[Série] « The Good Fight » : Diversité en trompe-l’œil dans l’ombre de « The Good Wife »

The Good Fight est une série télé dérivée du drama à succès The Good Wife. Commencée en 2017, bien que pas encore diffusées en France, les deux saisons de la série ont déjà conquis de nombreux internautes. Avocats et questions raciales sont au cœur du programme, et notre nouvelle collaboratrice, Biheri nous livre une analyse de la dernière création télé de Robert King. (Attention aux spoilers, saison 1 et 2)

Je n’ai pas pu résister. J’avais pourtant claqué la porte du monde d’Alicia Florrick (Julianna Margulies), sans regret, après la 6ème saison décevante de The Good Wife. La page Facebook de feue la série annonçait un spin-off, The Good Fight, autour du personnage de Diane Lockhart (Christine Baranski), sans que cela n’excite ma curiosité au-delà d’un petit « like » machinal. Et pourtant, un soir de désœuvrement, je décidai de donner une chance à la série. Dieu sait qu’elle a su me scotcher à mon écran pendant les deux heures du double épisode du Season Premiere.

dialna - The Good Fight
Christine Baranski interprète Diane Lockhart dans « The Good Fight » (capture d’écran)

La première partie de l’épisode installe l’atmosphère familière et ronronnante de The Good Wife. On retrouve son ambiance feutrée, chic, ses coloris gris et beige rehaussés d’une pointe de rouge velours, un décor riche, des matériaux nobles. Bienvenue dans un monde de privilèges. On essaie brièvement de nous faire croire que Diane est sur le point d’acheter une propriété de rêve en Provence pour la modique somme de 1,5 million d’euro (!) afin d’y passer une retraite bien méritée. Faisons un petit « point privilèges » ici, avant que les événements prennent une tournure plus sombre pour Diane. Des Conseils d’Administration aux soirées de gala, des déjeuners professionnels aux verres entre amis, le monde autour de Diane est blanc. Blanc, bourgeois et relativement féminin. C’est encore le monde d’Alicia, celui de son mari gouverneur, où les gothas financier, politique et juridique se mêlent indistinctement. De cette promiscuité naîtra le scandale.
Car très vite, les choses se gâtent. Le sol molletonné où les Louboutin de Diane s’enfonçaient avec assurance, vacille. Un scandale financier éclate et emporte dans sa chute l’élite libérale de Chicago. Ces riches Démocrates qui passent plus volontiers leur temps à assister à des dîners de bienfaisance, qu’à lutter contre les inégalités, retirés dans ces lieux de pouvoir dont ils détiennent jalousement les clés, vont être touchés de plein fouet.

Une série qui pose la question raciale

Une belle illustration de cette chute est l’affaire sur laquelle Diane travaille. Un cas de violence policière. Un cas symbolique. La dernière affaire de Diane dans le cabinet qu’elle a co-fondé avec Will Gardner (Josh Charles), la première de Maia Rindell (Rose Leslie vue dans Games of Thrones), ici la fille d’une sorte de « Maddof » de Chicago, l’homme par lequel le scandale financier arrive). Blanc vs Noir. Un cabinet blanc contre un cabinet noir. Des policiers blancs contre une victime noire. Avec en fond, une administration blanche tout juste convertie au Trumpisme contre des défendeurs noirs dont le fond de commerce repose presque entièrement sur les cas de défaillance de l’État. Cette affaire est le grain de sable qui va faire basculer le monde blanc dans lequel évolue Diane, vers une réalité différente, contrastée, noire, beaucoup plus noire.

Dans le nœud dramatique créé par l’affaire de violence policière, brille le troisième personnage principal : Lucca Quinn (Cush Jombo), un personnage de femme afro-américaine typique des séries tv. Brillante, bosseuse, pleine d’humour et de bon sens, elle ne se laisse pas marcher sur les pieds. Autre fait notable, elle est introduite dans The Good Wife comme une avocate noire mais dans The Good Fight, Lucca Quinn est identifiée comme métisse. D’anecdotique, ce détail prend toute son importance quand son personnage sert à faire la jonction entre les deux mondes dans lesquels Diane doit naviguer. Elle sera la première victime collatérale de l’arrivée de Diane Lockhart dans ce nouveau cabinet composé majoritairement d’employés noirs.

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Cush Jumbo interprète Lucca Quinn dans The Good Fight (capture d’écran)

Diane emmène dans son sillage deux jeunes femmes blanches et la hiérarchie du cabinet afro-américain s’en retrouve bousculée. Diane est catapultée partenaire principal alors qu’elle est vue comme inemployable par les autres cabinets à cause de son âge et son implication dans le scandale financier qui secoue la ville. Marissa Gold (Sarah Jane Steel) qui a des prétentions d’enquêtrice sans avoir d’expérience ou de diplômes en rapport au poste, arrive à s’y imposer et même à faire de l’ombre au détective privé maison, enquêteur chevronné, qui la prend sous son aile pour la former. Lucca aussi est plus expérimentée, elle se retrouve toutefois mise en concurrence avec Maïa pourtant tout juste diplômée de l’école du barreau.

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Erica Tazel interprète Barbara Kolstad dans The Good Fight

La série se veut réaliste, elle laisse se dérouler les scènes les plus injustes et Lucca les endure comme nombre de femmes racisées endurent le racisme et le sexisme au quotidien : la tête froide, sans perdre une seconde de plus qu’un simple regard en coin, déterminée à laisser son talent parler pour elle. C’est son approche. On sent que l’une des associées du cabinet, Barbara Kolstad (Erica Tazel), est plus encline à rappeler à Diane sa place et à se montrer critique, quitte à endosser le rôle de la angry black woman (femme noire en colère), hostile et revêche. Mais d’ailleurs, quelle place réserver à une associée blanche dans un cabinet essentiellement créé par et pour des Noirs? On saluera la capacité des américains à mettre en scène ces écueils, là où une production française ne se les serait jamais posée faute de lentilles adaptées à la vision des couleurs (de peau).

Alors que Barbara Kolstad veille au grain, Adrian Boseman (Delroy Lindo), l’autre associé principal et véritable Barry White du barreau de Chicago, ne voit que l’argent et les clients que Diane est susceptible de rapporter. Deux visions du droit des Noirs s’opposent et très vite, on comprend de quel côté les producteurs veulent faire pencher la balance. Contre ceux, telle Barbara, qui sont dans une démarche FUBU (For Us, By Us), dans l’affrontement et qui ne veulent aucune compromission avec le pouvoir blanc qu’ils combattent dans chaque affaire, on retrouve les bons vieux adeptes du « changer le système de l’intérieur ».

En ce sens, The Good Fight s’inscrit dans la plus pure ligne des séries télé américaines dites « liberal », par opposition naturelle à « conservative » et surtout à « leftist ». Le « liberal » est un modéré, un centriste façon Barack Obama tendant inlassablement la main et ses deux joues à l’autre camps pour le bien commun, « the greater good ». Une galerie de personnages viendra illustrer le fossé philosophique et générationnel entre la nouvelle garde qui veut en découdre en adoptant une approche radicale face au sexisme et tous les -ismes qui minent la société moderne, et l’ancien monde, accusé de toutes les compromissions et d’avoir failli dans la lutte en se complaisant dans le privilège et un optimisme béat.

Une deuxième saison trop tiède

La première saison est vraiment savoureuse et rafraichissante dans son approche frontale des nouvelles lignes qui fracturent la société américaine à l’ère Trump. La saison deux par opposition déçoit. Le show rentre dans le rang et devient un chantre du juste milieu. Avec le départ précipité de Barbara, le seul personnage noir, foncé de peau et intransigeant dans la démarche pro-Noir du cabinet, le show perd son côté incisif et pertinent. Le féminisme blanc bon teint règne avec pour cheval de bataille, la lutte contre Trump et ses minions (l’Alt-right, la finance, les trolls…). L’écriture des personnages vacille. Et le sentiment diffus que le cabinet noir sert de pare-feu à toute critique au manque de diversité de la série se confirme. Il sert de toile de fond. À l’exception notable de l’enquêteur, les employés de ce cabinet n’ont aucune substance, pas de visage, de noms ou d’existence. Au contraire, leur seule raison d’être semble de mettre en valeur les personnages blancs qui par sorte d’effet d’optique ressortent d’autant plus à l’image. Pour que Marissa, Diane ou Maïa brillent de toutes leurs qualités, une ronde de personnages minorisés au sens strict du terme joue le rôle de faire-valoir. Lucca est celle qui perd le plus en charme dans la deuxième saison. Son identité de femme métisse fera partie des thèmes en tension dans le cadre de sa relation tumultueuse avec le substitut du procureur.

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Promotion pour la saison 2 de The Good Fight

En enchaînant les épisodes, vous aurez parfois l’impression d’être en train de « scroller » sur votre « time line » Twitter. Les Trending Topics majeurs de ces dernières années y sont repris, #BlackLivesMatter, #MeToo….etc. Cela donne l’impression surréaliste de revivre des épisodes des buzz de Twitter du point de vue du compte Facebook de nos parents ! Ne serait-ce que pour cette volonté d’être en prise avec l’actualité, je recommande la série.

Mais personnellement, à défaut de lancer une campagne #BringBackBarbara, ce sera avec beaucoup moins d’appétit que j’entamerais la troisième saison. On nous la promet déjà plus légère, comme pour s’excuser d’avoir pu (en effleurant du doigt certains sujets comme la race, la politique et le genre) heurter la sensibilité des téléspectateurs les moins mélaninés…

Biheri

 

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2 commentaire

  1. Excellente critique, bravo ! Je partage complètement votre analyse au sujet de la construction narrative de cette série – minorisant la place des minorités, au profit de personnages blancs, souvent désincarnés (je pense à Maia notamment). Le personnage de Barbara est au contraire appréhendé comme récalcitrant, intolérant : cela donne, en définitive, le sentiment au spectateur que les personnes racisées seraient sectaires ou communautaires.
    Lors de l’affaire des scandales sexuels ayant ébranlé le cabinet (évidemment perpétré par une figure des droits civiques et le fondateurs du cabinet, histoire de bien désacraliser l’histoire des luttes politiques afrodescendantes); j’ai ressenti un profond malaise dans l’attribution d’une bonne conscience morale à la jeune enquêtrice Marissa, au détriment de Lisa, la fille du père coupable, dont elle tente de dissimuler les actes impardonnables en achetant les victimes. Ce moment de la série entretient de nombreux clichés sur les femmes des communautés racisées qui protégeraient leurs hommes et leurs privilèges en sacrifiant la sororité. La série voudrait battre en brèche les théories de l’intersectionnalité, en démontrer l’inefficacité avec cet exemple pathétique.
    Vous remarquerez que la plupart des personnages noirs n’ont quasiment pas de complexité psychologique, d’histoire intime. Ils sont les figurants de la vie de Diane et Maia. Et à ce propos Diane ne s’interroge jamais sur ses propres privilèges. Le monde qu’elle perçoit lui est toujours sensiblement injuste – même quand les opprimés tentent de la réfléchir, de la bousculer, ils sont fatalement à ses yeux du côté de la force obscure.

    1. Merci pour ton retour sur notre article et cette série, Zina!

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