[Interview] Nabil Djedouani, l’artisan du patrimoine algérien

Dialna - Nabil Djedouani

Le réalisateur trentenaire Nabil Djedouani s’est donné pour mission de retrouver et restaurer des œuvres cinématographiques et musicales algériennes, oubliées de tous et de toutes. À travers ses multiples projets, le jeune homme crée en suivant une seule et même démarche : revaloriser la culture algérienne que ce soit en Algérie, ou via l’immigration en France. Le Musée de l’Histoire de l’Immigration l’a sélectionné cette saison en une résidence d’artiste, pour la réalisation d’un film autour de la musique, de l’immigration et des violences policières, appelé Rock against Police.

Rock against Police (RAP), est un mouvement né au début des années 80 dans plusieurs banlieues française. Les prises de position sont très claires, et dénoncent les violences policières fréquentes envers les populations issues de l’immigration, notamment maghrébine. Le mouvement produit alors une série de concerts de rock en plein air, au sein même des cités. Ils ont lieu en banlieue parisienne, à Vitry, Nanterre ou Bondy, mais aussi dans les banlieues lyonnaises ou marseillaises. Cette jeunesse, issue de l’immigration et du prolétariat, s’empare de la musique de contestation par excellence de cette époque, le rock. Le projet se place au croisement des problématiques liées à l’immigration, la condition sociale, et la contestation d’un pouvoir considéré comme injuste. Le mouvement s’éteint cependant rapidement, en 1981, et laisse place au tissu associatif. À travers ce projet de documentaire, Nabil Djedouani veut raconter l’histoire de ses oncles, l’histoire d’une population exilée, et sa culture musicale, véritable mélange de genres. L’occasion pour l’équipe de Dialna de le rencontrer pour parler de son travail.

Dialna : Peux-tu nous parler de ton enfance, comment et où as-tu grandi ?
Nabil Djedouani :
Je suis né à Saint Etienne, de parents algériens, avec des histoires migratoires très différentes. Du côté de ma mère, la famille est présente en France depuis mon arrière grand-père, alors que mon père, lui, est arrivé en France en 1970. Le rapport à l’exil n’est pas du tout le même. C’est vrai que je ne sais pas trop me situer quand on parle de première, deuxième, troisième génération d’immigrés. Culturellement je crois que je me sens plus proche des gens de la deuxième génération. J’ai grandi avec mes oncles qui ont fait mon éducation culturelle. Mon père aussi bien sûr, mais quand je vois mes références, je me dis que je ressemble plus à un gars de la deuxième génération…

D : La culture nord-africaine et algérienne était très présente chez toi du coup ?
N.D. :
Du côté de ma mère, on se disait kabyle. Et du côté de mon père, ils étaient plus algériens de l’est du pays, c’était plus une influence arabe, Chaoui, on va dire. J’ai beaucoup baigné dans la musique kabyle, étant petit. Mes grands parents retournaient rarement en Algérie, mais quand ils y allaient, ils revenaient toujours avec de la musique, comme Matoub Lounes, Lounes Aït Menguellet. Ça m’a beaucoup construit. Tout comme les choses plus en rapport avec la France, comme le rap, le rock qui m’ont été transmis par mes oncles. J’ai baigné dans une atmosphère kabyle à la maison, avec tous les voyages chaque été, beaucoup plus dans la région de Tebessa que d’Alger. Je me suis beaucoup construit aussi avec ma famille paternelle pendant ces étés. 

Nabil Djedouani
Nabil Djedouani © Nora Noor

D : Comment as-tu développé ton rapport à l’image ? 
N.D. : Là aussi ce sont mes oncles. Mon père était ouvrier, il faisait les 3×8, je ne le voyais pas beaucoup. Donc oui, mes oncles m’ont initié à beaucoup de choses, notamment le dessin. L’un d’entre eux dessinait très bien et m’a transmis un intérêt pour la bande dessinée américaine. Ça a été mon premier contact avec l’image. Ensuite, il y a eu une sorte de quête qui s’est imposée à moi, en rapport avec mon histoire familiale et la disparition de mon grand-père pendant la guerre d’Algérie. En fait, on n’a pas d’images, de photos de lui. Retrouver une image de mon grand-père est devenue une quête. Retrouver son image et raconter son histoire. Ça m’est venu très tôt dans l’enfance et ça s’est maintenu après jusqu’au choix de faire des études de cinéma pour apprendre à faire des films et raconter ces histoires, faire des ateliers de formation, ce genre de choses. Créer des images pour un jour, raconter cette histoire. Je suis donc allé jusqu’au master en études cinématographiques à la fac de Lyon 2. Déjà, à l’époque mes sujets de mémoire portaient sur le cinema algérien. J’étais déjà très obsédé (rires). Mes démarches actuelles découlent vraiment de ces études.

Le cinéma pour se raconter

D : Comment ton entourage a réagi quand tu as annoncé vouloir faire du cinéma ?
N. D. : J’ai eu la chance d’être soutenu par mes parents, ce qui, je dois l’avouer, n’a pas été le cas de mes soeurs. Elles ont été très orientées, et n’ont pas eu la même liberté dans leurs choix. Mais en général, nos parents nous ont toujours soutenu dans nos études. Il y a ce truc commun du culte des diplômes chez nos parents. Les miens ne sont pas allés très loin dans leurs études. Ma mère a eu l’équivalent du Bac, avec un diplôme en dactylo et secrétariat. Mon père, lui, a fait une partie de ses études en Algérie. C’était l’aîné de la famille. Il a du émigrer pour travailler, mais il a eu un certificat d’études. Moi, je suis allé jusqu’en Master pour leur faire plaisir, mais j’ai très vite compris que ça ne serait pas à la fac que j’apprendrais à faire du cinéma. 

D : Comment es-tu passé de la théorie du master à la pratique ?
N.D. : Parallèlement à mes études, je participais à un atelier de création audiovisuelle à Saint- Étienne, “Passeur d’images”. C’était hébergé par un cinéma local. On était un groupe qui essayait déjà de créer, de faire des films, et on était déjà très intéressés par les histoires d’immigration. 

Je pense que mon désir d’Algérie vient aussi de mon père, de sa manière de raconter des histoires comme on le fait là-bas.
Nabil Djedouani

D : Ta première réalisation était un documentaire, ‘Afric Hotel’. Qu’est ce que cette première d’expérience de réalisation t’a apporté ?
N. D. : Oui c’était une coréalisation avec Hassan Ferhani, qui a continué à faire de très beaux films par la suite. Même si j’ai toujours eu un attrait pour la fiction, j’ai commencé par un documentaire, par la force des choses. Je pense que cela vient beaucoup de l’atelier dont je vous parlais. On était dans une approche un peu autobiographique de raconter nos familles, nos histoires. Il y avait déjà ce travail sur l’archive, le documentaire.
C’était un rêve de faire un film en Algérie, et j’ai pu le réaliser. Et puis je me suis confronté à un réalisateur qui avait une autre méthodologie. C’est important pour moi de partager, même dans la création. Et là c’était Hassan qui était à l’initiative de ce projet. Donc tourner en Algérie, et avoir la chance de tourner sur un sujet qui à l‘époque n’était pas encore vraiment médiatisé, à savoir la présence de migrants subsahariens en Algérie, qu’ils soient de passages ou installés. On l’a tourné en 2009. Comme c’était un petit budget, on a mis du temps à le monter. Mais on a quand même voyagé avec : on a fait quelques festivals, on a même pu le montrer en Algérie en 2011, c’était interessant. Il a été plutôt bien accueilli par la presse, mais le public a parfois été mitigé. Je me souviens d’une projection à l’Institut français, où une partie du public était dans le déni. Ils ne voulaient pas voir cette réalité là, et justifiaient parfois une forme de racisme ordinaire. En revanche, ce qui a été vraiment intéressant, ce sont les réactions des enfants qui étaient parfois présents à ces projections. Ils ont des réactions magnifiques et font attention à des détails qu’on ne remarque pas. Ça laisse de beaux souvenirs ça.

D : As tu rencontré de la résistance auprès des personnes dont tu voulais raconter l’histoire que ce soit sur ce projet ou d’autres ? 
N. D. : Carrément. À commencer par mon père ! Ça fait des années que j’essaye d’obtenir un témoignage de sa part. En même temps, il était dans une démarche de transmission. Il m’a souvent raconté des histoires de sa jeunesse, mais dès que tu arrives avec un dispositif d’enregistrement, les gens se mettent parfois en scène, lui y compris. Et la gêne revient.
Mais il m’a raconté beaucoup de choses, dans le cercle privé, familial. Peut-être plus à moi qu’à mes soeurs. Mon père est un très beau conteur, il a un vrai don. Et je lui dois beaucoup. Je pense que mon désir d’Algérie vient de lui aussi, de sa manière de raconter des histoires comme on le fait là-bas. Ici on n’a pas ça.  

D : Tu as aussi été assistant réalisateur et acteur d’un film, ‘Histoire de Judas‘, en 2015, dans lequel tu joues Jésus. Comment as-tu géré la double casquette ? 
N. D. : 
C’était ma première expérience en tant qu’acteur en plus. Faire l’assistant réal’ et l’acteur c’est un peu la manière de faire du réalisateur Rabah Ameur-Zaïmeche qui aime bien faire participer son équipe technique et la mettre dans le champ. À mes cotés il y avait aussi le monteur du film par exemple. C’est vraiment une sorte d’entreprise familiale, dans laquelle on est tous embarqués, une oeuvre collective où chacun donne de sa personne. Je joue donc Jésus. Rien que ça, en effet ! En 2012, j’ai essayé de m’installer en Algérie, et ça ne s’est pas passé comme je le voulais. J’étais devenu une sorte d’ermite là-bas (rires). Je m’étais laissé pousser la barbe, les cheveux. Un jour, je croise Rabah, que je connaissais déjà. Il m’a vu comme ça, et je pense que dans sa tête est née l’idée de me faire jouer Jésus ce jour là. Quelques mois plus tard, après mon retour en France, Rabah me contacte. Il ne m’a pas tout de suite parlé du rôle. Mais comme il savait que j’allais souvent en Algérie, il voulait s’appuyer sur mes connaissances et mon réseau sur place pour tourner, et l’aider en tant qu’assistant. Ensuite est venue l’idée de me faire jouer. Au final, c’était passionnant de faire les deux, j’ai adoré ! On revient à l’enfance, mais en tant qu’assistant réal, je gérais les figurants et on avait pas mal d’enfants sur le plateau, et j’ai adoré diriger des figurants dont des enfants, tout en étant habillé en Jésus.

D : Ça t’a donné envie de réaliser plus que de jouer ? 
N. D. : Oui, clairement. J’ai quand même eu d’autres expériences en tant qu’acteur depuis. J’ai joué dans un court-métrage ensuite. Et toujours avec Rabah, on a fait un film qui sort au mois d’août normalement, et qui s’appelle Terminal Sud, avec Ramzy Bedia, Slimane Dazi, et Amel Brahim Djelloul. Le jeu c’est intéressant. J’aime l’idée que ça peut-être à la fois un engagement physique, spirituel. Ça peut vraiment être passionnant, mais je ne suis pas du tout formé à cela, j’ai de grosses lacunes. Mais c’était un beau défi de le faire. Je ne ferme pas la porte du tout. 

Dialna - Nabil Djedouani
Nabil Djedouani © Nora Noor

D : Sur tes réseaux sociaux, tu fais souvent des montages photos et /ou vidéos dans lesquels tu mélanges la culture occidentale populaire avec la culture algérienne populaire. Ça fait partie de ce fameux humour algérien ?
N. D. : Complètement ! La parodie, le détournement appartiennent vraiment à notre culture, depuis très longtemps. Par exemple, l’esthétique Raï, c’est une esthétique de l’emprunt. Je m’inscris dans cette démarche à travers mes détournements. Mais ce sont des détournements qu’ont fait avant moi des gens comme Slim dans la bande dessinée, Bila Houdoud à la télévision. J’essaye de m’inscrire dans cette esthétique là et aussi de raconter quelque chose sur le cinéma algérien aujourd’hui, que je trouve hyper frileux, qui ne prend pas de risques et qui reste très gentillet. Faire se heurter des films hollywoodiens avec notre culture ça donne des choses assez marrantes. 

Mettre en lumière les oeuvres oubliées

D: Ton travail se fait autour de la recherche d’oeuvres non connues. Tu as une chaîne Youtube ‘Archives numériques du cinema algérien’, dont le but est de recenser des films oubliés. Comment travailles-tu? Tu récupères des VHS que tu numérises ?
N. D. : Par exemple, oui. Je n’ai pas du tout les droits dessus. C’est une démarche complètement pirate, très algérienne ! (rires) Mais c’est de plus en plus difficile à poursuivre. Récemment, la télévision algérienne a créé une chaîne pour diffuser directement ses propres films, et depuis, la plupart des films qui étaient sur ma chaîne ont disparu. C’est vraiment une lutte permanente. Du coup, ça me pousse à chercher des films encore plus rares, c’est passionnant comme défi ! Lors de mes études, j’ai constaté une vraie difficulté à accéder aux films algériens, et surtout un vide. Il était alors nécessaire de créer un espace pour réunir les documents que j’ai collecté. C’est comme ça qu’est née la chaîne les Archives numériques du cinéma algérien. Ça fait sept ans maintenant que ça existe. Je continue de trouver des choses, donc tant mieux, même si j’aimerais bien que ça soit plus installé, et créer un site. Le but premier était de créer une bibliothèque numérique, c’est quelque chose qui me tient à coeur. Mais ça reste une activité que je fais sur mon temps libre, et ce n’est pas simple. 

Si on veut relancer le cinéma en Algérie, il faut que ça passe par le retour du cinéma populaire.
Nabil Djedouani

D : Qu’est ce qui fait que ce cinema qui a l’air si riche est moins reconnu que le cinéma égyptien, par exemple, ne serait ce que par les algériens et la diaspora ?
N. D. : Déjà, numériquement, il y a beaucoup moins d’oeuvres. D’où ma démarche. J’ai quand même le sentiment qu’on ne connait peut-être que 30% du cinéma algérien. C’est un système étatique et jusqu’à présent, l’État a toujours valorisé les mêmes cinéastes et les mêmes films, et a occulté des cinéastes de talent, peut-être plus fragiles dans leurs façons de faire, mais qui avaient de vraies propositions esthétiques, formelles ou même sur le propos. L’idée à travers cette chaine Youtube, c’est de revaloriser ces artistes là, les réhabiliter. Il y a une question de contrôle aussi, de pouvoir. Depuis l’indépendance de l’Algérie, on dit que le cinéma est dans le maquis. Il y a une vision très utilitariste, officielle du cinéma. 

D : Dans tes recherches, as tu constaté qu’il se dégage une tendance artistique, cinématographique ?  Y a-t-il un cinéma d’auteur ?
N. D.
Ce que je constate, c’est la disparition d’un cinéma populaire. Pourtant, l’âge d’or du cinema algérien converge avec l’émergence du cinema populaire, des comédies populaires, de films qui traitaient de problèmes sociaux, mais avec un ton décalé. Je pense que l’identité du cinéma algérien, les spectateurs la retrouvent là. Je parle des années 70, du début des années 80. Après on a eu une crise économique avec moins de productions. Mais la télévision a pris le relais en laissant place à des cinéastes qui essayent de raconter des choses de la société. Mais, pour des raisons économiques et aussi d’exil des cinéastes, le cinema algérien est devenu un cinéma de coproduction, donc devant répondre à des critères extérieurs. Aujourd’hui, on est dans un cinéma qui ressemble plus à un cinema d’auteur justement. Mais qui perd l’intérêt du public. Même s’il a le mérite d’exister. Par exemple, un film comme Mascarades de Lyes Salem, qui essaye de retrouver les codes de la comédie populaire algérienne a eu un certain succès. Personnellement, j’adore le cinéma de Tariq Teguia, qui est un cinéma quasi expérimental, mais ce n’est pas du cinéma grand public. Si on veut relancer le cinéma en Algérie, il faut que ça passe par le retour du cinéma populaire.

D : La période des années noires a forcément joué un rôle ?
N. D. : Bien sûr, c’est pour ça que je parle d’exil des cinéastes.  

D : Ça a aussi permis à certain.e.s de s’affirmer, je pense à Biyouna ou Nadir Mokneche.
N. D. : 
Oui c’est vrai, mais pour moi, on est déjà dans un cinéma d’auteur. C’est vrai qu’on n’osait pas trop rire pendant cette période mais l’humour et le rire ont aussi été une forme de survie pendant ces années là. 

D : Récemment il y a eu le film ‘À mon âge, je me cache encore pour fumer’. On est dans un entre deux. Ce film qui parle de femmes pendant la guerre civile a été très mal reçu.
N. D. : Je ne sais même pas si ce film a été projeté en Algérie. Et c’est aussi un des problèmes que tous les films rencontrent. Il est difficile de sortir certains films et il y a aussi eu des cas de censure. Il y a eu des films bloqués par le Ministère de la Culture, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps. J’espère qu’il y aura à nouveau une ouverture. L’autre problème c’est qu’il n’y a pas de réseau de distribution. À la cinémathèque, la nomination de Salim Aggar a fait polémique, je ne sais pas où ils en sont aujourd’hui. Il faut profiter de ce moment de révolution pour s’imposer, et élargir un peu nos limites. Quand on voit l’humour sur les pancartes des manifestations on se rend compte du vrai décalage avec le cinéma actuel. Tu y vois le génie populaire que tu ne retrouves pas chez les artistes du cinéma. 


D : À part le cinéma, dans ton travail, tu laisses une part importante à l’image, au graphisme mais aussi à la musique nord africaine. Récemment tu avais posté une affiche de Loulou Picasso, ce qui nous a poussées à nous intéresser au groupe Bazooka, par exemple. Au delà de ton utilisation de tous ces média, c’était intéressant de voir les réactions que ton post Facebook a suscitées.
N. D. : C’était un peu fait exprès (rires). C’est de la provocation. On est nombreux à constater qu’il y a un tout un travail de valorisation du patrimoine musical, notamment algérien, mais qui est fait par des “Étrangers”, par des labels européens. Et ça crée une énorme frustration chez les Algériens. Pourtant le travail est fait, et bien fait ! C’est emmerdant. C’était une façon de relancer cette polémique. Il y a déjà eu le musicien Ahmed Malek qui a été repris sur un label allemand. Il y a eu Noureddine Staïfi, et pleins de gens comme ça qui ont été remis en valeur par des Européens. Ça relance le débat sur l’appropriation culturelle. Ce qui est terrible, c’est que nous, en tant que pays ayant été colonisé, on est dans ce travail là, mais on n’a moins de moyens, moins d’accès aux oeuvres, donc ça prend plus de temps. Ces gens surfent sur une mode avec des groupes comme Acid Arab etc .. C’est une position auto-critique aussi. Je veux faire comprendre que c’est à nous de faire ce travail. Moi, j’essaye de le faire à mon échelle, à travers mon Soundcloud qui s’appelle Raï & Folk. Mais je rêve de monter un label et de faire ce travail pour vraiment valoriser notre culture. Mais on n’a pas la même puissance que les labels qui sont là depuis plus de 20 ans. 

D : On n’a pas les mêmes capitaux culturels, financiers …
N. D. : 
C’est ça, on n’arrive pas à concrétiser nos idées, c’est compliqué. Et je pense aussi qu’il faut qu’on soit un peu plus subtils, pour éviter de sombrer dans quelque chose, comme une forme de rejet, qu’on nous taxe de “racisme anti-blancs”. C’est vrai ça peut-être pris comme ça. Le but est de dénoncer cette réappropriation, le cynisme, et l’aspect marchand de leur démarche. Notre défense doit se situer sur cet angle là. C’est terrible et dommage.
Mais il y a aussi un problème avec les artistes et leurs familles. J’ai essayé d’en contacter certains pour voir ce qui est possible. On se rend compte que beaucoup d’artistes algériens n’ont pas transmis leurs droits. Il y a un flou total sur les ayants droit. Certains n’ont pas eu d’enfants, d’autres en ont eu, et pour d’autres encore, parfois c’est le frère ou la soeur qui a les droits. Parfois ils les ont vendus. Par exemple, les droits de Cheb Hasni ou El Anka sont détenus par quelqu’un ici en France, qui ne sont pas leurs héritiers. Il y a des gens qui ont été malins à un moment, et qui ont su se placer convaincre un membre de la famille de vendre ces droits. 

Que ce soit le cinema ou la musique j’ai vraiment envie de revaloriser ce qui pourrait être une contre culture algérienne. Revaloriser la pop culture algérienne comme étant de la pop culture.
Nabil Djedouani

D : Cela explique aussi cette haine, ou ce rejet qu’on a pu avoir de nous-mêmes, insufflé aussi par la société française. Par exemple, pendant longtemps je n’ai pas pu / osé écouter de musique en présence de mon père. On avait du mal à valoriser cet aspect de nous. Et on arrive à y revenir plus tard parfois.
N.D. : C’est ça, on porte encore ce complexe de colonisé, et parfois il faut que ce soit Jean-Pierre ou Michel qui revalorise ou t’explique ta culture pour qu’elle soit acceptée. Je pense qu’il faut qu’on se réveille. Cette tendance va continuer. Les gens sont vraiment en train de chercher, de fouiner pour trouver le morceau, l’artiste inconnu, et se faire de l’argent avec. Parce qu’ils voient le potentiel économique. Nous, on est aussi dans une autre démarche, que j’espère plus sincère, de revalorisation de ces musiques qu’on a un peu occultées, qu’on n’a pas osées écouter comme vous le disiez.

Dialna - Nabil Djedouani
Nabil Djedouani © Nora Noor

D : Tout comme le cinéma finalement, ça fait partie de notre histoire qu’on connait peu. Tu as un peu la même démarche avec ‘Raï & Folk’ dont tu parlais juste avant.
N.D. : Exactement que ce soit le cinema ou la musique j’ai vraiment envie de revaloriser ce qui pourrait être une contre culture algérienne. C’est quelque chose que j’ai envie d’étendre à la bande dessinée par exemple. Revaloriser la pop culture algérienne comme étant une contre culture culture algérienne. Après tout n’est pas aussi clair. On sait que l’État a essayé de récupérer certains aspects. Comme le Raï, qui a commencé de manière vraiment underground, a été à un moment récupéré par les pouvoir et même financé pour devenir presque institutionnel, international.

D: Quel est l’artiste Raï qui t’a le plus marqué ? 
N.D. : Je dirais Cheb Fazil, mais il n’a pas fait de Raï en fait ! On l’a appelé “Cheb” à une époque parce que c’était une tendance. À la fin des années 80, il fallait être Cheb. Fazil a vraiment proposé une autre couleur à la musique algérienne. Il était arrangeur, et c’est l’un des premiers à essayer de moderniser le Chaâbi. Il a modernisé Soubhannallah Ya Latif de El Hadj M’Hamed El Anka, en y mettant des guitares électriques et des boites à rythme électroniques. C’st un artiste peu connu dont j’aime parler. Il a fait beaucoup de musiques de films. Son album, sorti en 1987, c’est un vrai ovni dans la musique algérienne. Moi j’aime bien les seconds couteaux, les artistes oubliés, ceux qui ont un vécu extraordinaire comme Fazil. 

D : On a une tendresse particulière pour Boutaiba Sghrir, qui pour nous est le vrai roi du Raï. Il a cette particularité de l’écorché vif, lié à l’exil, mais aussi au sentiment amoureux qu’il ne comprend pas et qu’il veut soigner a coup de bouteille de whisky ! (rires)
N.D. : C’est exactement ça, vocalement on le ressent ! 

D : Crois-tu qu’aujourd’hui il y ait des chanteurs algériens qui chantent l’amour comme lui le faisait ?
N.D. : Ah c’est une bonne question. Je crois que ça a beaucoup muté. Le Raï actuel se nourrit de musique électronique et les thématiques abordées le sont de manière plus explicite qu’avant. À l’époque de Boutaiba, on utilisait beaucoup de métaphores pour parler d’amour, etc … Aujourd’hui aussi, mais les métaphores sont plus crues ! Ça raconte beaucoup l’époque en même temps, que ce soit musicalement ou d’un point de vue sociétal. Je connais mieux la période des années 80 que celle d’aujourd’hui, mais je pense qu’il y aurait des choses à étudier sur ce que raconte la musique de l’Algérie d’aujourd’hui. Socialement on pourrait voir comment le rapport homme / femme a évolué, comment la question gay est abordée par exemple. Mais je t’avoue que je connais moins la scène actuelle parce qu’esthétiquement elle me parle moins. J’aime être dans quelque chose de plus instrumental, retrouver une guitare électrique, de l’accordéon. Où même des boites électroniques, mais celles des années 80. Je suis resté assez bloqué (rires) !

D : Il y a deux ans, le groupe The Blaze a sorti le morceau Territory, entièrement clippé à Alger, qu’en avais-tu pensé ? 
N.D. : Je ne vais parler que du clip, parce que la musique ne me parle pas vraiment. Le clip m’interroge dans ce qu’il représente. Je pense que c’est un clip qui veut briser des clichés orientalistes tout en en créant de nouveaux à la fois. On est quand même dans une imagerie assez particulière, avec ces hommes qui prient dans le couchant, ces scènes de chicha. On est dans une imagerie qui, pour moi, résonne beaucoup avec des choses du début du siècle dernier quand même. Ça m’a surtout interrogé sur la représentation de l’homme maghrébin, proche d’un certain fétichisme. Ils en jouent beaucoup et travaillent énormément sur les rapports hommes /hommes dans leurs clips. C’était le cas du précédent clip d’ailleurs.En tout cas, ça a mis en valeur un comédien exceptionnel, Dali Bensalah, qui sera dans le prochain James Bond. Je trouve que pour cette révélation, ça vaut le détour.

Rock against Police, la première contestation des quartiers populaires

D : Revenons un peu sur tes projets actuels. Tu es actuellement en résidence d’artistes au Musée de l’Histoire de L’Immigration. Comment se passe la collaboration avec une telle institution ?
N. D. : C’est une vraie découverte pour moi. C’est la première fois que je travaille avec ce genre d’institutions. Je me rends compte que ce sont vraiment de grosses machines, dans lesquelles il y a souvent des courants très différents. Ce n’est pas évident, surtout pour travailler avec cette institution qui a quand même été inaugurée en 1930 pour célébrer le centenaire de la colonisation. C’est chargé d’une histoire et on le transforme maintenant en musée national de l’histoire de l’immigration. Je crois que c’est un lieu qui se cherche encore. Mais, c’est courageux d’avoir pris mon projet, Rock against Police. C’est quand même un film qui parle de bavures policières, de crimes racistes, d’expulsions et d’une époque assez difficile pour l’immigration. Je ne peux que leur être reconnaissant d’avoir eu le courage de choisir mon projet et de me soutenir. Et au delà de ça, je découvre Paris en même temps que ces institutions, et ça peut être parfois déroutant pour moi, qui fais souvent des choses seul dans mon coin. Là, je suis encadré et j’ai des gens qui produisent le film, à qui je dois rendre des comptes, leur expliquer ma démarche. C’est compliqué. Je suis quelqu’un qui fonctionne plus à l’instinct, dans le moment, et là, il aurait fallu vraiment que j’écrive le scénario avant, que je budgétise, que je sache combien de temps il me faut, que j’arrive avec le film clé en mains. Alors que ce n’est pas du tout ma conception du travail. Ma conception c’est plutôt, faire des images, cherche, suivre son intuition, son instinct. Et puis après il y a le montage, qui est la véritable écriture du film pour moi.

Ce qui est frappant, c’est que quand on en parle avec des témoins de l’époque, on en arrive souvent au 17 octobre 1961. C’est la continuité d’un ordre colonial.
Nabil Djedouani

D : Ce que tu proposes dans ce projet, c’est quelque chose qu’on a peu vu on, dont on a peu entendu parler, en tant que français d’origine maghrébine. En ayant grandi dans les années 80, on sait pourtant ce qui s’est passé, sans connaitre les détails. J’ai l’impression que d’une certaine manière, on a perdu cette histoire, par manque d’archives. Et ce, notamment pour la création musicale qu’il y avait derrière. On redécouvre aujourd’hui notre histoire. Quels sont les retours que tu as eu depuis l’annonce de ce projet ?
N.D. : J’ai eu beaucoup de retours positifs. Il y a beaucoup de gens qui pensent qu’il faut raconter cette histoire d’autant plus que Rock against Police, c’est une période qui n’est pas très connue, comme tu le disais. Ça se situe juste avant la Marche des Beurs. Tout le monde se souvient de ça en 1983. Moi ce qui m’intéressait, c’était de décaler un peu, et de voir ce qui s’était passé avant. Rock against Police, ça m’intéresse pour la forme que ça a pris, que ce soit artistiquement, musicalement et la radicalité de ce mouvement. Ce qui est frappant aussi, c’est la permanence. Malheureusement, il y a encore je ne sais combien de « bavures » policières par an. Rien n’a changé. Et Il y a une espèce de gestion des quartiers de la banlieue parisienne, de la banlieue en général, qui n’a pas vraiment évolué. Ce qui est frappant, c’est que quand on en parle avec des témoins de l’époque, on en arrive souvent au 17 octobre 1961, comme une sorte de point inaugural ou un moment décisif, à la fois pour les gens victimes de tout cela et aussi pour les autorités. C’est la continuité d’un ordre colonial. Moi je le vois comme ça. Ce contrôle des populations se poursuit même aujourd’hui avec le traitement du mouvement des Gilets Jaunes, par exemple.

D : Pour en revenir à la musique liée à ton projet, on réalise qu’on a l’habitude d’associer banlieue et rap, alors que finalement avant le rap, l’influence principale des populations immigrées était plutôt le rock.
N. D. : Complètement, le rock, la funk aussi. Le rock était finalement le rap de l’époque. Les gars avaient des bananes, avaient vraiment des looks incroyables. Je suis en recherche de ce genre d’images justement pour montrer à quel point c’était vraiment la culture populaire de l’époque. Mes oncles à cette époque étaient rockeurs. D’ailleurs Rachid Taha, c’était le rockeur par excellence. J’essaye de lui rendre hommage dans ce film là. Pour moi, c’est une figure essentielle dans mon parcours et au delà de moi, c’est quelqu’un de très important ici. Je trouve qu’il a une aura extraordinaire.

D : Il y a un rapport très fort avec la musique contestataire et les quartiers populaires. Je ne sais pas si tu as écouté le dernier projet de Rocé, ‘Par les damné.e.s de la terre’ qui aborde aussi une partie de cette histoire de l’immigration et de la culture ouvrière.
N.D. : C’est tout à fait lié. Rock against Police, c’est un peu les héritiers du théâtre militant, des syndicats de travailleurs arabes. Il y a  vraiment une filiation. En creusant plus, j’en arrive toujours au 17 octobre 1961, au théâtre militant de Kateb Yacine. Il y avait effectivement des organisations qui passaient par l’artistique. Sur l’une des premières affiches de Rock against Police, il y a écrit : « Concert organisé par des émigrés, des jeunes prolétaires de banlieue ». Il y avait vraiment cette idée d’assumer ce côté prolétaire, enfant d’ouvriers.

D : Comment expliques-tu que dans la communauté algérienne particulièrement, il y a cette forte culture du syndicalisme ?
N. D. : Ça remonte à très loin. Il y avait l’étoile nord-africaine. Tout ça c’était déjà au début du siècle dernier. C’est vrai, mon père était syndicaliste aussi. Je l’ai appris sur le tard. Je pense que c’est cette idée d’indépendance qui nous habite. Il y a cette idée de lutte qui fait partie de notre identité, de résister, de lutter contre les injustices. C’est vrai que c’est très présent.

On rentre dans un processus qui va prendre des années. On parle de remettre en question un système qui est là depuis la guerre d’indépendance. Ça prend du temps de déraciner tout ça, ça ne va pas se faire en quelques manifs.
Nabil Djedouani

D : Quand pourra-t-on voir le résultat final ?
N.D. : La restitution est prévue dans un an, moins d’un an maintenant, en janvier / février 2020. Mais je dois terminer le film en septembre. Ma résidence se termine fin juillet. Les questions abordées par mon projet sont souvent portées par des militants. Moi j’ai envie d’échapper un peu à ça. J’ai envie d’essayer de trouver une forme de poésie là-dedans en évoquant bien sûr ces crimes là, ces histoires là. Je n’ai pas envie de faire un film militant. Mais c’est très difficile, franchement. C’est délicat. il faut trouver une subtilité. Mais surtout c’est un défi parce que là il ne me reste que deux mois pour tourner (l’interview a été faite début mai), et je fais le montage en juillet. Et en plus avec un budget que tu renégocies à chaque fois, parce que tes ambitions doivent se confronter à ton budget. Tu veux tourner 20 jours. Finalement tu peux tourner qu’une dizaine de jours. J’aimerais payer les gens mais c’est difficile. C’est compliqué. Il va falloir être débrouillard et bricoler en essayant de raconter quelque chose qui ait du sens. C’est beaucoup de pression.

Dialna - Nabil Djedouani
Nabil Djedouani © Nora Noor

D : L’Algérie vit un mouvement historique, le peuple sort dans la rue. Comment as-tu vécu ce moment ?
N.D. : J’y suis allé. C’était trop dur de rester ici et de pleurer derrière son écran. Donc j’ai passé presque une dizaine de jours là-bas en avril. J’ai pu faire deux magnifiques manifestations du vendredi. Je suis aussi allé voir  à l’école d’architecture ce qui se disait, sur les marches du TNA (Théâtre National Algérien). J’avais vraiment envie d’y aller, de vivre ça, de participer aux manifestations. C’était riche et intéressant. Je pense que c’est décisif, et comme je le disais avant, même si la transition est en train de se faire, et un peu sans nous, il faut quand même  profiter de cette occupation de l’espace, de cette libération pour étendre ce qui était nos limites, ou ce qu’on croyait être nos limites. Il faut vraiment. J’aimerais qu’on pose les termes d’une vraie transition. Je pense à cet homme qui est devenu le symbole de cette contestation, qui a répondu à une journaliste « Yetnahaw Ga3 » (« Qu’ils dégagent tous »). Pour moi ce mec-là a posé le manifeste de cette révolution. Derrière ce truc un peu jusqu’au boutiste de « Yetnahaw Ga3 », il y a vraiment quelque chose. Il y a vraiment un réel désir de changement de génération en fait. Les gens ne se reconnaissent pas dans ceux qui nous gouvernent. C’est vital. C’est même biologique. Il en va de survie d’un État, il faut renouveler cette classe politique. Avec Gaïd Salah, on est dans de la gérontocratie ! Et ça ne correspond pas à ces jeunes. Voyez la modernité qu’il y a dans la façon de manifester, dans les références culturelles. On n’est pas hors du monde. Il faut vraiment profiter de ce moment pour construire quelque chose de nouveau. Parce qu’on a dit par exemple au mouvement féministe, « non ce n’est pas le moment ». Je pense que si, c’est le moment de tout mettre sur la table. Je ne sais pas si ma fille ira en Algérie un jour, même si je lui souhaite. J’espère seulement qu’en grandissant, elle verra une Algérie où les femmes sont émancipées, libres, égales à leurs frères. Il faut tout faire pour. Il y a bien sûr des subtilités liées à la société mais il faut avancer sur tous les points. Il faut vraiment profiter de ce moment, c’est essentiel. Par contre il ne faut pas croire que cela va se faire comme ça, en un claquement de doigts. On rentre dans un processus qui va prendre des années. On parle de remettre en question un système qui est là depuis la guerre d’indépendance. Ça prend du temps de déraciner tout ça, ça ne va pas se faire en quelques manifs. Je crois que ça se met en place. J’ai l’impression qu’il y a plein d’initiatives qui sont un peu éparses. Il faut s’organiser aujourd’hui. Ceux au pouvoir continuent l’immobilisme de leur côté. Le danger vient des militaires au pouvoir maintenant. L’Algérie est un pays très riche mais surtout riche de cette jeunesse. Et cette jeunesse n’a pas envie de partir, en vérité. Elle a envie de construire son pays. Il y a même des gens qui sont dans l’exil et qui sont prêts à y retourner. Franchement, on ne peut pas passer à côté de cette chance. C’est unique, je pense, dans l’histoire d’un pays.

D : Dirais-tu que ta démarche est décoloniale ?
N.D. :  Je pense que ma démarche est décoloniale, oui, mais je ne rentre pas dans tout le logiciel qui est associé à cette question. Ce n’est pas que je n’y adhère pas c’est que je ne m’y suis pas encore intéressé. Et je ne pense pas me reconnaître. Le terme de « racisé », j’ai encore un peu de mal avec ce terme, par exemple.

D : Qu’est ce qui te dérange dans ce terme ? 
N.D. : Parce qu’en fait on ne s’émancipe pas pour aller vers un autre ghetto. J’ai peur qu’en essayant de porter ce terme de « racisé » comme un étendard, on s’enferme dans d’autres ghettos. Moi je suis pour une émancipation qui est même d’ordre spirituel, pas celle de la notion de « citoyen du monde », qui est complètement coloniale, mais celle de « l’homme universel », qui est plus liée au soufisme et à la spiritualité d’un Emir Abdelkader. Je tendrais plus à ça. Il ne faut pas retomber dans une idéologie de l’exclusion, à notre tour. Je pense que notre combat d’émancipation, il doit être vers la liberté. Il ne doit pas se résumer à des termes d’indigènes, de « racisés », etc .. J’ai du mal avec ça, pour moi ce sont des ghettos. Après ma démarche est sans doute décoloniale, en tout cas pour moi elle s’inscrit dans cette idée. Moi je me pense en tant qu’Algérien et elle s’inscrit en tout cas dans la participation à l’édification d’une sorte d’idée de la culture algérienne. Je dirai ça comme ça. Quelque part peut être que ça c’est un combat français voire même franco-français dans lequel je me reconnais pas et que mon émancipation, elle est plus algérienne que française.  Ce n’est pas gagné. Deleuze parlait de devenir. Moi j’aime bien cette idée de devenir algérien, je suis dans un devenir algérien qui, je l’espère est florissant. On retiendra peut être ça. Là-bas, je serai peut-être toujours le « beur », et ici je serai, je ne sais pas, un mec bizarre (rires). Il faut accepter cette hybridité. Mais ce terme est un peu violent. Il faut que je creuse la question.  Cela dit, je fréquente beaucoup de gens qui s’inscrivent dans ces questions là et qui emploient ce terme là.

D : Quel est ton rapport au darija ? Le parles-tu ? 
N. D. : Oui un petit peu. Mais je suis un garçon très timide. Je comprends assez bien mais je n’ose pas trop le parler en fait. J’ai de la chance, je n’ai pas eu de moqueries, les gens sont tolérants avec moi, mais je n’ose pas. J’adorerais, j’ai même pris des cours, mais je crois que j’ai honte de mal faire, de mon accent…

D : Quels sont tes coups de coeur du moment ?
N. D. : J’avoue que je suis dans ma bulle avec la préparation du film, je suis un peu coupé du monde. Cela dit, j’aime beaucoup le travail que fait le groupe qui va faire la musique du film Rock against Police. Le groupe s’appelle Mauvais oeil. Leur travail s’inscrit dans une esthétique très années 80, rock, électronique et orientalisante, avec des textes un peu mystiques. Sinon, je cherche toujours des choses du passé. J’ai l’impression de vivre dans une grotte !

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