan Dapper ne se contente pas d’habiller les hommes de son âge, il habille tout le monde ! D’ailleurs pour lui la force de la vie, c’est de parler à un maximum de personnes, d’univers et d’horizons différents. Et dans toutes ces tribus urbaines, ce sont les jeunes rappeurs, cherchant à se démarquer au niveau du style en côtoyant des gangsters, qui s’intéressent à ces créations. Le rap explose à l’international et ces jeunes artistes commencent à se faire plus d’argent que les gangsters en question. De nombreux morceaux de rap font d’ailleurs référence à Dan Dapper au fil des années.
Erik B et Rakim, LL cool J, Slick Rick, Big Daddy Kane, Boogie Down Production, Queen Latifah portent tous ses créations. Mais celle qui marquera les esprits, c’est Diane Dixon, championne olympique. Fidèle cliente, elle lui demande de réaliser une veste iconique. En réponse à ses deux fameuses questions, elle lui répond : « Je veux avoir l’air d’une femme qui porte de la haute couture et me sentir spéciale ! «
Il va créer pour Diane Dixon une veste en fourrure avec des manches bouffantes gigantesques et il va utiliser un tissu imprimé Louis Vuitton. 30 ans après, on lui parle encore de cette création. La machine Dan Dapper marche fort, il emploie toute l’année 23 couturiers, 12 qui travaillent le jour et 11 la nuit. Il ouvre un entrepôt de 200 mètres carrés pour stocker ses tissus et 3 autres boutiques dans la même rue ! Dan Dapper surfe sur l’euphorie de la croissance économique.
Ses créations saisies
MTV rap (a l’époque où la chaîne s’intéressait à la musique) fait un reportage sur la boutique de Dan Dapper. Cela arrive donc aux oreilles des dirigeants de Fendi, Vuitton et Gucci. Ils se demandent qui est ce Dan Dapper qui utilise leur logo, dévalorise leur image de marque et se fait en plus de l’argent sur leur notoriété (Gucci n’a jamais attaqué Dapper en justice).
Ensemble ils montent un dossier enquête contre lui et Fendi lance les attaques, le FBI prend d’assaut sa boutique pour saisir plus 250.000 dollars de marchandises sous la surveillance de maître Sonia Sotomayor qui représentait la marque. Elle est d’ailleurs aujourd’hui juge à la Cour suprême des Etats-Unis. Au moment de la saisie elle n’en croyait pas ses yeux, comment dans une boutique si simple, on a pu créer autant de vêtements de luxe basés sur du faux !
Du jour au lendemain, Dan Dapper se retrouve ruiné. Il vit dans sa voiture, quitte New York et ère dans les plus grandes villes ou la culture noire est dominante, comme Chicago ou encore Atlanta. Il survit pendant des années en vendant des pièces de vêtements qu’il a dans son coffre. « Apprendre de ses succès et de ses échecs, j’ai eu accès aux deux ! Je n’ai pas peur de perdre car j’ai grandi avec cette idée que je n’ai rien à perdre. » Ashley Graham youtube channel 2020
Dan Dapper a toujours été préparé pour la bagarre ! Il savait que les choses allaient changer, une nouvelle révolution allait tout frapper sur son passage, celle du numérique. Une majorité de gens sur terre possède un ordinateur et une connexion internet. Des communautés virtuelles de fans vont s’organiser autour de ce créateur hors norme.
La force des réseaux
Au début des années 2000, Tom Ford est le directeur artistique de la marque Gucci, il reprend la multitude de logos sur les imprimés, comme Dapper. Ford dira qu’il lui rend hommage car il a été influencé par Dapper et ses créations. Il n’y a pas plus de réactions que ça sur la toile. Mais quand, en 2017, Alessandro Michele, nouveau directeur artistique de Gucci réalise à l’identique la fameuse veste iconique, les fans de mode et les internautes noirs s’insurgent !
Cette veste est une création de Dan Dapper. Pour ces fans, s’inspirer c’est une chose, voler c’en est une autre. Une véritable tornade numérique s’abat sur Gucci. Le fils de Dapper va voir son père et lui fait lire les commentaires sur les réseaux. Dapper ne comprend pas cet élan de solidarité envers ses créations et sa personne. Il se dit que lui a copié les logos donc ces logos peuvent bien copier ses créations. Il a aussi normalisé dans son esprit que les personnes blanches volent les créations et cultures des personnes de couleur, donc une veste en plus à quoi bon s’énerver… Mais la nouvelle génération a vraiment crié NON. Gucci doit rendre ses lettres de noblesse à Dan Dapper et les internautes demandent réparation ! Face à cette tension médiatique, la marque appelle le fils de Dan Dapper, pour parler d’une éventuelle collaboration, Gucci leur donne rendez vous à New York. Il va leur donner une réponse magistrale d’élégance! » Vous vous prenez pour une compagnie sérieuse ? Vous m’avez saisie financièrement pendant 20 ans de ma vie et plagié. Si vous voulez parler sérieusement, c’est à vous de venir à Harlem ! » NPR podcast 2022
Et la marque se déplacera dans le quartier d’Harlem. En imposant cette rencontre, Dan Dapper répare son humiliation et réécrit l’histoire de ce quartier. Il a d’ailleurs filmé la venue des cadres dirigeants de la marque pour garder une trace dans les archives de la ville. A ce moment des personnes de la communauté noire lui conseillent de ne pas travailler avec cette marque, de ne pas pactiser avec le diable. Il leur répondra, « Pour naviguer à l’intérieur d’un système, il faut comprendre ce système ! » NPR podcast 2022
Pour lui la définition de l’appellation black excellence, c’est de s’impliquer pour une grande cause, progresser vers un autre niveau de vie. Il faut entrer dans ces grandes corporations pour apprendre et prendre ce qu’il y a prendre ! Son deal avec Gucci, c’est de créer des pièces comme il le faisait dans les années 80, utiliser les matières et imprimés de son choix en exclusivité pour la marque. GUCCI X DAPPER ont ainsi créé plusieurs collections ensemble. Cet homme né dans les années 40 a réveillé cette marque à l’internationale. Sa collaboration avec une telle maison lui ouvre un nouveau chapitre où il laisse sa créativité exploser, dans des collaborations avec une jeune génération sur de nouvelles formes et matières. Il encourage aussi les personnes noires à être propriétaires de leurs propres marques de luxe, à créer en fonction des personnes qui les entourent. « C’est à nous les créateurs de nous adapter à notre public » NPR podcast 2022
Cet homme est heureux de voir cette jeune génération créer et rêver, lui qui n’avait pas le droit d’espèrer, qui lorsque il allumait la télé ne voyait que des personnes noires au service de blanc.hes. Il se dit chanceux d’avoir vécu cette vie, dans laquelle il a pu voyager, créer, s’enrichir et voir un président noir dans cette fameuse télé. Harlem est toujours le quartier de Dan Dapper, vous pouvez le voir marcher dans les rues de cette ville et si vous ne voulez pas le vexer, demandez lui un autographe ou un selfie, la reconnaissance c’est la finalité de toute sa vie et quelle vie !
« Si vous me voyez dans les rues d’Harlem venez me saluer et me parler ! Je suis resté dans ce quartier pour être accessible, mon histoire c’est l’accessibilité ! » Dan Dapper