Berthet One est un illustrateur, bédéiste à succès, graffeur, artiste touche à tout au parcours impressionnant. Il participe dès demain, avec d’autres, à une exposition sur le Hip-Hop et la nécessité de retracer son histoire. Organisée par Rstyle et La Place, l’exposition « Mémo » réunira à partir du 02 février, illustrateurs et graffeurs au Pavillon carré de Baudouin, dans le 20ème arrondissement à Paris, pour constituer une véritable mémoire collective du Hip-Hop en France. L’occasion pour Dialna de revenir avec Berthet One sur son parcours, son rapport à l’art et ses projets.
Comment le dessin t’es tombé dessus ?
Je suis de la génération “Club Dorothée”. A dix ans, je regarde la télé et je vois un mec qui dessine en direct, c’était Cabu. Je me demande comment il fait et surtout, je comprends que j’aimerais faire la même chose. Je commence, et je copie beaucoup au début, mais bien. Au fur et a mesure, j’invente des choses. En ratant un personnage, je rajoute des choses et j’invente les miens. Ça devient facile. Depuis, je ne me suis jamais arrêté de dessiner. On peut dire que c’est Cabu qui m’y a initié ! Je me suis ensuite très vite intéressé à la peinture. Un jour, en sortie scolaire, je me retrouve au Louvre. J’en ai pleins les yeux ! Je suis impressionné par les tableaux, c’est comme si j’avais des photos devant moi, et du coup, je cherche à comprendre tout de suite comment ils ont été faits. Je découvre aussi ce jour là, le tableau qui deviendra mon préféré depuis, « Le radeau de la méduse ».
Cette fascination, mes potes de quartier ne la partageaient pas. Je me souviens d’un jour d’été, on galérait et on se demandait quoi faire. Je leur ai dit : « Je vais vous amener dans un endroit terrible, où vous allez saigner du nez : Le Louvre ! » Ils m’ont regardé bizarrement et m’ont dit : « T’es sérieux là? Berthet, pourquoi tu veux nous emmener dans un endroit où ya des tableaux avec des mecs à poil ?”
Il y a encore cette idée terrible que l’art n’appartient pas à tous, surtout en banlieue ..
Oui c’est vraiment ça. Mes potes ne sont pas passés par quatre chemins. Ils m’ont carrément dit “Mais c’est un truc de blancs, ça ! Qu’est ce que tu vas faire la bas ?” Alors que certains sont blancs, mais comme on vient des quartiers, ils ne s’y reconnaissent pas !
J’ai dû trouver d’autres moyens d’aller au musée. Ma solution, ça a été d’y inviter des filles ! Et ça marchait ! Je le raconte dans le documentaire de Keira. Si ça pouvait marcher avec la fille, c’est bien, mais moi je kiffais surtout y aller ! J’ai toujours aimé ça. Quand j’étais ado, je suis tombé dans le Hip-Hop, le graffiti. J’ai grandi dans le 93, autour de moi, pas mal de mecs sont devenus de grandes figures dans ce domaine. Moi je ne savais pas danser sur la tête, je ne savais pas rapper, mais je savais dessiner, du coup j’ai fait du graffiti.
Tu considères le graffiti comme de l’art, toi ?
Carrément !
Certains considèrent que ce n’est que l’expression de leur colère, et que ça n’a rien à faire dans des galeries par exemple. Qu’en penses-tu ?
Ça c’est encore autre chose. Quoi qu’il arrive, c’est de l’art. Apres que ça aille en galerie ou pas, chacun son opinion, mais c’est une expression artistique, il n’y a pas photo, tout comme le rap par exemple. La différence c’est que le mouvement Hip-Hop est devenu “tendance”, on l’a lissé. Le graffiti, à la base, c’est une expression hyper trash, et aujourd’hui, ça se vulgarise, ça se lisse. Quand il n’y a plus l’interdit, on y perd la valeur. Au départ, c’était l’expression de gens qui n’avaient rien. Aujourd’hui ceux qui en font, ont souvent déjà tout. Je ne veux pas faire dans les clichés mais c’est vrai que c’est devenu le hobby de Benoît qui habite dans le 16eme. Il a touché une bombe et il dit qu’il fait du street art. C’est un genre d’appropriation culturelle.
Quand mes parents me voyaient dessiner dans ma chambre, ils me disaient: “Arrête tes bêtises et fais tes devoirs !”
Avais-tu conscience que c’était un talent que tu pouvais exploiter ?
Pas du tout ! J’avais en tête les paroles de mes parents et de mes profs. Quand ils me demandaient : “Berthet qu’est ce que tu veux faire plus tard ?” Moi je répondais : « Dessinateur ». On me disait que ce n’était pas un vrai métier. Donc pour moi, ce n’était pas quelque chose de valorisant. Même l’école et les professeurs n’ont pas mis en avant l’aspect artistique de mes capacités. On est en France, et en plus j’étais en banlieue, on a sûrement considéré que ce n’était pas pour moi. Aujourd’hui il y a plus de structures qui se développent en parallèle et qui s’intéressent vraiment à l’enfant. Tu aimes dessiner ? Alors, tu vas apprendre à travers le dessin. Même les maths, tu vas les apprendre via le dessin.
En 2006, tu fais de la prison, et tu te remets à dessiner. C’était un besoin de dessiner pour raconter ton quotidien, ou c’était plutôt pour tromper l’ennui ?
Un peu des deux en fait. Vu que je m’ennuyais en prison, j’ai décidé de reprendre mes études. Qui à être enfermé, autant m’enrichir l’esprit. Ça se passait trop bien. C’était même facile. J’ai passé mon bac, puis un BTS, mais je m’ennuyais en cours. J’ai donc repris ma passion, le dessin. La première fois, c’était pendant un exercice de maths, que j’avais déjà terminé. Un pote galérait, alors je l’ai dessiné. Je l’ai caricaturé en train de s’arracher les cheveux, avec une bulle au dessus de sa tête, dans laquelle j’écris : “2+2, ça fait combien déjà ?” Et je lui ai passé le dessin. Il a éclaté de rire, l’a passé à tout le monde, et forcément ça a perturbé le cours. Mes potes me disaient “Berthet, t’as un talent de malade, qu’est ce que tu fous là en fait ? Si on avait un talent comme ça, on en aurait fait quelque chose au lieu de finir ici !”
Peut-on dire que pour toi, la prison a été un mal pour un bien ? Cela t’a permis de prendre conscience de ton talent et de le faire connaitre ?
A force de dessiner, les gens autour de moi m’ont encouragé à continuer, que ce soient les détenus ou les gardes et les professeurs. On m’a conseillé de m’inscrire aux ateliers dessins de la prison. On m’a tout de suite proposé des concours à l’extérieur. Je n’ai même pas réfléchi, j’ai dit “Oui, d’accord, on sort quand ? “. On m’a calmé tout de suite : « Toi tu ne sors pas. Mais tes dessins peuvent sortir, eux.” Dès les premiers concours, on m’a proposé de les acheter ! Pour moi, c’était incroyable. Je n’étais qu’un petit dessinateur qui dessinait dans sa grotte. Je ne me considérais pas comme un artiste.
Dans ma tête, je pense offre et demande, et je vois que je suis en position de force.
Quelle est ta réaction à cette proposition ?
Je suis comme un fou ! Au début, je n’y connaissais rien, on m’a proposé un tarif dérisoire : 80€ le dessin. Ils ont été vendus tout de suite, alors on m’a demandé d’en refaire. Moi j’en avais plein ma cellule ! Cette fois ci, je les ai vendus à 150€. c’est là que j’ai constaté que mon art plaisait vraiment. On m’a proposé ensuite de participer au festival d’Angoulême, par le concours “Transmurailles”, créé pour faire participer des détenus. Au début, je n’y croyais même pas. Un concours jugé par des professionnels de la BD, ça commençait à avoir du sens. Tout le monde insistait, alors j’ai envoyé un dessin. Quatre mois plus tard, on m’a annoncé que j’avais gagné le concours, et qu’en plus un éditeur qui avait vu ma planche demandait un parloir avec moi. Il est venu avec une idée déjà faite sur moi, et m’a dit : « J’ai vu ta planche, j’ai beaucoup aimé, mais je voudrais savoir si d’autres éditeurs sont venus te voir ?” Et il rajoute : “Surtout si d’autres viennent, dis leur que tu as déjà signé un contrat avec moi.” Dans ma tête, c’est allé super vite. Entre mon esprit filou et les techniques de vente que j’avais apprises pendant mon BTS, je comprends que pour lui c’était acquis. Je l’ai vu venir à des kilomètres. Il me prenait pour un petit jeune de quartier, un peut bête, qui ne va pas lire le contrat, et qui va accepter tout ce qu’on lui propose sans réfléchir. Je lui ai répondu que j’allais en parlais avec mon avocat. Il a insisté, et moi j’ai pris conseil auprès d’amis qui étaient déjà dans le milieu de l’art. Tous m’ont dit de ne rien signer tant que j’étais en prison : « Il te reste un an, fais galérer tous les éditeurs qui viennent te voir.” Et effectivement, d’autres sont venus me voir. Ils voulaient tous que je signe pour eux ! J’ai fait patienter tout le monde.
Que s’est il passé à ta sortie alors ?
On m’a proposé une exposition, rue du Faubourg St Honoré. Il a fallu que je m’organise très vite. J’ai pris exemple sur les artistes que je connaissais. J’ai mis en place tout un staff : avocat, agent artistique, manager. Je ne connaissais personne, mais j’allais faire comme si ! J’ai tenté un coup de poker. Quand on venait me proposer quelque chose, je répondais : “Vois avec mon manager.” Puis : « Vois avec mon avocat. » Ça montrait qu’on était organisés et ça faisait monter les enchères !
Pour cette expo, on a invité pleins de gens. Je voulais pas être uniquement le renoi de cité, qui sort de prison, et qui vient montrer ses dessins. Oui je suis aussi ce type là mais je voulais surtout prouver qu’en sortant de prison, on peut rebondir, et passer à autre chose. Et au delà de ça, je voulais montrer que l’art, c’est fait pour tout le monde, et pas uniquement pour les gens du 16ème. On peut venir de cité, ou de zones rurales et être artiste ou apprécier l’art, et venir dans une galerie. Donc le jour de l’expo, je ne voulais qu’il y ait des gens différents. On a invité tous nos potes qu’ils soient profs, éducateurs, les petits du quartiers, mais aussi des avocats, des juges, des gens des beaux quartiers, pour créer des rencontres improbables autour du dessin. On a invité des stars de chez nous : des humoristes, sportifs, rappeurs. Il y avait des journalistes aussi. Un journaliste de TF1 était impressionné de voir autant de personnes si différentes dans ce lieu là. Il m’a demandé ce qui me rendait le plus fier ce soir là. Je lui ai montré mes amis d’enfance : “C’est ça, ma cité.” Il y avait un petit, qui parlait mal. C’était vraiment le stéréotype du mec de cité, avec la petite balafre sur le coté, la casquette Lacoste. Et je dis au journaliste : « Tu vois ce mec là, c’est un arracheur de sac à mains. Mais il est venu dans une galerie d’art et il est en train de discuter avec une autre caricature, celui du mec du 8ème arrondissement : un vieux, en costard cravate, avec un cigare à la bouche, et une montre en or au poignet. Ce sont deux mondes différents. S’ils se croisent, c’est qu’il y a un litige, mais ils sont là a rigoler et à discuter autour de mes dessins. » C’était ça, ma fierté.
Grace à l’art, on crée des passerelles.
Et du côté de ta famille ?
Ma plus grande fierté, oui, c’était mes parents. Je dois avouer que quand j’ai été condamné, ça a été dur pour eux. Au bled, tout le monde leur disait : “Ton fils nous fout la honte, il y a son nom dans les journaux.”
Mes frères ont laissé l’affiche du vernissage pour que mon père la voit. Il rentrait du bled avec mon oncle, ce jour là. Il a vu ça et lui a dit : “Il y a l’enfant qui fait ses gribouillages à Paris, on va aller le voir.” Ils se sont perdus et ont finit par arriver après tout le monde. Mon père m’a vu au milieu de la salle en train de répondre à mes premiers interviews. Le choc ! Il a eu un sourire à un million de dollars ! Le journaliste, en comprenant que c’est mon père est allé droit vers lui pour lui poser des questions. Et là il s’est mis à pleurer. Je ne l’ai vu pleurer qu’une autre fois, quand il a compris que je prenais 10 ans de prison. J’ai vu qu’il était vraiment fier de moi ce soir là.
Comment tu as géré ce succès ?
J’ai commencé à vendre pleins de dessins. Mais pour moi, je ne faisais rien de spécial. Les journalistes trouvaient ça génial. Était-ce mon parcours ou mes dessins ? Ils ne savaient pas que d’où je viens, il y a énormément de personnes qui ont du talent. Il fallait en faire quelque chose. J’ai donc décidé de monter une association, Makadam pour faire de la prévention et de la réinsertion par l’art. J’ai monté des partenariats dans des prisons, des écoles, des médiathèques, des maisons de jeunes,et je fais venir des artistes que je connais depuis longtemps. On va à la rencontre de ces jeunes et on leur dit : “Vous êtes doués en fait.” On les valorise et on leur fait prendre conscience de leur capacités. Je leur dis “On a des supers-pouvoirs et on ne le sait même pas.” Ces pouvoirs sont souvent innés. On est des hommes d’affaires sans le savoir. Même quand on tombe, on se relève. On n’apprend pas ça dans les écoles. Dans les beaux quartiers, les belles écoles, on apprend à devenir un grand patron. Mais le jour où ils se cassent la gueule, ils ont des envies de suicide. Nous, on a l’habitude. Pour nous, la galère c’est normal !
Je leur répète qu’on est des Bill Gates en puissance. Avec rien, on peut faire beaucoup de choses. Malheureusement, nos supers pouvoirs, on les utilise parfois mal. Si vous avez le sens du business, pourquoi l’utiliser pour vendre du shit ? Soyez ingénieux de la même façon mais changez le produit ! Les petits me sortaient “T’as raison, sérieux c’est vrai!” Il leur faut ce déclic pour comprendre qu’ils ne sont pas condamnés à cette voie.
Après certains parfois me disent “Berthet c’est facile pour toi, parce que tu as un talent.” Mais justement, on a tous un talent. Il y a ceux qui en ont conscience et ceux qui ne le savent pas. Pour certains le talent est visible, c’est facile. Tu jettes un ballon de foot à 10 mètres, tu vas voir tout de suite le niveau Zidane. Pour d’autres, le talent est caché. Ce qui fait la différence, c’est celui qui va le travailler. Tu vois ce beau parleur là ? C’est peut être un avocat, un politicien, un conférencier en puissance.
Celui qui ne travaille pas, c’est le plus gros mytho du quartier !
Tu cherches à provoquer un déclic en allant à l’encontre de ce qu’ils ont l’habitude d’entendre sur eux-mêmes ?
Exactement ! L’autre jour en atelier, on discutait de ça, et je leur ai dit : “Malheureusement on entend encore trop souvent que les jeunes de banlieue ne sont bons qu’à brûler des voitures.” Non seulement on l’entend à chaque fois, mais en plus, on finit par y croire. Je leur ai parlé alors de Puff Daddy. Il n’arrête pas de dire moi je suis le roi, je suis le meilleur, etc.. On a tous la même réaction : “Comment il se la raconte !” Mais en fait, on nous a tellement pris et considéré comme de la merde, qu’on y a cru. Pensons que nous sommes des rois, et on nous considérera comme des rois.
Souvent, les gamins sont dingues quand je leur dis ça, et ils se mettent à sortir vannes sur vannes. Et je leur fais comprendre que ça aussi c’est un talent : « C’est du stand up, il faut le travailler. Vous avez des idées, des punchlines, écrivez les. Ceux qui travaillent leurs talents, ça devient des Jamel Debbouze, des Omar Sy. Ceux qui ne travaillent pas, ça reste des comiques de quartiers. » Le maître mot que je veux leur inculquer, c’est le travail. Apprendre à se connaitre, savoir de quoi on est capable, et ensuite se mettre au travail pour être le meilleur dans son domaine.
Ça les touche plus que ça vienne d’un “grand frère”, quelqu’un qui leur ressemble ?
Bien sûr. C’est pour ça que cette association fonctionne aussi bien. Que ce soit les personnes qui interviennent dans les prisons, ou dans les écoles, elles ressemblent au public. Ils se sont rendus compte que leur discours était le même que celui des éducateurs.. Mais ils le disaient à leur façon, avec un langage qu’ils comprennent facilement. Et surtout, ils peuvent se projeter avec des personnes comme nous. Ça leur parle plus, par représentation.
Alors comment ça se passe pour ceux qui n’ont pas ce talent ?
Tout le monde doit réaliser une planche. Une BD c’est du dessin, mais c’est aussi de l’écriture, et avant cela c’est de la réflexion. On sait tous réfléchir. On sait tous écrire. Pour le dessin, je suis là pour leur apprendre. Je leur donne souvent l’exemple des dessins de presse. Le plus important, c’est la petite bulle et le texte par rapport au dessin. J’essaye de leur redonner confiance en eux, je leur dis qu’ils sont doués, qu’ils savent écrire, qu’ils savent sortir des punchlines de malade, donc écrire une histoire ça sera facile pour eux. Le dessin ça sera un plus. Au bout d’une semaine, ils arrivent tous à sortir une planche avec une histoire, des dessins, du texte, etc .. Pour valoriser leur travail, je propose a établissement de réaliser une expo de leurs planches. Une fois, un gamin était hyper fier de sa planche, mais ne voulait pas exposer. Je ne comprenais pas. Il me dit “Justement c’est trop bien, on va vouloir me la voler !” (rires) Une semaine avant ce gamin me disait “Je suis nul, je vais jamais y arriver.” Voilà c’est ce que j’essaye de leur montrer. Ils pensaient ne pas être capable de dessiner, de reprendre des études, de faire quelque chose de nouveau.
S’il y a ne serait ce qu’une personne qui prend conscience de sa valeur, et qui ose se lancer dans le dessin ou quoi que ce soit, alors on a gagné. Ils sont les plus grands des artistes, mais ils ont souvent peur. Si t’es créatif, fais le, sois à la base de tes projets. Sinon, un autre moins créatif, mais avec plus d’assurance, d’instruction ou que sais je, passera par là et te piquera tes idées pour en faire quelque chose. On l’a connu dans tous les domaines, le Hip-Hop, mais aussi dans n’importe quel domaine professionnel. Quand je discute avec les gamins ou même des adultes en prison, ils reconnaissent que c’est dommage de ne pas exploiter correctement ses talents.
Pour beaucoup, on vient d’ailleurs, on a une double culture, et c’est une richesse. Il faut savoir en tirer le meilleur. Toujours.
En 2011, tu sors finalement ta première BD, « L’évasion » qui est un tout de suite un gros succès, puis le deuxième tome en 2015. J’imagine que maintenant tu en as un peu marre de tourner autour de cette histoire de prison ?
“L’Evasion”, ça ne devait être au départ qu’une seule BD. On en a fait un deuxième épisode « Vive la liberthet » parce que les gens me l’ont demandé. Maintenant, oui, je ne compte pas faire toute ma carrière autour de mon expérience en prison. Entre temps, j’ai eu une proposition d’adaptation au cinéma de cette BD, que je ne pouvais pas refuser. Je travaille le scénario avec des amis, notamment El Diablo (créateur des Lascars). Ça va être inspiré de ma BD, sans être une adaptation complète. Le scénario est fini, quasi validé, maintenant on attend, que les choses avancent. Après ça, pour moi c’est fini les histoires de prison ! J’ai envie de montrer l’étendue de mes capacités.
A quel moment tu as accepté de te reconnaître comme “artiste” ?
A la sortie du tome 1. Je faisais des dédicaces etc, et les gens venaient me dire qu’ils aiment ce que je faisais, la manière que j’avais de raconter des situations difficiles. Je me suis dit « Ok finalement je suis peut-être un artiste. » Avant ça, je n’arrivais pas à me définir comme tel.
En tant qu’artiste, j’ai envie d’explorer pleins de choses différentes.
Tu as déjà une idée de ce que va être ta prochaine BD ?
C’est déjà fini ! Entre temps j’ai fait une BD sur la déclaration des droits de l’Homme. Et j’en ai une quatrième en cours de finalisation. Je ne dessine même plus des être humains ! Je suis parti au Congo, il y a quelques temps. Je suis tombé malade, j’ai attrapé un microbe, les amibes. J’ai perdu 10 kilos en deux semaines. En rentrant, un magazine me contacte pour faire la une en dessin. Ils voulaient que je représente les hépatites A, B, C à ma manière. J’ai dessiné les trois hépatites, en mode kaïra. Les trois disaient “Alors qui veut une hépatite ?”, avec un regard de salaud (rires). Je me suis éclaté en faisant ce dessin. J’avais envie de faire des BD adressées aux enfants. Celle sur la déclaration des droits de l’Homme allait dans ce sens. Donc pourquoi ne pas faire une BD sur la prévention santé, en présentant les virus, mais avec un format différent.
J’ai fait des histoires en trois cases, pour parler des différentes maladies : le HIV, Ebola mais aussi la grippe, et les amibes. Du coup je vais monter ma maison d’édition et essayer de mettre en place des partenariats avec différents ministères pour ce projet. Mon style de dessin change aussi. Je suis carrément sorti de l’univers de prison. Et j’ai repris le graffiti, que j’avais commencé tout jeune.
La culture Hip-Hop est au coeur de l’exposition « Mémo ». Peux tu nous en dire quelques mots ?
L’idée est venu de mon ami François qui gère la structure Rstyle. Il n’y a pas d’archives du Hip-Hop en France, alors que c’est un mouvement qui a toujours eu une forte présence depuis les années 80. En terme d’images à cette époque, tu as l’émission de Sydney, et c’est à peu près tout. Tu savais que Paco Rabanne avait été très impliqué dans la culture Hip-Hop à cette époque ? Moi, non. Je l’ai appris par hasard. Du coup avec plusieurs autres artistes, on va essayer à notre façon de raconter cette histoire et de recréer nos archives. J’ai créé un personnage, une jeune fille qui s’appelle Mémo et qui nous emmène dans sa recherche d’archives.
Quand tu as ton idée de projet de dessin, comment ça se passe ? Tu commences comment, et dans quelles conditions tu as besoin de travailler ?
Je commence au crayon, toujours. Ensuite, je ne peux pas dessiner avec quelqu’un qui regarde par dessus mon épaule. J’ai besoin d’être enfermé, d’avoir la lumière du jour, de calme mais aussi de musique. Je ne dessine pas sans musique. Opéra ou musique classique, mais aussi variété française ou même rap, tout dépend de mon état d’esprit.
Tes coups de coeur du moment ?
En musique, j’aime beaucoup Youssoupha, Oxmo Puccino, Kéry James bien sûr. Je les apprécie au delà de la musique. Humainement, ils sont géniaux. J’aime ce genre de personnes, d’artistes qui font bouger les lignes et qui représentent quelque chose, comme Balavoine en son temps. Ce sont de beaux artistes qui sont de belles personnes aussi. Mais j’aime aussi d’autres styles de musique. J’adore l’opéra, la musique classique. D’ailleurs je dessine en écoutant du classique.
Ton rêve à moyen ou long terme ?
Avoir cette indépendance artistique et cette liberté de pouvoir mener mes projets à bien en maîtrisant la production et la diffusion. Un peu comme ce que fait Booba. Et pourquoi pas produire ou éditer d’autres artistes ensuite. Ça pourrait faire bouger les lignes. Les maisons d’édition actuelles restent aussi dans leurs visions, et refusent des projets hyper novateurs parce que selon les responsables “Ça intéressera pas les gens”. Les gens, c’est le grand public. Nous aussi on est un public et nous aussi on est grands. On raconte des choses, on a des choses à dire, et on va le faire !
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A vos feutres !
Mémo du 02 février au 31 mars 2008 au Pavillon Carré de Baudouin
Photo en une ©Mathieu Ménard