[Livre] Hassna Aalouach: « Elles toutes, leurs histoires », une enquête sur les féminicides

Dialna - Hassna Aalouach

La journaliste et auteure Hassna Aalouach vient de sortir un livre, Elles toutes, leurs histoires qui revient sur les féminicides commis en 2019, en France. Pour chaque affaire, la journaliste a enquêté afin de comprendre ce qui s’est passé, et surtout qui était chacune de ces femmes assassinées par un homme. Le constat est alarmant.

« J’étais scandalisée par le décompte macabre au quotidien, sans qu’on en sache plus sur ces femmes ». Hassna Aalouach, journaliste et auteure n’en pouvait plus de lire ces chiffres, sans en lire plus sur la vie de ces femmes, des nombreux appels à l’aide. Elle décide donc de s’intéresser de plus près à ces affaires, et à ce que la presse en dit. Qui étaient ces femmes et combien ont-elles été à mourir sous les coups de leurs (ex)conjoints ? La journaliste va alors étudier chaque cas de féminicide recensé, avec sa rigueur professionnelle, et mener l’enquête.

« Plusieurs associations font le décompte et la presse utilise parfois ces chiffres », explique-t-elle. Et ils ne sont pas toujours identiques. Par exemple, pour 2019, le collectif féministe Nous Toutes annonce le chiffre de 149 féminicides. Quant à l’AFP, ils en annoncent 122. Quoi qu’il en soit, le chiffre donne le vertige.

 

Une enquête préliminaire minutieuse

Pour Hassna Aalouach, ne pas avoir de vrais chiffres corrects et vérifiés dessert la cause. Bénévole dans une association de défense des droits des femmes, la journaliste ne se contente pas de ces chiffres. Elle entreprend alors un travail d’investigation sur chacun des dossiers. L’idée première n’est pas d’en faire un livre, mais plutôt d’avoir un décompte sourcé, de « répertorier ces chiffres ».

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Hassna Aalouach : Elles toutes, leurs histoires

D’ailleurs, là où il existait le moindre doute, la journaliste choisit de ne pas le prendre en compte, afin d’être le plus proche de la vérité. « Une fois mon sujet ciblé, j’écarte tout de suite ce qui ne rentre pas dedans, même si cela peut être intéressant. En l’occurrence, les cas pour lesquels on n’a pas la certitude que le conjoint (ou ex-conjoint) est coupable, je les ai écartés », complète-t-elle. « C’est un parti pris, je le sais. Mais pour moi, ce n’est pas rendre service à la cause que de citer des cas sujets à polémique », poursuit la journaliste.

 

Le système judiciaire ne fonctionne pas. Énormément de plaintes sont classées sans suite.
Hassna Aalouach

 

Au delà des chiffres, ce qui révolte Hassna Aalouach, c’est la machine à broyer ces femmes que représente le système judiciaire, et ce, dès le moment où elles dénoncent les violences qu’elles subissent. « J’ai déjà accompagné des femmes victimes de violence, dans des commissariats. Il est très fréquent qu’elles se fassent refouler et qu’on leur refuse la plainte », confie-t-elle. Mais ce n’est pas tout. Réussir à porter plainte ne signifie malheureusement pas que la machine est lancée. « Le système judiciaire ne fonctionne pas. Énormément de plaintes sont classées sans suite. De trop nombreuses femmes continuent de mourir sous les coups de leurs compagnons », déplore Hassna.

La prise en charge de la police est catastrophique : « Rien n’est fait correctement. La première chose que l’on dit à ces femmes, c’est qu’on va les confronter à leur conjoint », explique-t-elle. Rien de pire pour les décourager. Et cela ne s’arrête pas là. Pour la journaliste, c’est tout l’appareil juridique qui est à revoir. « Au moins 10 de ces femmes ont été tuées alors qu’elles avaient appelé l’aide de la police », s’alarme-t-elle. Elle poursuit : « Plus de 80% des violences liées aux féminicides l’ont été dans le cadre de séparation ». C’est dans ce contexte que les femmes déposent une demande de protection. Malheureusement, le sytème peut se retourner contre elles. « Cette demande est alors considérée comme procédure abusive, car il y a déjà une procédure de séparation en cours », explique Hassna Aalouach.

Hassna Aalouach dénonce plusieurs aberrations dans le système judiciaire et la prise en charge des victimes de violence conjugale. Pour elle, il existe deux types de victimes : les mères de famille et celles qui n’ont pas encore eu d’enfants. « Dès qu’il y a des enfants en jeu, la justice fait primer le droit à la filiation sur le droit de la femme. Elles se retrouvent alors dans un vrai engrenage judiciaire, malgré elles », détaille Hassna Aalouach.

 

Droit à la filiation vs droit des femmes

En effet, les femmes n’ont pas le droit de quitter le domicile conjugal avec leurs enfants pour se protéger de cette violence. « Si elles partent, elles se mettent en porte-à-faux avec la justice française. Elles risquent de se voir retirer la garde, car elles ont pris la fuite pour survivre », déplore la journaliste. Soustraire l’autorité parentale du père, dans un contexte de séparation, les place dans une situation où elles sont criminalisées. « La justice est intransigeante dans ces situations.»  Il n’y a pas de circonstances atténuantes pour les juges en charge de ces dossiers :  « Ils n’hésitent pas à convoquer au commissariat ces femmes, et ce plusieurs fois en peu de temps », continue Hassna Aalouach.

 

En France, on ne reconnait pas de manière institutionnelle que la violence faite aux femmes est aussi faite aux enfants.
Hassna Aalouach

 

Cette situation sert les hommes violents qui abusent du système. Ainsi, très souvent, ils portent plainte si leur femme part avec les enfants. La police, très réactive dans ce contexte, convoque rapidement celle-ci. « Donc, elles restent dans le foyer conjugal et continuent de subir ces violences, ou elles renoncent à la séparation. Elles sont prises au piège. En France, on ne reconnait pas de manière institutionnelle que la violence faite aux femmes est aussi faite aux enfants », regrette-t-elle. Une fois la première décision provisoire de justice délivrée, ces femmes doivent alors déclarer leur nouvelle adresse : « Leur conjoint peut venir quand il le souhaite pour voir les enfants. Pour moi, c’est un permis de tuer. Ils ont accès au domicile de la mère, qui est à nouveau confrontée à son bourreau. Ils utilisent les enfants pour continuer à opprimer ces femmes là ».

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Féminicides en 2019 selon « Elles toutes, leurs histoires » de Hassna Aalouach

Les victimes se retrouvent alors dans un étau judiciaire. « Elles n’ont même plus envie de faire appel à la justice », poursuit Hassna.

 

Les rouages d’un système patriarcal

L’autre dysfonctionnement majeur que la journaliste dénonce dans son livre, c’est le recours à la demande de protection. Toute personne nécessitant une protection juridique, notamment dans les cas de violence peut faire cette demande. « Il est dit partout qu’une femme peut à tout moment faire une demande de protection en cas de violence », explique Hassna Aalouach. « Mais dans les faits, c’est différent. Quand une femme passe une première fois devant le juge , une ONC (ordonnance de non conciliation) est délivrée avec un jugement provisoire. Si, parce qu’elle ne peut pas payer d’avocat, ou qu’elle se sent vraiment en insécurité, elle dépose une demande de protection, elle peut être condamnée pour procédure abusive », détaille la journaliste.

 

Le système judiciaire français est une véritable machine de guerre.
Hassna Aalouach

 

Ces femmes doivent alors payer une amende de 800 à 900 euros à leur ex-conjoint. « C’est extrêmement traumatisant pour elles. Le système judiciaire français est une véritable machine de guerre du patriarcat», se désole Hassna.

Au delà des démarches judiciaires entreprises par ces femmes, Hassna Aalouach voulait aussi raconter leurs histoires : « Je voudrais que tout le monde se projette sur leurs vécus, et connaisse les conditions de leurs morts », raconte-t-elle. Un site internet a été lancé en même temps que la sortie du livre, pour le compléter. « On peut y trouver la liste de ces femmes, avec leurs noms et les manières dont elles ont été tuées, ainsi que la date », détaille-t-elle. En racontant comment elles sont mortes, la journaliste leur rend aussi leur humanité.

On parle souvent de femmes « tombées sous les coups de leurs conjoints », mais les statistiques montrent que « près d’un tiers des femmes tuées en 2019, ont été tuées par arme ». Hassna Aalouach précise d’ailleurs que « ces hommes armés ont souvent ont déjà eu des comportements violents, maintes fois dénoncés, sans qu’aucune action concrète ne soit mise en place ».

Le but premier du livre est donc de faire prendre conscience au public de la gravité de la situation. « Il y a urgence et les gens doivent le comprendre. On doit agir », précise-t-elle.

 

Vers une réforme de la Justice ?

Pour aller plus loin dans sa démarche, Hassna a décidé de reverser toutes les recettes du livre au Centre Tristan Flora, un foyer d’hébergement pour femmes battues, et leurs enfants. « Il faut savoir que les subventions publiques pour ces associations ont été divisées par deux, il y a quelques années », énonce-t-elle.

Dialna - Hassna Aalouach
Hassna Aalouach (DR)

Pour cela, Hassna Aalouach a dû choisir l’auto-édition. Hassna se retrouve donc à gérer seule la distribution, les envois, la promotion du livre. « C’est une première pour moi. Pour mon premier livre (Les fruits de la Hogra), j’avais un gros éditeur qui s’occupait de tout ça ». Manque de chance, le livre sort en plein confinement, et tous les événements prévus pour en parler sont annulés : « Je devais aller au Salon du livre de Paris, et faire une petite tournée en province. Déjà que sans éditeur, distributeur, c’est difficile, là, ça complique tout », regrette la journaliste. « Mais on essaye de faire au mieux. Pouvoir en parler à quelques médias, dans un premier temps, ça permet déjà de sensibiliser à la question », déclare-t-elle, rassurée.

 

Si on n’a pas une justice qui est compréhensive envers ces femmes et qui ne les condamne pas, on n’arrivera à rien.
Hassna Aalouach

 

Cette décision, c’est aussi parce que, selon elle, « il n’y a pas de réelle volonté politique de traiter les féminicides ». Les annonces de Grenelle contre les violences faites aux femmes et autres mesures ne sont que « de la démagogie » pour la journaliste. Elle s’explique : « Ce ne sont que des mots, de la communication. Dans les faits, il n’y a rien. Et puis, on ne peut pas dénoncer les violences faites aux femmes, en faire une priorité du gouvernement, et couper par deux les budgets des centres d’hébergement ».

Pour la journaliste, une « réforme complète du système judiciaire » est à envisager : « Si on n’a pas une justice qui est compréhensive envers ces femmes et qui ne les condamne pas, on n’arrivera à rien. Aujourd’hui, on rajoute de la violence institutionnelle à la violence qu’elles subissent de leurs conjoints », déclare-t-elle. Elle n’hésite d’ailleurs pas à mentionner la pétition d’un ex procureur à Douai qui dénonce les divers dysfonctionnements de la justice dans ces affaires, pour sensibiliser au maximum le public.

En effet, les nombreuses associations et centres d’hébergement font de leur le mieux sur le terrain malgré un manque flagrant de budget : « Malheureusement, ces structures ont un champs d’action limité. Ça reste de l’associatif. Et la plupart restent financés par des donateurs en grande majorité », raconte Hassna Aalouach.

La journaliste insiste sur le fait qu’il n’y a pas de profil type de victimes de violence conjugale. « Ça transcende tous les statuts sociaux et âges. Parmi ces histoires, il y a celle d’une jeune fille de 15 ans. Elle vivait à Creil. Quand son petit ami de 17 ans a su qu’elle était enceinte, il l’a tuée et brûlée. D’autres victimes sont des femmes âgées de plus de 90 ans », confie-t-elle. « Ça touche tout le monde. Le problème de fond, c’est l’objetisation de la femme. On l’a vu, les hommes qui tuent le font en grande majorité dans un contexte de séparation, même à 80, 90 ans. Il y a une part de possessivité. Ils considèrent la femme, tous comme leurs enfants, comme leur propriété. Ils n’acceptent pas le rejet, le ‘non‘. C’est un problème central », explique-t-elle.

La journaliste a choisi d’écrire les histoires de ces femmes à la première personne. « Je n’ai pas voulu rentrer dans l’analyse. Je voulais plonger le lecteur dans le quotidien de ces femmes, et de raconter ce qui leur est arrivé », détaille-t-elle. Elles toutes, leurs histoires met en lumière ces faits, ces récits. Le problème n’est pas l’apanage d’un groupe, d’une population. Le phénomène est généralisé, global. Pour Hassna Aalouach, l’éducation des hommes est centrale : « C’est dès le plus jeune âge qu’il faut les sensibiliser, et discuter de cette négation de la femme, de la légitimation de la violence sur elles ».

 

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Hassna Aalouach

Elles toutes, leurs histoires

sorti le 7 avril sur Amazon, et sur le site Ellestoutes.Fr

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