L’artiste multi-casquettes franco-tunisienne Nawel Ben Kraïem a sorti la compilation 3arabic Touch sur le label arabe Believe Arabia pour fêter ses 10 ans de carrière, et son deuxième recueil de poésie, Le Corps don (toujours aux éditions Bruno Doucey), il y a quelques semaines. L’occasion de la retrouver pour parler poésie et influences musicales!
Dans ce deuxième recueil, paru mi-juin, Nawel Ben Kraïem évoque la maternité et les difficultés qu’elle a pu rencontrer pendant ces deux grossesses. Elle a d’ailleurs écrit ce recueil dans une chambre d’hôpital.
“L’impulsion de ce nouveau livre, ça a été un texte écrit dans un moment de déséquilibre, où j’avais beaucoup de problèmes d’asthme, alors que j’étais enceinte. Il y avait cet élan, ce miracle de la vie et quelque chose qui empêchait même la fonction vitale de respirer”, explique-t-elle. “Dans cette sensation de vertige, j’étais comme un couvercle ouvert sur ma propre sensibilité, sur ma trajectoire. Et puis j’étais très poreuse au monde autour de moi”, poursuit la poétesse.
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Elle poursuit la métaphore avec sa grossesse : “Et c’est dans cet état de sensibilité un peu aiguisée, que j’ai écrit le texte qui est au centre de mon nouveau livre, dans une chambre d’hôpital. Je l’ai mis comme un ventre au milieu du livre”, détaille-t-elle.
L’idée de ce recueil, pour Nawel Ben Kraïem, est de montrer comment faire de l’art un engagement sociétal et féministe, le tout sous une forme poétique. “Dans la première et la dernière partie, j’y ai mis des poèmes courts et assez musicaux, qui ressemblent un peu à l’écriture de mon premier recueil de poèmes. C’est une façon un peu cousine de l’écriture de chansons, alors que vraiment, ce texte au milieu s’affranchit un peu de cette écriture-là, et explore presque la poésie en prose”, conclut-elle.
Poésie et musique ne font qu’un chez Nawel Ben Kraïem. Ses influences se mêlent et forment un art unique, reconnaissable entre mille. Alors qu’elle fête ses 10 ans de carrière, à l’occasion de la sortie de sa compilation 3arabic Touch, Dialna l’a fait réagir sur des noms marquants de la musique et la poésie.
Dialna : Mahmoud Darwich
Nawel Ben Kraïem : Il existe un lien intime avec l’œuvre de Mahmoud Darwich, dans mon rapport à l’art. Il paraît, photo à l’appui, que la première grosse scène que je suis allée voir en famille avec mes parents et mes sœurs, c’était un concert de Marcel Khalifa qui chantait du Mahmoud Darwich. Et en effet, quand je lis Mahmoud Darwish, je trouve qu’il y a quelque chose à la fois, d’une poésie de la résistance, mais il y a aussi des poèmes qui nous donnent vraiment l’impression de découvrir un pays. Je suis vraiment touchée par la force de ses images et par la célébration du quotidien. C’est vraiment le lien fort avec la Palestine, en lui redonnant tous ses contours, toutes ses odeurs. Du coup, il y a une sensibilité qui attrape le cœur.
D : Rachid Taha
NBK : Rachid Taha a ouvert une voie très forte, je pense, puisque c’est un des artistes nord-africains auxquels je peux m’identifier le plus dans l’énergie. Avec lui, et comme pour tous les rockeurs, on a le sentiment que l’énergie et l’émotion priment sur la technique. Même s’il a avalé et partagé énormément du patrimoine nord-africain, avec évidemment tous ses codes, tout son vocabulaire musical, on a l’impression que c’est comme un guérisseur sur scène. Et ce qui est le plus important, c’est comment son être est engagé pour faire passer le message plus que d’avoir la note la plus juste possible.
Et cet endroit-là, ce n’est pas forcément quelque chose qui est commun dans le Malouf, dans le Chaabi, dans des choses qui étaient peut-être présentes dans le vocabulaire musical, justement, de la petite fille que j’étais en Tunisie. Entendre nos chansons du patrimoine chantées avec cette approche-là, par Rachid Taha, ça a ouvert une voie pour moi.
D : Cheikha Rimitti
NBK : Cheikha Rimitti, c’est une figure très forte pour moi, d’abord dans sa voix, qui s’apparente à celle de mes grands-mères, à mes grandes-tantes, à quelque chose de bédouin et à mes origines rurales. Je pense que les premières berceuses que j’ai entendues venaient de ce genre de voix, avec ce genre de chant un peu modal. Parce que même si je grandissais à la capitale, toutes mes vacances et tous mes repères affectifs étaient dans des chants de cet ordre-là.
Cheikha Rimitti, je l’ai découverte alors que j’étais déjà musicienne, mais j’ai pu raccrocher du coup un visage de quelqu’un qui aurait pu être une mère ou une grand-mère. C’était fort, parce qu’il n’y avait pas beaucoup de figures de femmes qui sont à la fois compositrices, à la fois poétesses, à la fois chanteuses et qui ont cette espèce de swag éternel sur scène. Pour moi, c’est un peu une queen.
D : Janis Joplin
NBK : Janis Joplin, il y a quelque chose de l’ordre de l’instinct comme pour Rachid Taha, mais vraiment encore plus viscéral et comme quelque chose de l’ordre de la revanche sur scène. Elle avait ce truc de “Je voudrais mourir sur scène parce que c’est là où je peux exister”. Et je l’entends dans son chant, dans l’éraillement, dans un lâcher-prise et aussi dans quelque chose de très électrique, dans son rapport au corps. Voir un corps de femme, avec une telle liberté, ça me parle. On sort de la chanteuse. Il y a quelque chose de l’ordre de la performeuse, dans cette électricité.
Et puis, j’ai aussi été sensible à des endroits de son autobiographie. Je sais que c’était une enfant qui a été très moquée, une enfant très pauvre, très malmenée.
La scène a été pour elle un endroit de compensation, et ça me touche.
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