La jeune chanteuse franco-marocaine, Farah Rigal a sorti son premier album en octobre dernier. Pour cela, elle s’est confrontée à une légende du Liban, et du monde arabe en sortant un Hommage à Fairouz. Elle réinterprète les classiques de la diva libanaise pour mieux raconter son histoire.
Farah Rigal est encore peu connue du grand public, la jeune femme a pourtant la capacité de mettre tout de suite à l’aise, et dès les premiers échanges avec la chanteuse, on sait que l’entretien sera chaleureux et sincère. Une raison de plus pour Dialna de mettre en avant des personnalités hors normes qui méritent d’être reconnues.
La vie de Farah Rigal, marocaine née à Rabat, oscille entre sciences et art, depuis son plus jeune âge. Son CV est impressionnant, c’est la première enfant à animer une émission sur une chaîne nationale au Maroc (RTM). Elle a ensuite mené une brillante carrière universitaire 100% scientifique, tout en chantant sur scène, bercée par une culture méditerranéenne.
Elle a approché le répertoire de cette chanteuse avec beaucoup de respect et d’amour, consciente du monument artistique que représente cette femme. Quand on écoute la voix de Farah, on entend la grande influence de Fairouz, une voix épurée, velouté qui traverse naturellement notre âme.
La jeune femme a tout mis en oeuvre pour déclarer son amour et admiration à sa Joconde Libanaise, comme elle l’appelle avec affection. Cet album sera d’ailleurs très certainement suivi d’une tournée.
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Dialna : Bonjour Farah. Parlez-nous un peu de votre parcours et vos débuts.
Farah Rigal : Je suis à née à Rabat, au Maroc, qui est de mon point de vue une ville magnifique. Mes parents sont enseignants, et étaient donc très exigeants sur les notes et l’éducation. En 1987, la RTM (chaine de télévision nationale marocaine) lance un casting pour trouver un.e enfant présentatrice.teur. J’ai voulu tenter l’aventure télé. L’émission était préparée par un binôme de producteurs français et marocain, et ils cherchaient une personne bilingue, avec une bonne expression et à l’aise devant la caméra. J’ai réussi le casting, ce qui a déstabilisé mes parents ! Mais ils ont accepté, à condition que l’école suive.
D : Comment vit-on une expérience médiatique sur une chaîne nationale de cette ampleur, étant enfant ?
F.R. : C’était une expérience riche pour une enfant. J’ai beaucoup voyagé au Maroc, je rencontrais des sportifs, intellectuel.les et artistes. À l’époque, j’étais la seule enfant présentatrice d’une émission télé. Et puis à l’arrivée de la pré-adolescence, ça devenait compliqué pour moi. Vers 12-13 ans, les enfants peuvent être assez cruels. J’ai voulu reprendre mes distances avec l’émission et retrouver ma vie d’avant. J’ai donc à nouveau déstabilisé mes parents (rires) en voulant restructurer ma vie ! Mon objectif à cette époque, c’était de faire des hautes études !
D : On sent que l’exigence de vos parents ne vous a jamais quittée durant votre parcours ?
F.R. : En effet je l’ai pas vu comme ça, sur le moment, mais c’est le cas. J’ai toujours essayé de donner le meilleur de moi-même, que ce soit en tant qu’animatrice télé ou étudiante. J’ai embrassé des études scientifiques, et une fois le bac en poche, j’ai tenté plusieurs écoles scientifiques et la fameuse INPG (institut nationales polytechnique de Grenoble). J’ai été prise et j’ai du quitter le Maroc pour la France. Mon environnement a vraiment été secoué là ! Celle qui allait être déstabilisée, pour le coup, c’était moi !
D : Pourquoi ?
F.R. : Me voila à Grenoble en plein mois de novembre, autant vous dire que ce fut un choc thermique et culturel ! Ma première cité universitaire se situe en altitude, loin de chez moi… Depuis je n’ai jamais quitté cette région qui est cosmopolite et si riche culturellement.
D : À quel moment de votre formation en ingénierie, la musique arrive dans votre vie ?
F.R. : La musique est arrivée pendant ces années universitaires, je chantais dans la cité U. Il y a un endroit qui s’appelle Bastille à Grenoble, où il y avait une atmosphère propre à la création musicale. J’ai commencé à avoir des idées de mélodies qui s’installaient en moi. Ça devenait de plus en plus clair pour moi. Je voulais faire la musique ! Et j’ai dû annoncer à mon entourage ma décision. Bon, dans ma famille, ils.elles ne comprennent plus ! Mes parents n’adhèrent pas, mais je m’écoute et surtout, j’écoute mes rêves.
D : Et comment commence votre carrière musicale ?
F.R. : Au début, je ne pensais pas en vivre de suite, alors j’ai continué sur les deux tableaux, en ayant un emploi à temps partiel et en faisant de la musique. C’est important d’être à l’aise financièrement, pour bien créer, car la précarité peut asphyxier l’esprit artistique. Et puis, je ne voulais pas accepter n’importe quoi, et surtout je ne voulais pas être aigrie vis à vis de mon art. J’ai fait quelques tournées dans les pays anglo-saxons comme l’Irlande et l’Écosse. J’ai travaillé de plus en plus de la folk orientale, en guitare-voix, car c’est ma culture musicale. Je pioche aussi dans la brit-pop et la musique indienne. À force de travail et de contact, j’ai participé à un spectacle qui s’appelait Safar, qui veut dire voyage en Arabe.
D : Quelle a été la place de Fairouz dans votre vie et apprentissage musical ?
F.R. : Fairouz a toujours été présente dans ma vie, en fait. Je l’ai beaucoup écoutée à ma période universitaire, mais comme sa musique passe partout, elle m’a toujours influencée. Ses mélodies sont universelles et font vibrer tout les publics.
D : Pourquoi touche-elle tout le monde, d’après vous ?
F.R. : Il faut remonter à l’origine de son histoire. Elle était issue d’un famille modeste, et chantait de la musique de son balcon. Elle est repérée par des personnes du Conservatoire et passe rapidement à la radio. Deux artistes et compositeurs, les frères Rahdani s’intéressent à elle, la remarque, elle épousera l’un d’entre eux. Ce trio musical va révolutionner la musique arabe de l’époque ! Les sons deviennent plus épurés, et la signature vocale de Fairouz est hors du commun. Elle touche notre âme quand elle chante. Entre les années 50 et 70, elle n’arrêtera quasiment pas d’écrire, d’enregistrer, et de faire des tournées. Elle finira d’ailleurs littéralement épuisée à la fin des années 70. Mais quelle production et quelle innovation dans le monde musical au Moyen-Orient !
D : C’est une véritable passion que vous avez pour sa biographie et sa discographie ?
F.R. : L’histoire et l’œuvre de Fairouz me touchent, sur plusieurs aspects. C’est pourquoi j’ai conçu ce projet de manière globale, pas juste comme un simple hommage. C’est un morceau de vie et d’histoire du Liban qui me nourrit. J’ai une histoire avec Fairouz. Sa musique passait à la radio marocaine et l’histoire de la guerre du Liban nous touchait aussi au Maroc. Fairouz a marqué ma génération, et en chantant son répertoire, je raconte aussi un peu mon histoire.
D : Donc votre disque « Hommage à Fairouz », c’est un hommage, une biographie, mais aussi un journal intime ?
F.R. : C’est un peu de tout ça. Vous savez, mon premier choc Fairouzien c’est dans un film où sa voix habillait l’atmosphère d’une scène. C’était une voix si épurée, sans fioritures… La tristesse dans sa musique m’a toujours parlé. Mais je me retrouve aussi dans son mystère. C’est une femme qui avait une exigence sans limite avec elle même et dans son travail. Elle a vécu des drames en tant que mère (perte d’un enfant).. Je ne m’identifie pas totalement à elle, mais je l’admire. Pour moi, Fairouz c’est la Joconde avec une voix. Mettre en lumière un destin comme le sien c’était important.
D : Comment s’est passé la création de ce disque ?
F.R. : Quand mon projet Safar s’est terminé, on a travaillé avec les Gipsy Reyes (anciens membres des Gipsy King). Des rencontres ont fait que j’ai commencé à chanter accompagnée de musiciens de tradition orientale. On a fait des scènes. On a fait des scènes et des résidences d’artistes. J’ai commencé à chanter quelques morceaux de Fairouz. Bernard Nicolet du label LABALME, me dit « Le jour ou tu veux travailler sur un projet avec Fairouz, je serais là ». On a réfléchit à un concept, à des couleurs, au choix des chansons dans ce répertoire qui est juste énorme, des musiciens, et on s’est lancé. Vraiment on travaille sur ce projet comme des directeurs artistiques, tout un univers se créé à travers Fairouz.
D : Quelle est votre actualité avec ce projet ?
F.R. : L’essentiel des dates de la tournée est prévue en 2020 plutôt vers mars-avril, l’album lui est sorti le 25 octobre, sur toutes les plates formes, ainsi qu’en physique. Là on fait beaucoup de promo pour présenter ce beau projet. Vous pouvez suivre mon actualité sur FB ou IG.
Dernière questions si vous étiez :
Une ville : Rabat, parce que je n’ai jamais réussi à avoir une telle intimité avec un lieu qu’avec cette ville!
Un pays : Le Costa Rica, un pays qui aime vivre le moment présent « ¡ Pura Vida ! » c’est aussi un pays qui s’est démilitarisé, il y a zéro budget défense au Costa-Rica, c’est magnifique.
Une chanson : Une chanson de Fairouz, on ne sait pas si elle est joyeuse ou mélancolique, elle s’appelle Nehna Al amar Jirane, « Nous sommes voisins avec la lune » en français.
Un plat : C’est un plat végétarien, le falafel libanais.
Farah, dès que vous passez à Paris, prenons le temps de vivre un moment de « pura Vida » en mangeant un falafel en partageons des conversations autour de Fairouz, la scène et Rabat.
©Photographe SYL20
©Réalisateur Clip Souhil KADRI