Auteure, entre autres des best-sellers Kiffe Kiffe Demain, ou encore Un homme ça ne pleure pas, (bientôt disponible aux lecteurs anglophones), Faïza Guène se démarque à nouveau avec son nouveau roman, La discrétion, publié aux éditions Plon, sorti à la fin du mois d’août 2020.
La discrétion est un livre qui s’ouvre et qui ne se referme qu’une fois fini. Pourtant on est tiraillé entre l’envie de prendre le temps de le savourer et et celle d’enchaîner la lecture. Ce roman s’arrête sur une histoire qui est restée dans l’ombre pendant bien trop longtemps. Cette discrétion, cette invisibilité, Faïza Guène y met fin à travers l’histoire de Yamina Taleb et de sa famille.
Un récit de l’ère coloniale
Yamina, le personnage central du livre, est née en Algérie sous l’ère coloniale. Elle va connaitre la colonisation, les colonisateurs, la violence, la pauvreté, la faim, l’exil, mais aussi l’indépendance, le drapeau, et la France hexagonale cette fois. En réalité, la vie de cette combattante invisible, Yamina, est si complexe qu’il est impossible de la résumer. Il serait d’ailleurs injuste de le faire.
Yamina est comme Djamila Bouhired, membre du Front de Libération National, qui lors de l’annonce de son verdict par la “justice” coloniale, éclate de rire. Ce rire est aujourd’hui un symbole de révolution et de combat. Yamina aussi a son “front de libération personnel”. Elle se révolte et se bat contre toute forme d’oppression en étant discrète, en se faisant invisible, pour offrir un meilleur avenir à ses enfants. En France, dans un pays qui ne vous accepte pas, il faut se faire discrète pour survivre et ne pas attirer la foudre de tout Homme blanc. Se faire invisible au point de ne pas remarquer la violence autour de nous est un grand sacrifice, c’est ce que La discrétion raconte au fil des pages. Comme le rire de Djamila Bouhired, La discrétion de Yamina Taleb est une forme de résistance.
“Ne vous disputez pas, soyez discrètes, ne vous faites pas remarquer, veillez à ce que vos enfants se tiennent bien, soyez de bonnes voisines (…) restez invisibles. Yamina a entendu tous ces mots et elle a senti que rester invisible était une question de survie.”
Faïza Guène, La discrétion
Faïza Guène raconte l’histoire de Yamina et de sa famille, mais elle dit surtout les sentiments, la colère réprimée, la dignité bafouée. Comme les enfants de Yamina, elle veut que le monde connaisse l’Histoire qui se cache en cette femme, et elle le réussit haut la main. La romancière navigue très aisément entre le passé et le présent de Yamina, avec de temps à autres, le point de vue de son mari et ses enfants.
Ces allers-retours entre les personnages sont nécessaires car Yamina ne se plaint jamais, elle ne livre jamais tous ses sentiments aux lecteurs et lectrices. Le narrateur omniscient joue aussi un rôle essentiel pour révéler ce que les personnages n’osent pas avouer haut et fort. Des indices révélateurs du futur des personnages sont étalés ici et là tout au long du récit, créant une atmosphère lourde et pesante, comme poids de la vie que mène la famille Taleb.
“Yamina gardera son front libre jusqu’à la tombe”.
Faïza Guène, La discrétion
Il est quasiment impossible de refermer le livre, grâce au style d’écriture très fluide de Faïza Guène. Sa sincérité se lit à travers les lignes. Quand les phrases sont courtes, elles sont écrasantes et nos coeurs s’alourdissent par l’importance des sentiments et de l’histoire transmise en quelques mots.
“Ici, Yamina n’oserait plus grimper aux arbres.”
Faïza Guène, La discrétion
Une relation intime avec les lecteurs
Faïza Guène raconte cette histoire avec parcimonie car il n’y aura jamais assez de mots pour traduire avec précision les sentiments de la famille Taleb. Seuls les mots les plus nécessaires, les plus tranchants sont utilisés. Cela se traduit par une relation intime avec les lecteurs. Soit on sait et nul besoin de phrases longues et compliquées pour expliquer le sens. Soit on ne sait pas et on reste dans le flou à essayer d’imaginer.
Cette compréhension innée vient de nos expériences communes. On a vécu et on vit toujours ces situations. Nous sommes un peu tous les personnages de Faïza Guène. Un peu de Yamina et Brahim son mari, un peu de ses enfants Malika, Hannah, Imane et Omar.
C’est une histoire qui pèse sur le coeur mais qui pousse aussi le lecteur à aller au bout, à la lire jusqu’au dernier mot. C’est là la magie de Faïza Guène et de sa plume. Alors que les thèmes sont personnels et accablants, Faïza Guène maintient au tout long du récit un équilibre qui nous permet de continuer. Son humour est tranchant, elle a l’esprit vif, et de la répartie, qualités qu’elle transmet à ses personnages.
Cet humour décapant et postcolonial nous rapproche encore plus des personnages et concrétise une intimité qui existait déjà entre nous.
“C’est décidé, ce soir, après le travail, il se connectera sur son compte facebook (mot de passe: omarmatuer) et enverra un message à Nadia”.
Faïza Guène, La discrétion
L’importance de La discrétion, tout comme les autres romans de Faïza Guène, repose sur la mise en valeur de nos histoires qui trop peu racontées, trop peu écrites risquent l’effacement et l’oubli total.
Cependant, il reste encore plus important pour la représentation locale qu’il offre. La discrétion s’inscrit tout naturellement dans la littérature française et algérienne. Les histoires sont racontées des deux côtés de la méditerranée. Il est tout aussi important d’avoir notre place dans la littérature française que dans la littérature algérienne, la publication de ce livre en Algérie est donc primordiale.
Décentraliser aussi la littérature algérienne
Mais pour aller encore plus loin, La discrétion décentralise la littérature algérienne dont la plupart des histoires se situent à Alger. Dans ce roman, en Algérie, l’histoire se passe entre autre à Msirda et à Aïn Temouchent. Alors que la littérature d’un si grand pays est réduite à la capitale, La discrétion offre un nouveau souffle, on se basant à l’ouest du pays. Une bouffée d’oxygène pour moi, fille de Aïn Temouchent.
Lire La discrétion, lire des noms de villes et villages qui me sont familiers, décrits avec précision, m’a transporté de l’autre côté de la méditerranée, dans mon premier chez moi, m’a fait revivre des scènes que je pensais avoir oublié.
Aïn Kihal, Sidi Ben Adda, l’école Mohamed Harchaoui près de Hai Zitoun, où ma mère a étudié et qui revient constamment dans nos conversations, quand elle me disait “à ton âge je marchais de la maison sous la pluie jusqu’à Mohamed Harchaoui et je ne me plaignais pas”.
Le photographe Berrichi chez qui nous prenions nos photos et ce fameux Boulevard du 1er Novembre dont j’ai arpenté les trottoirs et terrasses peuplées d’hommes prenant leur café – scène brillamment décrite dans le roman. Le niveau d’intimité est profond et cette histoire est encore plus mienne par les lieux où elle se déroule.
La discrétion, c’est une affaire de sentiments, de colère, de larmes, de frustration, de complicité et de coeurs qui se serrent mais aussi de rire et de sourire et de prospérité. Une histoire qui, au final dépasse les nationalités algérienne, marocaine, tunisienne, sénégalaise, congolaise. Un hommage à nos parents qui ont quitté leur pays pour s’installer dans un autre dont ils ne maîtrisaient pas les codes, où ils ont combattu à leur manière pour le bien de leurs enfants pour qu’aujourd’hui nous ne sentions pas l’obligation de nous faire discret pour survivre. Faïza Guène célèbre brillamment les sacrifices de nos parents et ancre leur histoire dans les coeurs des lecteurs et lectrices. Elle éradique ce risque d’effacement, d’oubli par l’existence de ce livre et illumine un pan de l’Histoire.
Texte : Assia / @Shereadsox
Photos : © Nora Noor
[…] Pour ce numéro, Amina a ramené les livres De guerre et d’espoir du collectif Nuée de plumes et La discrétion de Faïza Guène, dont nous avions déjà parlé sur Dialna. […]