[Portrait] Asmahan, la sublime femme fatale d’Orient

dialna - Asmahan

Une nouvelle plume nous rejoint cette semaine, celle de Tatiana. Elle nous propose pour sa première collaboration avec Dialna, un très beau portrait de la chanteuse et actrice syrienne, Amal El Atrache, alias Asmahan.

Focus aujourd’hui sur Asmahan (1917-1944), une princesse druze au destin atypique qui ne tarde pas à devenir une légende de la chanson et du cinéma arabe. Succès, mariages, divorces, politique et vices en tout genre vont ponctuer sa vie. Morte en pleine gloire à seulement 26 ans, cette femme fatale a réussi à faire de l’ombre au monument égyptien qu’était Oum Kalthoum.

Si vous êtes amateurs de musique arabe, je me doute que figurent sur vos playlists les plus grands succès de ces chanteurs qui ont fait les beaux jours et surtout les belles nuits du Caire des années 1930-1940. De cette période, on cite souvent Mohamed Abdelwahib, Fairuz, l’Astre de l’Orient Oum Kalthoum, ou encore Farid El Atrache, pour ne citer qu’eux. Mais il y avait un nom qui revient  auprès des plus passionnés, celui de la soeur de Farid El Atrache, la magnifique, l’enivrante et ô combien talentueuse Amal El Atrache plus connue sous le nom d’Asmahan.

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Asmahan
© Wikipedia

La future chanteuse est née sur un bateau nommé « Le Nil » en pleine tempête, en novembre 1917. Son père, un prince et dirigeant Druze Fahd El Atrache, sa mère Alia, musicienne originaire du Liban et leur deux fils ainés Fouad et Farid, fuyaient l’Anatolie, l’Empire Ottoman, alors en plein déclin. À la mort du père, au milieu des années 1920, la famille s’installe au Caire. La capitale égyptienne est à cette époque la ville de tous les possibles, elle fascine. Les jeunes Farid et Amal s’y sentent bien et imitent leur mère, Yemma. Ils passent leur temps à chanter et à s’entrainer au Oud. Amal grandit, sa voix aussi. Le grand compositeur égyptien de l’époque, Mohamed El Qasabgi a écho du talent d’Amal et souhaite la former.

Une prouesse vocale

Mohamed écrit alors déjà les plus belles chansons d’Oum Kalthoum. C’est le compositeur Daoud Hosni qui transforme la jeune Amal en Asmahan (la sublime), étoile de la chanson arabe. Elle enchaîne les prestations dans des lieux très prestigieux tel que l’Opéra Royal du Caire.

Le soir de sa prestation à l’Opéra Royal, Oum Kalthoum est présente et découvre celle qui sera sa principale rivale. Elle découvre une belle jeune femme, aux yeux verts renversants, à la voix remplie d’émotion qui trouble l’assistance jusqu’aux larmes. Dès lors, les plus grands compositeurs veulent écrire pour Asmahan. Elle est bien plus gracieuse, plus jolie et tout aussi talentueuse qu’Oum Kalthoum. Comme le précise Lamia Ziadé dans son roman graphique, Ô nuit, Ô mes yeux, « l’étendue de la gamme » de la princesse dépasse celle de « l’Astre de l’Orient ».

Époustouflé par les prouesses vocales de la jeune chanteuse, le compositeur égyptien, Riad Al Sunbati, lui propose une chanson initialement prévue pour Oum Kalthoum. Les compositeurs la préfèrent, car ils peuvent s’essayer à de nouvelles choses. Asmahan arrive à mêler des mélodies occidentales inspirées du tango et de la valse, à du chant arabe comme le fameux titre Al Touyour. Violons et accordéons rythment tout du long l’un de ses plus grands succès Ya habibi Taala elhaani. Elle se montre tout aussi prodigieuse sur des chants égyptiens plus classiques comme Emta T’Oud.

Une femme libre

Au-delà de sa technique, ce qui fait son succès, ce qui déchaîne les passions c’est Asmahan elle-même. Son image de femme libre et rebelle contre son temps fascine. Celle que j’aime surnommer « la première femme fatale arabe » assume sa féminité, sa sensualité. Ses représentations publiques étant rare, le grand public la découvre au cinéma, au côté de son frère Farid Al Atrache. La jeune star n’aura le temps de tourner que deux films Intisar El Shabab (La victoire de la jeunesse) et Gharam Wa Intikam (Amour et Revanche). Ses films et leur bandes originales sont de grands succès et permettent à son frère de se révéler. Le monde arabe découvre sur grand écran les yeux d’Asmahan. On découvre ce regard si spécial qui révèle sa mélancolie. La voix et le regard deviennent indissociables.

Dialna - Asmahan
Amal et Farid Al Atrache
(Capture d’écran)

Heureusement pour Oum Kalthoum, la carrière d’Asmahan sera ponctuée de plusieurs obstacles. Des obstacles qui vont lui être fatals. Le premier étant son frère ainé Fouad. L’aîné de la fratrie voyait d’un mauvais œil l’appétence de sa famille pour la musique. Il était encore plus hostile au succès d’Asmahan car l’univers du spectacle s’éloigne des valeurs et des principes de la noblesse Druze que le clan Al Atrache représente. Il force alors la jeune star à épouser un cousin et dirigeant Druze, Hassan El Altrache. Asmahan délaisse alors sa carrière au Caire et suit son mari en Syrie. Elle redevient Amal Al Atrache. S’en suit une longue dépression. Ce départ permet ainsi à Oum Kalthoum de sécuriser son statut de chanteuse favorite du monde arabe. Malgré un enfant et un mari aimant, Amal est malheureuse en Syrie, loin du Caire et de sa décadence. Qu’à cela ne tienne, après sept années passées auprès de son mari, Asmahan obtient le divorce et retourne au Caire.

Le deuxième obstacle entre alors en scène… les vices d’Asmahan ! Alors, qu’elle enchaîne les succès musicaux et cinématographiques, elle retombe dans ses vieux travers, les soirées, les excès et les amants, en pleine ascension. Elle se remarie avec le réalisateur Ahmed Badrakhane et divorce à nouveau. Cette séparation engendre une dépression qui résulte sur une tentative de suicide de la star. L’amour de la fête l’empêche parfois d’honorer ses engagements. Comme le précise si justement l’autrice Lamia Ziadé « la pire ennemie d’Asmahan c’est Asmahan elle-même ».

Asmahan et la politique

Le dernier écueil dans la vie d’Asmahan, c’est son implication politique pendant la Seconde Guerre Mondiale au profit des Britanniques et plus tard des Français. Pour le compte des Britanniques, Asmahan doit se rendre en Syrie et convaincre son ex-mari (Le prince Druze) redevenu son mari pour l’occasion, de ne pas intervenir contre les Alliés lors d’une mission sur le territoire syrien.

Pour le compte des Français, à la demande du Général de Gaulle, il a été dit qu’elle devait espionner les soldats nazis présents sur le territoire égyptien. Ses activités d’espionnage s’ébruitent et causent certainement sa mort en 1944.

En route vers Alexandrie, installée à l’arrière d’une Royce Rolls Ghost aux côtés de sa fidèle amie Mari Bairnes, le chauffeur quitte brusquement le véhicule encore en marche. La Rolls quitte la route et s’enfonce dans le Nil ne laissant aucune chance à Asmahan et son amie de s’en sortir. D’un coup, résonne la prédiction qu’une voyante avait faite à la jeune Amal, à ses 15 ans, « Tu es née dans l’eau, dans l’eau tu périras ». Effectivement, Asmahan décède noyée à l’âge de 27 ans.

Dialna - Asmahan
Les chansons éternelles d’Asmahan
(Capture d’écran)

Suite à son décès, Oum Kalthoum redevient la favorite et Asmahan entre dans la légende. Sa mort a passionné le public tout autant que sa vie l’a fasciné. Des rumeurs ont circulé sur la responsabilité de sa rivale Oum Kalthoum pour cet accident de voiture. Cette théorie persiste encore aujourd’hui. La mort d’une jeune femme forte et rebelle qui laisse deviner sa fragilité à travers son chant et son regard ne peut que subjuguer.

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L’actrice Sulaf Fawakherji interprète Asmahan dans une série égyptienne
(Capture d’écran)

Sexy et mélancolique, ses contemporains étaient séduits et nous le sommes encore aujourd’hui. En 2008, une chaîne égyptienne produit une série TV nommée Asmahan. Cette série se base sur le livre du journaliste égyptien Mohamed El Tabei, un proche d’Asmahan, datant de la fin des années 40. Quelques jours avant la diffusion de la série, un neveu d’Asmahan, Faisal Al Atrache, poursuit en justice la société de production. Il souhaite interdire la diffusion de la série. Pour lui, les portraits d’Asmahan et de son frère Farid dépeints par la production serait un manque de respect envers leur famille et ajoute que la série « présente un point de vue biaisé et se base sur des faits non réels». En dépit du procès, la série est diffusé pendant le mois de ramadan en 2008 et rencontre un succès immense. Cette prouesse montre que même plus de 70 ans après sa mort, Asmahan fascine encore.

Elle inspire encore la nouvelle génération d’artistes arabes comme la chanteuse libanaise Yasmine Hamdan. En 2013, Yasmine Hamdan confie au journal Le Monde qu’en écoutant Asmahan pour la première fois « Chanter en arabe m’est apparu comme une nécessité, une évidence. J’ai découvert une possibilité de m’éduquer une musique pointue et élégante». Tout comme Asmahan à son époque, Yasmine Hamdan brise les codes de la musique arabe classique pour la rendre plus moderniste. On peut être sûr qu’Asmahan, cette femme au talent immense, au visage magnifique et à la vie sulfureuse passionnera les foules encore très longtemps.

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Yasmin Hamdan, extrait du clip « Balad »
(capture d’écran)

J’écoute souvent les succès d’Asmahan. Sa voix m’emporte au Moyen-Orient, ses mots d’amours me donnent envie d’aimer, sa voix triste me donne envie de pleurer. Je me questionne très souvent sur la place qu’aurait eu Asmahan aujourd’hui dans la culture Arabe si elle n’avait pas eu cet accident de voiture. Serait-elle l’Astre de l’Orient à l’instar d’Oum Kalthoum ? J’aime imaginer que oui. Et vous ?

 

Tatiana.

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