En cette année électorale une pièce de théâtre s’amuse des stratégies politiciennes qu’elle présente comme un véritable cirque. Candidat.e.s de Khalild Balfoul et Ibtissem Guerda, un duo d’auteurs et de scénaristes captivants nous raconte une élection municipale dans une petite ville résidentielle de banlieue où rien ne se passe comme prévu.
Le maire sortant de Blaireau-sur-Yvette, Gonzague Maréchal (Philippe Carriou) se représente à un énième mandat aux municipales. Face à lui, une jeune candidate aussi ambitieuse qu’inexpérimentée, Sonia Amar (Leila Boumedjane). Mais la jeune femme se retrouve incarcérée avant le scrutin. La solution qui s’offre à elle est de faire appel à sa sœur jumelle, Sofia, influenceuse qui ne connait absolument rien à la politique. Arrivera-t-elle à jouer ce rôle si éloigné de son monde ?
La situation peut faire sourire, voir éclater de rire, et c’est exactement ce que les auteurs cherchent à obtenir dans cette satire politique qui mise sur le décalage permanent entre les personnages et les situations cocasses.
La critique des réseaux sociaux et de la course à la popularité, de la majorité vieillissante et cynique au pouvoir peut laisser a priori un goût de déjà vu. C’est sans compter les dialogues ciselés et l’écriture fine du duo d’auteurs, couple à la ville, Ibtissem Guerda et Khalid Balfoul.
Candidat.e.s est leur première pièce ensemble, mais ils sont loin d’être des débutants. Khalid Balfoul qui travaillait auparavant dans la protection rapproché a commencé à écrire des scénario, il y a quelques années maintenant. Ibtissem Guerda, elle, a une formation plus classique de comédienne. Après quelques rôles, elle est passée derrière la caméra et à l’écriture. Ensemble, ils ont déjà écrit un livre, des scénarii et cette pièce.
Khalid l’autodidacte et Ibtissem l’artiste née
Khalid attrape le virus du cinéma quand le tournage d’un film passe quelques jours à Mantes la jolie, dans une structure gérée par sa société de gardiennage. « Je suis tombée fou amoureux du cinéma », explique ce grand amateur de films. « J’ai découvert comment on fabrique un film. J’ai posé énormément de questions. J’ai beaucoup partagé avec les comédiens, les techniciens », détaille-t-il.
Cette expérience de quelques jours transforme le jeune homme qui se met tout de suite à écrire un scénario. De par son métier, il est amené à croiser de nombreuses personnes travaillant dans le milieu du cinéma. A chaque fois, il pose toutes ses questions et noircit de plus en plus de pages. « J’ai appris en autodidacte parce que je n’avais pas les codes. Donc dès que je le pouvais je , posais toutes les questions possibles », raconte Khalid. Petit à petit, il apprend à construire un scénario, à raconter des histoires. A cette époque, dans les années 2000, la question de la représentation des minorités ne parle pas encore au jeune homme. « Je me sentais moins heurté. J’avais l’impression d’être plus accepté en tant que Français issu de l’immigration qu’autre chose », avoue-t-il. « J’écrivais pour moi, pour nous, pour tout le monde, pour la France », déclare Khalid Balfoul.
Nourri au cinéma américain, le jeune homme se heurte aux refus, ou silences de nombreuses boites de production, une fois son premier scénario terminé. Obstiné, il ne renonce pas et multiplie les rencontres professionnelles. C’est ainsi qu’il rencontre une comédienne qui à l’époque avait un petit rôle dans Plus belle la vie, Ibtissem Guerda. Il l’observe pendant la réalisation de son court-métrage Pour ton bien. Elle lui apprend tout sur l’industrie du cinéma en France. Armé de nouvelles connaissances, il se lance dans l’écriture et la réalisation de son premier long, Ils l’ont fait, avec des amis de longue date, tous Maghrébins, tous de Mantes-la-jolie. Le film raconte l’histoire d’un jeune homme noir, radié de Pôle Emploi, qui se présente aux élections municipales de sa ville. « Candidat.e.s était déjà là, quelque part », raconte Khalid.
Ibtissem a toujours été attirée par l’art, le théâtre et c’est donc tout naturellement qu’elle a pris cette voie dans ses études. Alors que l’écriture sous toutes ses formes était sa première passion, elle se retrouve pourtant très vite devant la caméra en tant qu’actrice pour la télévision, mais aussi sur scène, dès le début des années 2000. Puis arrive la série populaire de France 3, Plus belle la vie, qui lui offre une grande visibilité. Elle enchaîne les rôles dans des courts-métrages, téléfilms, mais il manque quelque chose à la jeune femme. « Je ressentais toujours cette espèce de frustration, comme si je n’étais pas vraiment à ma place. Peut-être à cause des rôles que l’on me proposait. J’ai commencé à écrire pour m’offrir les rôles dont je rêvais », confie la jeune femme.
Elle passe finalement derrière la caméra pour ses projets personnels. « Je n’ai quasiment jamais joué dans mes propres projets. J’avais certainement comblé un manque par l’écriture », avoue-t-elle. Ibtissem s’épanouit alors pleinement dans l’écriture et la réalisation, là où elle peut contrôler la narration. « Parfois, quand on est acteur, on peut ne pas être convaincus par certains textes. Le fait de maîtriser ce qui est dit, mais aussi de diriger les acteurs me convient pleinement. Je les comprends, je sais ce qu’ils ressentent », détaille Ibtissem.
La rencontre entre les deux est une évidence, tout comme leur collaboration. Ecrire ensemble devient leur force. « Bien sûr, il faut recalibrer la manière d’écrire, mais les avantages sont exceptionnels. On va plus vite à deux », s’exclame la jeune femme. « On peut sans cesse améliorer les personnages, les scènes », poursuit-elle.
Le novice a soif d’apprendre et la comédienne expérimentée veut aller vite dans la création. Une équation parfaite se met en place. Ils commencent à écrire leur premier projet, Amazigh en 2009, mais n’ont pas encore pu le réaliser. « C’est un pur bonheur que d’écrire avec Ibtissem », raconte Khalid. « J’ai professionnalisé mon écriture grâce elle », poursuit-il. « On a un retour immédiat, quand on écrit à deux. Cela amène le projet forcément plus loin », détaille Ibtissem. « Et puis, comme on est mariés, on travaille quasiment en permanence », plaisante-t-elle.
Une collaboration riche
En attendant que ce projet de court métrage prenne vie, le couple s’est lancé dans l’écriture d’un roman fantastique, De kaolin et de feu, sorti en 2020. Un exercice forcément différent dans la forme, mais pas forcément dans la méthode de travail. « Moi je suis les doigts », s’amuse Ibtissem. « Je suis sur l’ordinateur pour rédiger. Je formate le scénario, quand il le faut », explique-t-elle. Ensemble, ils travaillent l’intrigue, l’évolution des personnages, les dialogues, puis elle met tout en forme. Puis Khalid relit, et ils le retravaillent à nouveau. Le couple est conscient de cet équilibre parfait et unique entre eux deux surtout quand ils comparent avec d’autres expériences. « Travailler avec des coauteurs, c’est compliqué. Il faut un leader d’écriture et tout le monde ne l’accepte pas toujours », explique la réalisatrice.
Le couple a pleins de projets dans ses tiroirs : films, séries, livres. Rien ne l’arrête. Il ne manquait que le théâtre à leur arc. C’est chose faite avec la pièce Candidat.e.s. L’idée du sujet vient de l’expérience personnelle de Khalid qui a côtoyé la scène politique locale de sa ville, étant plus jeune. « La politique est un sujet qui me passionne », avoue Khalid. « Les attitudes de ces personnes, leur comportement, leur état d’esprit, tout était fascinant. Il peuvent être fourbes ! », poursuit-il. « Les personnages de film ou de théâtre étaient déjà sous nos yeux », conclut-il.
Pour éviter de répéter la même histoire que dans son premier long métrage, Khalid discute beaucoup avec Ibtissem sur ce qui peut être nouveau à dire. « Pourquoi ne pas parler aussi de femmes en politiques ? », explique-t-il. « Si on veut que ça soit comique, pas redondant, que peut-on amener aussi ? C’est là qu’on a eu l’idée des jumelles évoluant dans deux mondes très différents comme le sont Sonia et Sophia Amar dans la pièce », détaille-t-il. « On voulait vraiment aller dans l’absurde », raconte Ibtissem. « Quand on met face à face deux univers, deux mondes si différents qui se confrontent, ça fait forcément des étincelles, c’est rocambolesque ! On voulait vraiment faire ce genre de comédie » s’exclame-t-elle.
La mission est accomplie pour ce couple d’auteurs atypiques. Ibtissem Guerda est également à la mise en scène et a su tirer le meilleur du duo de comédiens sur scène, Leila Boumedjane et Philippe Carriou.
La pièce s’est jouée dans différents théâtres cette saison, avant une dernière représentation, le soir du premier tour des législatives en France, le 12 juin. Un beau clin d’oeil pour cette satire qui reviendra, on l’espère sur les planches dès la rentrée prochaine.