La danse comme lutte spirituelle pour la survie. C’est ainsi que l’on pourrait résumer la carrière déjà riche d’Ahmad Joudeh, danseur syrien, réfugié aux Pays-Bas. Passionné par la danse depuis son plus jeune âge, ce jeune homme est aujourd’hui l’un des danseurs les plus réputés au monde. Retour sur la carrière et le parcours de cet artiste.
Quand on voit danser Ahmad Joudeh on ne l’oublie pas. Sa stature reste gravée dans notre esprit, ses mouvements nous embarquent dans un tourbillon de poésie. Celui qui a brillé de mille feux à l’entracte de l’Eurovision cette année nous fait découvrir un univers, dans lequel il a créé un langage corporel propre à son histoire.
Avec Ahmad Joudeh, le travail acharné touche l’excellence. Roobzeh Kabol a d’ailleurs réalisé un magnifique documentaire Dance or die, sorti en 2017, qui montre tout son talent. Bien plus qu’un spectacle de danse, les chorégraphies de Ahmad Joudeh sont des prières spirituelles.
Tout commence à Damas en Syrie, où Ahmad Joudeh voit le jour en 1990. De père palestinien et mère syrienne, il grandit dans le camp de Yamouk réservé aux réfugiés palestiniens.
« J’entendais toujours le mot « réfugié » sans même en connaître sa signification. » Ahmad Joudeh, Conférence TEDX Dance or Die
Très bon à l’école qui se trouvait dans le camps, il gagne un jour l’autorisation d’assister à un spectacle en dehors du camps. À 8 ans, il va donc découvrir la sublime cité de Damas, et va assister à un ballet pour la première fois de sa vie. Sur scène, 6 jeunes filles dansent. Il se met alors à imiter leurs mouvements alors qu’il est dans l’assistance. C’est un coup de foudre immédiat entre le jeune Ahmad et cet art. Il se fait la promesse de devenir danseur classique. Pour cela, il danse en cachette dans sa chambre et s’entraine comme un fou. Un jour, sa mère le surprend et voit son potentiel. Elle l’encouragera à être danseur.
À 16 ans, il auditionne auprès de la compagnie Enana. Il est retenu et débute des études de danse classique et moderne au Conservatoire de Damas, ainsi qu’une formation de gymnaste. Sa mère le soutient mais son père désapprouve. Il brûle ses vêtements de danse et l’enferme dans sa chambre. Ahmed est opiniâtre, et lui crie « Plutot mourir que d’arrêter la danse ! » Le patriarche finit par quitter leur famille.
Les blessures ne manquent pas dans le parcours d’Ahmed mais il a toujours su aller de l’avant et transformer le négatif en positif. Grâce à la danse, Ahmad voyage et se produit notamment au Qatar, en Algérie, en Tunisie, en Jordanie et au Liban. Il est reconnu pour son art dans le monde arabe et en Afrique du Nord. Hélas en 2011, la guerre civile éclate en Syrie. Le pays vit alors une déstabilisation économique et sécuritaire comme jamais. Ahmad assiste impuissant à la destruction de sa maison et il perd cinq membres de sa famille. La faim, le froid, la peur, Ahmad subit l’obscénité et la barbarie de la guerre. Alors qu’il est témoin de la mort d’un enfant lors d’une bataille à Damas, sa conscience sociale et politique se réveille. Il s’implique alors auprès des enfants orphelins de la guerre, en se joignant aux activités de SOS Villages d’Enfants Syrie et met ses compétences au service des plus démunis. Il a organisé des spectacles de danse pour collecter des fonds et organise des ateliers pour les orphelins dans leurs villages, afin de voir des sourires s’accrocher sur les visages de ces innocent.e.s.
La danse est sa vie, il danse pour oublier les traumatismes, pour exister et pour résister. En raison de ses activités artistiques, il a reçu des menaces constantes de la part de Daesh. En réponse, il s’est fait tatouer les mots en sanskrit « Danse ou crève » sur la nuque, à l’endroit où une lame tomberait en cas de décapitation. Pour Ahmad Joudeh, danser, c’est exister, renoncer à la danse, c’est donc mourir, ni plus ni moins. Ahmed se met en scène et danse dans les ruines de ce pays à la culture ancestrale (Damas est une des plus vieilles villes au monde et date de 4300 ans avant JC). Il soulève la poussière de ses pas, il déploie ses bras pour emporter la peine loin de ce pays et il se filme pour archiver son histoire, mais aussi communiquer avec le reste du monde.
Comme une bouteille à la mer, une de ses vidéos va trouver un destinataire. En août 2016, le combat d’Ahmad Joudeh en Syrie a fait l’objet d’un reportage dans un journal de la télévision nationale néerlandaise. Il a été diffusé dans de nombreux pays par la suite, notamment au Royaume-Uni et en France. Touché par l’histoire d’Ahmad et son déterminisme, le Ballet national néerlandais a lancé « The Dance For Peace Fund », pour le soutenir dans ses activités. Il est alors invité en Hollande. En octobre 2016, il obtient un statut officiel de réfugié aux Pays-Bas. C’est dans cette vieille Europe qu’il retrouve son père, réfugié dans un centre d’accueil à Berlin. Après tant d’années de séparation, ils finissent par se réconcilier et Ahmad finit par poser ses valises à Amsterdam.
« J’attends le jour où je pourrai danser pour la libération de Damas, quand les terroristes auront été expulsés du pays. Ce sera une fête pour chaque citoyen », avait-il déclaré.
Une fois en Europe, il prend un nouveau départ. Toujours boulimique de travail, il se produit à l’international en tant qu’artiste indépendant et ne laisse personne indifférent. Chaque pas est travaillé avec acharnement. Quand il se produit sur scène c’est comme s’il jouait sa vie. Il continue à contribuer à des événements de sensibilisation à la situation des réfugiés et soutient les victimes de guerre. Combattant de la danse, il collabore avec des grands noms du spectacle et avance dans son parcours d’artiste. Ahmad Joudeh ne prend rien pour acquis. Chez lui, tout est une question d’étape dans la vie.
« Le contraire de la guerre n’est pas la paix, c’est la création. Pour moi, être capable de créer une œuvre au beau milieu de la guerre, est une bénédiction que je porterai toujours avec moi ». Ahmad Joudeh, Conférence TEDX Dance or Die
Quand la lumière du plus grand show télévisé au monde se braque sur lui, la magie opère. Il fallait le voir briller de milles feux à l’entracte de l’Eurovision 2021 à Rotterdam. Oui, il fallait le voir cet éclat sur son visage, la spiritualité de son costume, la précision de sa chorégraphie et son regard magnifique. En réunissant tout ces éléments, Ahmad nous a offert un pur moment de grâce.
Donc si un jour ce grand artiste passe dans votre ville, parez-vous de votre plus belle tenue et allez le voir sur scène. Faites honneur à cet homme au destin hors normes. En l’applaudissant, vous lui donnerez surtout la force de continuer à soutenir les oubliés de ce monde. Merci Ahmed Joudeh !
Photo en Une © Joe Belial pour InsightDproject