“Je ne vois pas les couleurs, mais je ne vois pas non plus les oppressions liées à la race”
On entend plus souvent la première partie de la phrase et rarement la deuxième, alors que c’est ce qu’elle sous entend, non ? En effet, elle est souvent prononcée par des personnes ne subissant jamais d’injustice, de discrimination etc liée à leur groupe social de race, tout simplement parce qu’ils sont dans le bon groupe, le dominant, parce qu’ils sont blancs. Comprenez moi, ce n’est pas leur couleur, ni leur taux de mélanine le problème, personne n’est parfait, on n’y peut rien. En revanche ce daltonisme à géométrie variable, ça, on choisit de l’entretenir, ou de le remettre en cause en retirant ses œillères.
Comment ça se manifeste chez les gens “de bonne volonté” ? C’est simple, ils vont être les premiers à soutenir les luttes et mouvements afro-américains par exemple, tout en dénigrant, insultant et rejetant le même genre de combats en France. Le racisme c’est là-bas, pas chez nous. “C’est pas comparable” en parlant des violences policières ici et aux USA. “L’histoire des Etats Unis n’est pas la même, ils ont eu l’esclavage”, comme si la France n’était pas un des 3 points du fameux commerce triangulaire, et que l’esclavage et la colonisation étaient des inventions de complotistes anti-républicains..
Surtout ne pas comparer les phénomènes dans les pays majoritairement blancs, ça les renverrait à leurs privilèges et à leurs attitudes au quotidien qui participent au racisme.
Un exemple de cette attitude ?
Mardi 15 novembre dernier, Paris a eu le grand honneur de recevoir deux militants majeurs des Blacks Panthers. Robert King et Alfred Woodfox faisaient partie des “3 d’Angola” (Le 3ème militant, Herman Wallace est aujourd’hui malheureusement décédé, et ce, juste après sa libération). Le parcours de ces hommes est exemplaire, et ce qu’ils ont vécu, subi est la cause d’un système raciste qui a tout fait pour les détruire et détruire leur combat.
La « justice » américaine, comme la police sont d’autant d’outils de répression de la communauté noire. Malheureusement, ce n’est pas une situation unique, réservée à ce pays.
Mardi dernier, la salle de la bourse du travail était pleine de monde venus écouter le récit de ces héros, victimes d’un système raciste. Cependant, à aucun moment, le concept de racisme n’a été abordé par les organisateurs….
Les principaux concernés en ont parlé, bien sûr, comme quelque chose de logique finalement. C’est une évidence, s’ils ont passé entre 30 et 40 ans de leur vie en prison, c’est parce qu’ils sont Noirs avant tout. Leur engagement politique en tant que Black Panthers en ont fait les ennemis d’un système raciste, certes, mais cet engagement découle de leur condition d’hommes Noirs avant tout. Leur emprisonnement dans une des pires prisons des Etats Unis, l’acharnement de L’Etat est une conséquence du racisme officiel aux USA.
Vient le moment où leur est demandé de parler du mouvement « Black Lives Matter » et des violences policières. Un jeune homme dans le public lance spontanément « En France aussi ». Le représentant d’Amnesty International ne l’a pas entendu mais les deux femmes devant lui, si. Et leur réponse fut aussi violente qu’une claque en plein visage : « Ça n’a rien à voir! Ce n’est pas comparable ! »
Visiblement, il y a un seuil de tolérance en termes de nombres de morts à pleurer avant de pouvoir parler de racisme systémique. Les nombreux hommes français Noirs et/ou Arabes succombant soi disant à des malaises cardiaques pendant leurs arrestations par la Police Nationale ne peuvent pas être comparés à des victimes de racisme policier aux Etats Unis.
Plus tard, Robert King et Alfred Woodfox citent Malcolm X en parlant de leur combat, qu’ils continueront à mener coûte que coûte, et reprennent le fameux « By any means necessary ». Applaudissements dans toute la salle. Ont-ils vraiment tous compris ce que cela impliquait ? Tous les moyens sont bons pour combattre des injustices, des violences quand on est victimes de racisme institutionnalisé. TOUS. Pourtant, en France, tout est fait pour criminaliser les militants anti-racistes qui dénoncent la même chose que Robert et Alfred. Le camp d’été décolonial a été accusé au mieux de « racisme anti-blanc » au pire d’équivalent du Klu Klux Klan… Les associations de lutte contre l’islamophobie sont accusés d’islamisme. Les familles de victimes de violences policières sont au coeur d’un acharnement politique, comme la famille Traoré à Beaumont. On continue à sous-estimer la responsabilité de l’Etat dans ce traitement par la police d’une certaine partie de la population. Le 17 Octobre 1961 n’est pas si loin.
Ce n’est pas comparable ?
C’est même pire. Ça arrive alors que des hommes comme les 3 d’Angola ont vécu l’horreur et ont réussi malgré tout à en sortir. Ça arrive, comme si leur emprisonnement n’avait servi à rien.
Le combat continue, plus que jamais selon nos termes.
Crédit photos : Nadialna