Josué Comoé est un jeune artiste peintre d’à peine 23 ans et fait grande sensation en cette année 2018. Valorisation des peaux noires, vécus de personnes racisées et symboliques religieuses sont au coeur de son art. Il expose actuellement, et ce jusqu’au 8 décembre à la galerie Schwab Beaubourg, à Paris. L’occasion pour Dialna de revenir sur la rencontre faite avec ce jeune artiste talentueux, il y a quelques semaines.
Le monde de l’image n’a plus aucun secret pour Josué Comoé. Mannequin à ses heures perdues, et surtout peintre plasticien depuis quelques années, le jeune homme arrivé en France de Côte d’Ivoire à l’âge de sept ans questionne, par son travail, la place des Noirs dans la société, en bousculant les codes artistiques.
Depuis son plus jeune âge Josué est attiré par l’art. Le besoin de créer, d’exprimer ce qu’il a en lui est palpable. De nature plutôt réservée dans son enfance, le dessin devient son échappatoire. « Quand j’étais plus jeune, j’avais énormément de mal à m’exprimer, je parlais très peu, et en grandissant j’ai réalisé que c’était plus facile de le faire par des médiums comme le dessin, ou tout ce qui était manuel », confie-t-il, hésitant, en début d’entretien. Il décide donc d’y consacrer ses études, dès le lycée, malgré le scepticisme de ses parents, qui ne comprenaient pas sa passion. Un de ses professeurs croit en son potentiel et le pousse vers une classe préparatoire. Un chemin tout tracé dans la voie qui le passionne ? Pas sûr …
Cette voie est source de malaise pour lui : « C’était violent », raconte-t-il, encore touché par ces évènements. « Je ne m’y sentais pas bien, surtout dans mon travail. Les classes préparatoires, les écoles d’arts sont des systèmes où tout est fait pour vous dégouter de l’art en réalité. Ma présence ne servait à rien. Les enseignants ont été blessés dans leur égo d’artistes. Que je fasse mon dessin là, ou chez moi, où était la différence ? » Il regrette de ne pas avoir pu y développer son propre style, ni fournir une réflexion solide sur son art. La sentence est sans appel : « C’est arrivé au bout de trois mois seulement, et ils m’ont viré de la classe prépa. »
Josué Comoé ne baisse pour autant pas les bras, et ne désespère pas. Il continue à dessiner chez lui, pour préparer, seul, les concours d’entrée aux grandes écoles d’art, et poursuit sa carrière de mannequin, entamée pendant le lycée. Le jeune homme décroche le concours d’entrée aux Arts Déco. Son ancien établissement lui demande d’intervenir en classe pour évoquer son parcours, et surtout, raconter comment la classe préparatoire l’avait aidé. C’est l’incompréhension pour le jeune homme : « Quelle hypocrisie de leur part! » Josué Comoé est encore désabusé de leur comportement. « Quand j’ai parlé aux élèves pour leur dire qu’un autre chemin était possible, l’enseignante a essayé de minimiser mon discours, en disant que j’étais une exception. C’était surtout ma volonté de mettre fin à cette mascarade. » Le jeune artiste voit cette situation comme un déblocage majeur chez lui, et prend les choses avec une grande maturité pour son âge : « Après ça, j’ai réellement réussi à parler de mon travail, comme il fallait. Je n’avais plus peur, plus de barrières. »
Un milieu artistique où le racisme prévaut
Josué fait preuve d’une grande lucidité sur le milieu de l’art, et de maturité sur les rapports humains, surtout quand on est issu d’une minorité. Il n’en reste pas moins sensible aux rapports de force, et à ce qu’on appelle les micro-agressions liés au racisme. Déjà en classe préparatoire, il doit faire face aux réflexions de certains professeurs : « Il y avait du racisme de leur part, sauf qu’ils ne le voyaient pas. Si on faisait un dessin, on avait droit à un commentaire du genre: “Ça me rappelle tel artiste africain”, “Ça ressemble à de l’art primitif”, ou à des références aux masques africains. Tous les élèves noirs y ont eu droit, quelque soit notre style artistique. » Le passage en école d’art est pire pour Josué. Il est le seul Noir de l’école. Racisme, fétichisme, la violence vécue est infernale : « Il y a eu une vraie cassure. Très vite, il y a eu une gêne, même avec les autres élèves », confie-t-il. « Souvent, quand tu es le seul Noir, les gens veulent que tu sois le plus beau, le plus gentil, le plus drôle. Je devais être celui qu’ils attendaient. Même sans le vouloir, tu finis par le devenir. »
Le jeune artiste dénonce également un fétichisme très présent, et assez difficile à vivre pour un jeune de son âge, de la part des autres étudiants : « J’étais celui qu’il fallait « gérer ». Certaines personnes que je ne connaissais pas venaient me dire qu’elles m’imaginaient torse nu. Même avec les mecs, j’étais celui qu’il fallait inviter aux soirées, parce que ça faisait bien. Pas parce qu’on m’appréciait, moi. J’avais tout juste 20 ans. Ça blesse constamment. »
La compréhension de son vécu de jeune homme noir est fondamentale, pourtant il ne la trouve pas auprès du corps enseignant. « Un professeur est venu me dire qu’il comprenait ce que je ressentais, car lui aussi avait vécu ça en quittant sa campagne pour la ville … Que veux tu répondre à ça ? », explique-t-il, en souriant. Désemparé, l’étudiant subit alors une dernière attaque avant d’abandonner sa formation. Après les attentats à Paris, un des enseignants le prend à partie et l’interroge : “Est-ce que tu crois en Dieu ?”, “Est-ce que tu ne vas pas venir nous tirer dessus avec une Kalashnikov, toi aussi?”
L’accumulation des attaques racistes pousse le jeune homme à bout : « Ça n’avait pas de sens et la seule raison pour laquelle il m’a dit cela, c’est que j’étais Noir. J’étais le danger dans cette école. Rien chez moi ne pouvait le pousser à dire ça. S’il y avait eu un maghrébin, il aurait pris ces remarques. Je représentais un danger pour ce prof. » Malgré sa volonté d’obtenir son diplôme pour valider ses acquis, Josué prend à nouveau la décision de quitter l’école, lassé : « La violence était trop intense et je ne m’épanouissais pas. J’ai donc arrêté. Je voulais suivre ma voie, faire les choses pour moi, dorénavant. »
On me renvoie à l’Afrique pour mon style, sans chercher à le comprendre, mais on nous refuse de considérer des artistes noirs comme des références.
Josué Comoé, artiste peintre
Cette solitude était également présente dans ses références artistiques. Posé dans les jardins du Louvre pour l’entretien, il confie avoir toujours eu de gros blocages pour fréquenter ce genre d’endroits : « Même pendant ma formation en école d’art. Quand on te demande d’avoir des références classiques, on sous entend des artistes blancs. On me renvoie à l’Afrique pour mon style, sans chercher à le comprendre, mais on nous refuse de considérer des artistes noirs comme des références. Pendant longtemps, je refusais même d’aller dans des musées ou galeries. » À ce moment, le jeune homme cherche à s’identifier à des artistes non blancs, quel que soit le domaine, pour se reconnaitre : « C’est surtout venu de la musique. J’ai beaucoup écouté Kanye West, ou encore le grand jazzman Christian Scott. Encore aujourd’hui, je peins en écoutant sa musique. C’était des personnes qui me ressemblaient tout simplement. »
Aujourd’hui, il apprécie mieux ces lieux, même s’il garde en tête que des jeunes gens comme lui n’y sont pas toujours bien accueillis. Il s’explique : « On ne s’y sent pas toujours à l’aise, parce que tout est fait tout pour que ça ne soit pas le cas. » Même s’il avoue ne pas être un grand fan de Beyoncé et Jay-Z, il reconnaît leur coup de génie, avec la sortie de leur clip, Apesh*t, tourné dans le prestigieux musée, en y imposant leur présence : « Ce que j’ai trouvé fort, c’est de privatiser le Louvre. Ce sont des personnes noires qu’on ne voit pas forcément sur les tableaux du Louvre, ni au Louvre de manière générale. La symbolique est puissante. »
Josué Comoé est également mannequin depuis son adolescence. Mais alors qu’il commence à se laisser pousser l’afro, il voit les contrats se faire plus rares. Auparavant, il avait pu travailler pour de grandes marques internationales, pour des défilés ou des photos de mode. Le jeune homme ne se laisse pas pousser les cheveux par engagement politique, mais il constate rapidement que cette décision l’est, malgré lui : « Encore une fois, on attendait de moi quelque chose que je ne suis pas, et on refusait ce que j’étais. On m’a demandé plusieurs fois de raser mon afro, parfois même alors que le contrat était déjà signé et qu’on m’avait payé le billet d’avion pour aller faire des photos à l’étranger. »
Imposer son propre style
Le rejet de ses identités multiples par la société nourrit la créativité de Josué Comoé. Lui qui avait commencé par le dessin, notamment au stylo bille, pense de plus en plus à la peinture, et change totalement de style. Il garde néanmoins cette volonté de représenter des hommes et des femmes qui lui ressemblent, des personnages noirs, clairement absents des oeuvres d’art. Ses premiers dessins au stylo étaient à l’image de la violence présente dans sa vie : « Elle déteignait sur moi. Je grattais littéralement le papier, je le transformais. Ce qui m’intéressait c’était gratter, me défouler. C’était comme du sport. Ça devenait autre chose que du simple dessin. Ce que j’exprimais alors était très personnel, c’était de la frustration, de l’urgence, une vraie nécessité. », détaille-t-il.
Après l’arrêt de son école d’art, Josué prend le temps, tout simplement. Il a besoin d’apaisement: « Quand j’ai commencé à peindre, j’avais eu le temps de penser à toute cette violence, d’en faire des expériences pour que je puisse les aborder calmement. Ce temps de réflexion a pleinement fait partie de ma création. J’ai appris à penser un tableau, bien avant de le peindre. »
Codes, symboliques, postures des modèles, le peintre réfléchit au moindre détail pour livrer des toiles où la couleur noire est le standard de beauté. Les femmes ont une place importante dans ses œuvres, à l’inverse de celle que la société leur laisse occuper. « Quand je peins des femmes, je ne les représente que très rarement de face. Elles sont le plus souvent de profil, ou de trois quarts. Ce sont elles qui nous regardent, elles nous accordent un peu de leur attention. Elles ont le contrôle. »
Il commence à exposer, surtout en province, Lyon, Marseille. C’est un peu plus difficile de trouver à Paris la structure qui accepte de lui faire confiance, jusqu’à avril dernier. Tous les jours, la petite galerie improvisée est pleine, pour son exposition « La lutte ». En effet pour se faire connaitre, Josué Comoé a utilisé les outils de son temps, les réseaux sociaux. Quelques mois plus tôt, il poste sur Twitter des photos de ses oeuvres, dans un fil où il se présente, lui, et sa démarche artistique, sa volonté de représenter des personnages noirs. Le buzz prend tout de suite, tellement le public attend ce genre de représentations.
Bonjour, je suis josué, artiste plasticien/ aujourd’hui en peintre je réalise actuellement une série de peintures sur une diversité de femmes. je suis à la recherche de 3 femmes voilées avec lesquels je voudrais raconter des histoires sur toile. pic.twitter.com/Tx6Ltkfyok
— Comoe josué (@Shams_detabriz) 9 février 2018
D’habitude, on est dans une sorte de solitude, en tant que racisé, dans un milieu où tu es une minorité. Là c’était l’inverse, les gens étaient touchés et se sentaient moins seuls.
Josué Comoé
Josué est dépassé par l’engouement des internaute « Ça a marché tout de suite, c’était incroyable ! Je n’étais pas prêt. Je voulais simplement que mon travail soit vu. Je ne pensais même pas à exposer mais juste montrer mes oeuvres. Mon “thread” sur Twitter a été énormément relayé tout de suite ! Les gens me répondaient en disant qu’ils adoraient, qu’ils voulaient en voir plus ! » L’intérêt du public grandit au point qu’on le reconnaisse même dans la rue. Les médias aussi se tournent vers lui. Le peintre comprend alors que ses oeuvres répondent à un véritable manque du public, et est dépassé par cette attente : « Les gens me demandaient si il y aura telle toile à mon exposition, si je ferais tel autre dessin. J’ai pris conscience que ce que je faisais parlait aux gens, qu’il y avait peut-être une pertinence, voire un manque, ça m’a tétanisé. Et ça a été un problème pour moi. Je ne voulais pas être un représentant de qui que ce soit, sinon mon travail n’aura plus d’âme. » L’intégrité de sa démarche artistique est primordiale. Le jeune homme comprend que le public se reconnait tout simplement dans ses oeuvres. La pression diminue, il accepte finalement ce rôle : « Ça voulait juste dire qu’on parle le même langage. C’est ce qui compte, on est ensemble et ils me comprennent. C’est ce qui m’a touché. Parce que d’habitude, on est dans une sorte de solitude, en tant que racisé, dans un milieu où tu es une minorité. Là c’était l’inverse, les gens étaient touchés et se sentaient moins seuls. » Une vraie communauté se construit autour de lui. Des connexions évidentes se font entre le peintre et le milieu militant. C’est d’ailleurs une de ses toiles qui sert de couverture au recueil de poésie À nos humanités révoltéesÀ nos humanités révoltées de la blogueuse et militante Kyémis.
Après cette première expérience d’exposition, Josué Comoé se remet à nouveau en question : « J’ai compris mes erreurs et aussi mes qualités. Du coup mon travail prend maintenant une direction thérapeutique aussi, je le comprends mieux. Ce qui est primordial c’est une recherche et expression de ma spiritualité, de mes expériences de vie. Je ne cherche pas à parler au public. Je me parle. Je parle. » Il continue à étudier les symboliques des icônes religieuses, les chiffres, la géométrie, le mysticisme, mais toujours pour donner du sens à la composition de ses toiles. « Je ne cherche pas à me donner un genre, à faire des rituels bizarres. Je veux exprimer que le hasard n’en est pas. Énormément de choses prennent un sens sans qu’on puisse se l’expliquer. C’est ça pour moi la spiritualité. Ça aide à nous prouver à quel point nous ne sommes rien et que ce qui nous arrive est incontrôlable. J’ai envie d’atteindre une certaine transcendance. » Le transcendant pour évoquer des situations très concrètes.
Le coeur de son travail reste la représentation des hommes et femmes noirs, en situation de minorités, ceux dont on ne parle pas. « Les icônes religieuses étaient utilisés dans la peinture pour ancrer dans l’histoire certaines figures. Moi si je veux faire une toile sur les violences policières, je vais utiliser des symboliques religieuses pour en parler. Je veux inscrire ces scènes dans le présent, l’instant, mais aussi le futur, de manière très froide. Je sais à quel point ça va se répéter dans le futur, je sais à quel point cela ne va jamais s’arrêter. C’est un moyen de donner de l’ampleur à ces scènes qui appartiennent à notre quotidien. » Quand on lui demande s’il n’a pas envie d’aller vers de l’art plus conceptuel, ou moins engagé, Josué Comoé est déterminé : « Nos vies sont tellement politiques, quoi qu’on fasse. Ma présence dans ce milieu pose problème à certains, c’est politique. C’est vraiment un privilège de pouvoir le faire. Et puis, à aucun moment je n’arrive à avoir cette légèreté pour peindre autre chose, jamais. Quand je laisse exprimer ce que j’ai c’est ça. Exprimer la violence de nos vies en tant que Noir, que racisé… Ça serait cool, mais ce n’est pas possible… »
L’exposition « Le noir comme couleur » dure jusqu’au 8 décembre à la galerie Schwab Beaubourg à Paris. Josué Comoé est très présent sur les réseaux sociaux, et on vous conseille de le suivre pour prendre connaissance de ses futurs projets.
Le très bon podcast « La petite note vocale de Val » lui consacrera d’ailleurs son prochain épisode, en ligne dès lundi prochain, où il parlera en détails de ses peintures.