En pleine expansion ou au bord de l’asphyxie pour certains, le podcast fait dorénavant partie prenante de nos vies. Légers ou engagés, culturels ou de discussions, il en existe de tous les genres. Pourtant, on arrive toujours à trouver celui qui nous manquait jusque là. C’est le cas de “L’Orient à l’envers”, un nouveau podcast en ligne dès la fin du mois de janvier, qui se chargera de décrypter l’actualité du Moyen-Orient.
Un podcast “pour déconstruire l’actualité du Moyen-Orient”, c’est la promesse annoncée par le compte Instagram de « L’Orient à l’envers ». Derrière ce mystérieux projet qui a dévoilé sa bande annonce le 19 janvier, se trouvent deux jeunes femmes, Chloé Lala-Guyard et Nawel El Ghiati, 25 et 26 ans.
Elles se rencontrent pendant leurs études, notamment en relation internationales, alors qu’elles participent aux activités d’une ONG, “Open Diplomacy”, qui essaye “d’appréhender les enjeux d’actualité chaude auprès d’un public plus jeune pour les sensibiliser sur ces questions”, nous explique Nawel El Ghiati. “J’étais au pôle Moyen-Orient, et Chloé dirigeait le pôle Défense. On s’est retrouvées sur des thématiques similaires, et c’est ce qui a favorisé notre prise de position et la réflexion de ce projet”, poursuit-elle.
L’Orient à l’envers annonce un décryptage de l’actualité sur cette région, avec des témoignages de chercheurs mais aussi de citoyens et de journalistes locaux. Un changement de point de vue rare, qui dénote au milieu des contenus en presse française. “Notre envie avec ce podcast, c’est d’apporter un regard critique sur le traitement de l’actualité en France, concernant la région de l’Orient, tout en gardant un lien avec l’humain, par des interviews de citoyens, journalistes locaux ou réfugiés, ce qui est important pour nous”, indique Chloé Lala-Guyard. “On veut être au coeur de cette information pour avoir leurs témoignages, leurs ressentis et apporter une vision différente”, poursuit-elle.
Ce qui a motivé les deux jeunes femmes, c’est avant tout une impression de dissonance cognitive entre ce qui se disait dans la presse sur ces pays, sur les peuples du Moyen Orient, d’un côté et sur leurs connaissances universitaires et de terrain de cette région, de l’autre. Car l’Orient, c’est une région présente dans la vie des deux jeunes femmes depuis bien longtemps, bien qu’aucune d’entre elles n’en soit originaire. “Ma mère est marocaine et fait partie de cette génération qui a idéalisé le Moyen-Orient par sa culture, ses films, sa musique, depuis son plus jeune âge”, raconte avec un sourire Nawel El Ghiati. “J’avoue avoir eu une culture plus orientale que marocaine!” La mère de Nawel, médecin pour Médecins sans frontière a également une expérience de terrain en ayant travaillé dans les territoires palestiniens. “Elle en parle toujours avec beaucoup de nostalgie, loin des clichés, loin du traitement médiatique qu’on en fait aujourd’hui”, confie-t-elle.
Pour Chloé Lala-Guyard, cet intérêt est venu par l’étude de langues comme le Hindi, ou le Sanskrit, dont elle découvre les influences arabe et perse, ce qui la relie encore plus à son père, déjà attiré par la région. “Mon père est d’origine indienne, et il adorait l’Iran et la culture perse”, raconte-t-elle.
« Certains chercheurs sont désemparés par le traitement de l’actualité sur cette région ».
Nawel El Ghiati, co-fondatrice de L’Orient à l’envers
Ces différentes expériences exacerbent un ras-le-bol général en voyant comment l’actualité de cette région était racontée. “C’est vrai qu’on s’est lancées sur un coup de tête, mais surtout suite à un agacement”, nous rapporte Nawel El Ghiati. Alors, en questionnant les gens autour d’elles, pour mieux connaître les attentes d’un éventuel public, elles réalisent que la plupart des chercheurs universitaires s’éloignent souvent des médias traditionnels. “Certains sont désemparés par le traitement de l’actualité sur cette région. Pour eux, il n’y a pas de plus-value à s’informer avec ces médias”, détaille-t-elle. Le besoin de simplifier parfois l’information, ou un point de vue trop ancré sur le sujet déroute, voire éloigne cette population de l’information dite classique. “Un article de presse reste tout de même très succinct, et ne parcourt pas toutes les perspectives d’un sujet. Et en plus, il y a un réel agacement autour du traitement médiatique accordé à ces questions. Quand ils passent des heures, voire des années sur un sujet, avec une démarche scientifique de vérification des informations, ils ne peuvent qu’être déçus par l’uniformisation et la globalisation des médias autour du Moyen-Orient”, confesse-t-elle.
Une « prise d’initiative citoyenne »
Les deux amies ne veulent cependant pas prendre la place des journalistes mais plutôt apporter une parole et un point de vue différents. “Nous ne sommes pas journalistes, et nous n’avons pas la prétention de l’être. On se considère plus comme une prise d’initiative citoyenne, que des professionnels de l’information”, détaille-t-elle.
“Il y aurait les bons occidentaux et les méchants orientaux de l’autre. C’est très dérangeant.”
Chloé Lala-Guyard, co-fondatrice de L’Orient à l’envers
Ce que de nombreux universitaires leur rapportent, c’est la lassitude de voir l’Orient dépeint de manière manichéenne. “Il y aurait les bons occidentaux et les méchants orientaux de l’autre. C’est très dérangeant”, confie Chloé Lala-Guyard. L’autre point majeur est le manque de témoignages directs sur les diverses situations. “C’est toujours très difficile à trouver, ce genre de témoignages des concernés, surtout lors d’une crise, ou d’un conflit. Cette diversité des opinions est nécessaire à leur travail en tant que chercheurs, par exemple, mais aussi pour se faire une idée plus proche de la réalité, en tant que citoyen”, explique-t-elle.
L’idée d’agir en donnant la parole aux concernés, en donnant à entendre une autre parole, prend peu à peu forme chez les deux amies. Mais il faut d’abord définir la zone dont elles vont parler. L’interprétation du terme révèle en soi les différents imaginaires sollicités. “Tout le monde ne s’accorde pas sur ce qu’est le Moyen-Orient. L’expression elle-même pose problème, c’est une création de l’Occident. Il y a aussi des controverses sur ce que ça comprend”, analyse Chloé Lala-Guyard.
Pour certains, l’Orient, c’est le monde arabe, Maghreb compris, pour d’autres, c’est l’Asie, tous pays confondus. Alors, les deux jeunes femmes décident de s’en tenir aux frontières traditionnelles, celles analysées durant leurs études. “S’il faut le définir, on partirait de l’Égypte et on remonterait avec les pays du Golfe, ce qu’on appelle le croissant fertile (Irak, Israël, territoires palestiniens, Syrie, Jordanie, Turquie, Liban, ..) et l’Iran. Ce n’est ni plus ni moins le Moyen-Orient que l’on retrouve dans les livres, ou études universitaires”, confirme Nawel El Ghiati. “Cette liste peut évoluer, mais il fallait avoir un périmètre précis à traiter. Nous avons une dizaine de pays, ce qui est déjà pas mal. D’autant que finalement la subdivision en pays est un concept occidental. On ira sûrement vers des délimitations de façon régionale par la suite”, confie Nawel El Ghiati. Dans une zone où les frontières sont mouvantes, les mêmes langues sont parlées dans des régions et pays différents, où les identités sont plutôt régionales que nationales, la subtilité, la précision d’analyse et de traitement de l’information sont encore plus de rigueur.
“L’exemple de l’Iran est représentatif de cette diabolisation systématique de la politique du pays. »
Nawel El Ghiati, co-fondatrice de L’Orient à l’envers
Au-delà du danger d’une vision purement manichéenne sur cette région, les deux jeunes femmes constatent également qu’une certaine forme de diabolisation est récurrente, créant ainsi des mécanismes inconscients dans la manière d’aborder toute l’actualité de ces pays. “L’exemple de l’Iran est représentatif de cette diabolisation systématique de la politique du pays, qui se transforme malheureusement en une diabolisation de la population. Et ces idées perdurent dans le temps”, développe Nawel El Ghiati. “Un pays qui regorge de richesses comme l’Iran, et ses millions d’habitants sont stigmatisés à cause de la politique en place. Pour quelqu’un qui ne connaît pas l’Iran, ou la région, je n’ose à peine imaginer quelle conception il en aura. C’est comme ça qu’un tel pays devient le Grand Méchant Loup de l’Orient. Et malheureusement cela perdure”, détaille la jeune femme.
L’autre versant de cette vision biaisée des médias traditionnels, selon elle, c’est la victimisation des populations de ces pays. “De nombreux médias français aiment cette image de la pauvre victime qui a besoin d’aide. Le problème de l’uniformisation de l’information, c’est ça. Vous prenez un titre au hasard, qui traite du Moyen Orient, et vous pouvez le transposer sur n’importe quelle population de cette zone. Ce sont les mêmes catégorisations, depuis des décennies”, dénonce Nawel. “Il y a forcément un apport quelque peu sensationnaliste du journaliste dans son travail sur les mots. Le problème est qu’il ne se questionne quasiment pas sur ce qui va ou ne va pas”, conclut-elle.
De l’information grâce au terrain local
Alors, pour éviter ce qui leur paraît comme le principal défaut des articles de presse, Chloé et Nawel décident de s’appuyer sur un réseau de chercheurs, journalistes et citoyens vivant ou ayant vécu dans cette région, pour espérer être le plus objectives possible, et rendre compte d’une réalité souvent invisibilisée. “Il se passe beaucoup de choses incroyables dans cette région du Moyen-Orient, on n’en parle jamais. Et ça me dérange vraiment. On ne peut pas servir aux gens un seul pan de l’histoire, ce n’est pas possible”, déplore Chloé Lala-Guyard.
« Dès lors qu’il y a un potentiel rapport de force en place, et il va être exploité, sous le prisme de la domination ou de la victimisation.”
Nawel El Ghiati
Ce regard biaisé d’une partie des médias français sur ce qui est perçu comme étranger, on le retrouve ici même, dans le traitement de certaines populations françaises. Diabolisation ou victimisation sont des travers que connaissent malheureusement trop bien les habitants de banlieue, les populations musulmanes, ou issues de l’immigration. Pour Nawel El Ghiati, “c’est un problème de méthodologie qui va, en effet, bien au-delà du Moyen-Orient. Dès lors qu’il y a un potentiel rapport de force en place, et il va être exploité, sous le prisme de la domination ou de la victimisation”.
Pour rester fidèles à leurs positionnement, les deux amies veulent éviter à tout prix de tomber dans le sensationnalisme. Pour elles, il est évident qu’il faille aborder les conflits et les crises, mais pas que. “L’Orient, c’est à la fois proche de nous, c’est de l’autre côté de la Méditerranée, et à la fois éloigné de nous, car bien évidemment les cultures ne sont pas les mêmes. On veut éviter cette dimension héroïque du média qui vient chercher l’information. L’auditeur/trice se fera sa propre conception de l’information, créera son propre esprit critique autour de ces questions là. On veut vraiment mettre en place des méthodologies plus saines”, déclare-t-elle.
Alors les deux jeunes femmes réfléchissent à un projet permettant de donner la parole localement, tout en assurant un minimum de sécurité aux personnes acceptant de témoigner. L’idée du format podcast est apparue comme une évidence. “On voulait perpétuer la tradition de l’oralité, très ancrée dans cette région, et ne pas dénaturer les histoires qu’on nous raconterait, en les retranscrivant à l’écrit, par exemple”, explique Nawel El Ghiati. “Et puis, la sécurité est primordiale pour nous. Il y a parfois des tentatives de kidnapping, ou pire. Les journalistes se mettent énormément en danger pour faire leur travail. Donc pour ceux qui le désiraient, on ne donne pas leurs vrais noms, on ne prend que leur voix, on ne montre pas leurs visages. C’est essentiel pour nous”, confie Nawel.
“Par contre le contenu, c’était notre bébé, personne n’est intervenu dessus. Nawel et moi sommes en harmonie sur ce qu’on veut en faire”
Chloé Lala-Guyard
Une fois le choix du format fait, elles répondent à un appel à projet auprès d’un incubateur média (La Ruche en collaboration avec Médialab 93), en début d’année 2020. “Avec le confinement, on n’avait rien à perdre !”, s’élance Chloé Lala-Guyard. “Cela nous a beaucoup aidées à nous recentrer et à aller vers ce qui nous anime surtout. On pensait faire un podcast très généraliste au début, mais cela ne nous convenait pas. Il fallait revenir au Moyen-Orient, ça faisait sens pour nous”, explique-t-elle. Les équipes de l’incubateur les aident alors à créer leur ligne éditoriale, à organiser leur travail. “Par contre le contenu, c’était notre bébé, personne n’est intervenu dessus. Nawel et moi sommes en harmonie sur ce qu’on veut en faire”, affirme fermement Chloé.
Le décryptage au long terme
Au long de l’année, les deux amies lisent énormément d’articles de presse concernant le Moyen-Orient. Elles trient les informations, les traitements problématiques et commencent leur travail de décryptage. “Quand on remarque une expression qui nous pose problème, on se demande si elle a été relayée ailleurs, ou si elle n’a été utilisée qu’une fois. On voit ce que pensent et écrivent d’autres médias sur le sujet. Et on voit si la question est pertinente à aborder pour nous”, explique Nawel El Ghiati. C’est ce travail qui va servir de trame à chaque épisode, qu’elles ont choisi de faire plutôt court. “On pense faire un format de 25 à 30 minutes maximum, tous les mois”, détaille Chloé Lala-Guyard. “Bien sûr qu’avec une telle durée, on ne peut pas aller au bout du sujet, donc nous mettrons aussi en place une bibliographie pour mieux se renseigner sur la question”, poursuit-elle. Elles choisissent ensuite les meilleurs intervenants pour éclairer le sujet. “On allie toujours la recherche scientifique à l’expérience de terrain, via un citoyen ou un journaliste local. Un.e chercheur/euse intervient sur une thématique pour nous apporter un éclairage, et on fait aussi appel à des journalistes, sur le terrain, ou exilés, avec l’aide de la Maison des journalistes, essentiellement francophones, en tout cas pour les premiers épisodes”, explique-elle.
La recherche universitaire au service de l’expérience de terrain, pour une vision plus à froid, objective de l’information, c’est donc le pari lancé par “L’Orient à l’envers”, dont le premier épisode est prévue pour le 26 janvier.
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