[Portrait] Melina Matsoukas, une femme rare dans le monde de l’image

Dialna - Melina Matsoukas

Si une personne a une carrière de rêve dans le monde de l’image c’est bien Melina Matsoukas, avec un CV cinq étoiles, un réseau de femmes puissantes et des beaux films à son actif ! Voici le portrait incroyable de cette femme qui vit au carrefour de plusieurs univers.

Un environnement cosmopolite et activiste

Melina Matsoukas est née un 14 janvier 1981 aux États-Unis. Elle et sa famille vivent dans une cité appelé de Co-op City pour les revenus moyens. Elle grandit dans un Bronx dévasté économiquement. Sa mère est professeure de mathématiques afro-cubaine et jamaïcaine, et son père, lui est ouvrier du bâtiment, Juif Grec. C’est d’ailleurs de là qu’elle tient ses nom et prénom : Μελίνα Ματσούκα. Elle grandit dans un milieu activiste communiste, et ses parents pousse la jeune Melina à s’interroger sur le monde à travers des marches, des manifestations et des films !

Dialna - Melina Matsoukas
© Compte Instagram Melina Matsoukas

Mes parents étaient de vrais militants. J’ai été élevée en allant aux combats et en comprenant que nous avons tous un but dans la vie et que nous devons utiliser notre privilège pour apporter l’égalité au monde.
The Guardian Janv 2020

Très jeune, Melina dévore des œuvres cinématographiques du monde entier. Elle veut casser cette culture ethno-centrée américaine et visionne les films de Mira Nair, Wong Kar-wai ou Wes Anderson ! Son œil aspire tous les styles de films et d’images. À cette époque le Bronx était le berceau et le noyau central de la culture hip hop, un mouvement artistique qui révolutionne le monde entier, encore aujourd’hui. Melina sera influencée par cette musique mais aussi ses créations de mode, l’univers graphique et photographique du hip hop. Très jeune, elle consomme aussi beaucoup de clips vidéo sur MTV comme tout les kids de sa génération. Le cinéma, le clip et l’activisme, trois ingrédients qui vont façonner la future vie professionnelle de Melina Matsoukas.

Ses parents déménagent du coté du New Jersey, où elle évolue alors dans un milieu militant et populaire. À force de regarder des films, elle est persuadée qu’elle va changer le monde par l’image. Elle va donc l’étudier de manière obsessionnelle à la Tisch School of the Arts de l’Université de New York, puis au Conservatoire AFI par un MFA en cinématographie. Elle finit par soutenir une thèse sur l’histoire des vidéoclips (la thèse de rêve à écrire !)

Quand j’étais à  NYU, j’étais une très bonne étudiante, mais jamais vraiment passionnée par autre chose que la photographie et l’image. En rencontrant certains des cinéastes de la faculté de NYU, je me suis dit : ‘Oh mon Dieu, c’est ça,ma façon de changer le monde’ .
Lenny Magazine Avril 2015

Le début d’une carrière de clippeuse

Sa cousine travaillait alors dans une très petite société de production à New York, et l’engage pour la faire débuter. Melina Matsoukas commence en bas de l’échelle comme stagiaire, puis devient assistante à la réalisation et en production, pour finir par être elle-même réalisatrice. Quand on réalise un film, on peut accéder à plusieurs mondes, diffuser plusieurs messages et être super-politique et féministe. Alors qu’elle débute dans le milieu, elle se rend compte à quel point il y a peu de femmes réalisatrices dans le monde du film, et encore moins de femmes réalisatrices non-blanches. Elle réussit alors à se faire recruter comme réalisatrice par le label de musique Def Jam. Jay-Z est président du label depuis peu et repère rapidement le travail visuel de Melina. Il l’invite à une fête privée et il lui présente le plus naturellement possible Beyoncé (rien que ça)

Quelques mois plus tard Beyoncé contacte Melina en tant que conseillère technique sur son deuxième album, B’Day, sorti en 2007. Melina lui livre de superbes idées et passe naturellement derrière la caméra pour filmer le beau visage de Beyoncé dans Green Light (qui rappelle le clip de Robert Palmer Addicted to love). Elles vont d’ailleurs co-réaliser ensemble cinq clips en moins de 10 ans.

Melina est devenue synonyme de succès, elle est respectée comme réalisatrice de clip auprès des professionnels et du public. Elle réalise des clips pour les plus grands des années 2000 de Beyoncé à Rihanna. Son travail varie du tout couleurs (Just dance de Lady Gaga) au Noir et Blanc super net (Diva de Beyoncé). Selon Melina Matsoukas, un équipement coûteux n’est pas nécessaire pour réaliser une bonne vidéo, Elle ne cesse de dire que lorsqu’on est une femme racisée et artiste, on doit avoir une culture générale bien plus riche et grande que les autres, car il faut être dans un état créatif permanent.

 » Une histoire doit être conceptualisée, intellectualisée afin d’être passionnante et susciter des réactions »  interview for Venus Zine’s Fall 2010 issue

Première grosse gloire, c’est la réalisation du clip de Rihanna, We found love, un clip qui montre l’addiction sous toutes ses formes. Quand une personne devient une drogue, comment fait-on pour survivre et triompher sur ses faiblesses ? Elle est la première femme à gagner un MTV Award du meilleur clip, pour cette vidéo. Elle va d’ailleurs franchir le milliard de vues sur Youtube, bref un triomphe ! Derrière ce grand succès, se cache une femme verticale avec une capacité de travail incroyable et une réelle rigueur intellectuelle et artistique, qu’elle s’impose non seulement à elle-même, mais aussi à toute son équipe, y compris son agent.

Pour travailler avec moi, il faut être super discipliné : être en avance sur le plateau de tournage c’est être à l’heure. Être à l’heure c’est être en retard. Être en retard c’est être viré. Je tiens aussi à ce que mes collaborateurs.trices aient une vraie culture cinématographique. Quand mon agent a voulu travailler avec moi, je lui ai demandé s’il avait vu le film « Belly » de Hype Williams, sorti en 1998 ? Je te préviens si tu n’as pas vu ce film, ne pense même pas à me représenter !

Faire une limonade avec Beyoncé 

Dialna - Melina Matsoukas
Melina Matsoukas (DR)

Nous sommes dans les années 2010 et malgré la présidence Obama aux États-Unis, les violences policières continuent dans tout le pays. Les jeunes Mike Brown, Tamir Rice et Trayvon Martin, tombent sous les balles de la police. Beyoncé et Melina sont profondément atteintes par ces drames et vont s’atteler à réaliser le plus beau clip de Beyoncé, Formation.

Ce morceau et ce clip vont devenir iconiques dans l’album Lemonade, premier album visuel dans l’histoire de la musique à être entièrement dédié à la valorisation des femmes noires. Ce sont elles qui sont les premières à pleurer et défendre leur pères, frères, fils… Elles sont en ligne de front face au racisme, sexisme et colorisme.  À travers ce superbe clip, Melina Matsoukas va mettre à profit sa fibre activiste et sa culture générale, au service d’un clip bourré de symboles pro afro-descendant et anti-police. Une pépite dans l’histoire du vidéoclip, le New York Time dira même de ce chef d’œuvre : « Melina Matsoukas  a touché les nerfs sensible de cette société derrière sa caméra. »

Le succès est au rendez-vous et le clip devient un incontournable, inscrivant Beyoncé dans une nouvelle direction artistique plus engagée. Au début du mois d’août 2021, la vidéo a été élue meilleure clip de tous les temps par le magazine musical « Rolling Stone ».

Avant d’entrer en préparation du tournage de Formation, Melina Matsoukas, s’est conditionnée comme si elle se préparait à écrire une thèse. Elle relit Maya Angelou, Octavia Butler, Toni Morrison et visionne en boucle le film Daughters of the Dust de Julie Dash tournée en 1991.

Melina Matsoukas n’a eu que quelques semaines pour préparer cette incroyable vidéo. Elle et Beyoncé n’ont quasiment pas dormi durant la préparation, et s’envoyaient des mails à toute heure, jusqu’à 3 heures du matin. En raison du calendrier serré de la Queen B, Melina n’avait que deux jours pour tourner avec elle sur le plateau. Dans un lac artificiel avec un fond d’écran bleu, elle a installé la chanteuse allongée sur une voiture de police en train de couler, c’est une image symbolique, faisant écho aux conséquences de l’ouragan Katrina.

Dialna - Melina Matsoukas
Melina Matsoukas (DR)

Quand Beyoncé plonge le dos allongé sur une voiture  de police, l’eau était glaciale, mais elle ne s’est pas plaint et s’est vêtue d’une combinaison de plongée sous sa tenue Gucci. Cela reste un des plans les plus impressionnants du clip qui en dit long également sur l’exposition des corps de femmes noires face au désastre écologique, économique et politique.

Après ce succès international Beyoncé et Melina sont devenues plus que des amies, des sœurs de travail. Melina va d’ailleurs aussi travailler sur plusieurs projets visuels de la soeur de Beyoncé, Solange Knowles. Avec un univers visuel fort, et une réputation professionnelle en béton armé, Melina Matsoukas va, à 39 ans, se voir séduite par Hollywood et Netflix.

Du clip à la série, de la série au film

Melina reste consciente que sans les femmes noires, sa carrière serait au point mort et ne cesse de leur rendre hommage dans ses interviews. Elle rencontre deux femmes noires dans le monde de l’image qui vont la bousculer dans sa carrière confortable de clip pour l’aiguiller vers la série et le long-métrage. Issa Rae et Lena Waithe. Cette dernière lui propose d’ailleurs de réaliser un épisode de Master of None, la série d’Aziz Ansari, pour laquelle elle est scénariste. Melina refuse d’abord, car elle ne veut pas se plier au rythme des séries.

« Je suis une créative, je veux tout faire moi même pas me greffer à un projet qui existe déjà »

Lena Waithe a un pouvoir de persuasion énorme et la convainc de réaliser un de ses scénarios et bingo une autre collaboration entre femmes noires se mets en place. En 2019, arrive sur les écrans Queen & Slim, son premier long-métrage qui va provoquer des réactions de dingues aux États-Unis. Le film raconte l’histoire d’un homme et une femme noirs qui à l’issue d’un date Tinder, vont se retrouver mêlés à la mort accidentelle d’un policier. En cavale, les deux jeunes gens vont former un couple extraordinaire. 

Dialna - Melina Matsoukas
Affiche Queen & Slim

« Je tenais à ce que les acteurs principaux de mon film soit noirs c’est à dire « Dark Skin ». Je n’oublierai jamais qu’à l’université, on m’a empêché de recruter des personnes noires pour mes courts métrages d’école, en me disant ‘tu ne vas jamais vendre un film avec des noirs’  » 

Toute la carrière de Melina Matsoukas repose sur l’idée de montrer des personnes noires comme des héroïnes, élégantes, amoureuses, fortes et le pari est réussi ! Elle a surtout appliqué les leçons de ses parents activistes, tout le long de sa carrière. Quand on a la chance d’arriver au sommet, on se doit de laisser les portes ouvertes pour les autres personnes opprimées.

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