Notre beau partenariat avec le podcast l’Orient à l’envers continue son odyssée. Nous faisons aujourd’hui escale au Qatar, à la rencontre de Cheikha al-Mayassa bint Hamad bin Khalifa al-Thani, une princesse qui a pour ambition d’utiliser la culture et les arts pour mettre le Qatar au premier plan.
Fille de l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani et de sa seconde épouse, la très controversée Mozah bint Nasser al-Missned, Cheikha al Mayassa naît, en 1982 au Qatar. Sa mère, business woman redoutable et experte en relation publique hors paire, joue un rôle model essentiel pour la jeune princesse et l’encourage dans sa quête de culture, de voyages et de pouvoir.
Cheikha al Mayassa apprend le français, l’anglais et l’arabe à Doha, puis poursuit ses études en Science Politiques et en littérature à l’université Duke, en Caroline du Nord aux États-Unis, à Sciences Po, et à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, où elle a comme tuteur Dominique de Villepin. Elle sort diplômée en 2005. Bref un parcours universitaire royal !
De retour à Doha, son père la désigne à la tête des musées du Qatar, pour étouffer le scandale causé par son cousin qui occupait ce poste. Ce dernier a en effet été accusé d’avoir détourné des fonds publics pour enrichir sa collection privée. La princesse doit apprendre rapidement l’histoire de l’art et son marché complexe, entre son hôtel particulier de New York et son bureau du Qatar Museum Authority (QMA). Elle va s’investir totalement pour faire de son pays un lieu où la culture, le leadership féminin et le prestige des arts vont rayonner partout dans le monde.
« C’est une affaire de famille », explique-t-elle dans une interview accordée à The Economist. « Le QMA est le bébé de mon père. À travers cet outil, il veut créer un dialogue entre les cultures et montrer que l’Islam et la modernité ne sont pas incompatibles. Il m’en a confié les rênes. »
Pour cela, elle va porter la casquette de cheffe d’entreprise et présidente du conseil d’administration du Qatar Museums Authority, avec une enveloppe d’achat d’art record, de près d’1 milliard de dollars. Pour son pays, elle va constituer un patrimoine culturel digne des grands musées européens, et va s’offrir la liste de shopping du siècle ! Elle se procure des photos de la photographe iranienne Shirin Neshat, des tableaux comme Les Joueurs de cartes de Paul Cézanne au prix record de plus de 250 millions de dollars, ou de Paul Gauguin pour 210 millions de dollars. Cette grande fan d’art contemporain achète aussi des oeuvres de Takashi Murakami, Damien Hirst et Richard Serra. Elle expose aussi la fameuse sculpture d’Adel Abdessemed immortalisant le coup de tête de Zinedine Zidane à Marco Materazzi.
Le cinéma n’est pas en reste, puisqu’elle crée avec l’acteur américain Robert De Niro l’événement Tribeca film festival Doha et présente des films produits et réalisés par qataris.
Avec ces actions culturelles et politiques, elle envoie un message très fort au reste de la planète. Elle porte le Qatar au premier plan sur le marché de l’art contemporain. Pour la princesse, chaque pays, et le Qatar en particulier avoir sa place sur ce marché. Elle construit ainsi sa politique culturelle autour de l’art contemporain occidental.
« Les gens disent ‘Construisons des ponts’. Franchement, je veux faire plus que cela. Je voudrais briser les murs d’ignorance entre l’Est et l’Ouest ». TEDX
“Nous ne voulons pas être tous pareils, mais nous voulons nous comprendre les uns les autres”. Cheikha al Mayassa
Le développement économique et culturel des arts va être la nouvelle révolution financière à venir. Il suffit de voir les chiffres d’affaire des galeries d’art les plus importantes comme Gagosian, Christie’s ou Sotheby’s qui sont faramineux. Bien évidemment, le Qatar veut sa part du gâteau !
Cheikha al Mayassa croit en la créativité et en l’innovation. Pour elle, le Qatar ne peut pas continuer à dépendre uniquement de ses ressources naturelles, il doit miser sur d’autres capitaux et valoriser toutes les intelligences, surtout celles des femmes. D’ailleurs, on retrouve une femme, Cheikha Abdulla Al-Misnad, à la tête de l’université de Doha, ainsi qu’à la tête du département scientifique et de recherches, Mariam Al Maadeed. C’est aussi une femme, Alya bint Ahmed Al Thani, qui représente le Qatar à l’ONU. Pour la culture et l’art, c’est bien sûr la princesse al Mayassa, qui règne en tant que mécène, cheffe de projet, curatrice et collectionneuse.
En 2013, le magazine britannique Art Review la place numéro un des personnalités les plus influentes du monde de l’art. Son pouvoir d’achat dépend néanmoins du prix du pétrole. Quand il chute, son frère au pouvoir lui alloue un budget moins important. Mais elle continue de donner des conférences dans le monde entier sur le rapport entre le Moyen-Orient et l’art, afin de ne pas perdre son objectif des yeux : Faire du Qatar la première destination au monde pour les arts et la culture.
En insufflant beaucoup d’argent dans les achats d’oeuvres, en organisant des évènements culturels spectaculaires, et en s’appuyant sur un réseau stratégique entre les galeristes et collectionneuses/eurs du monde, Cheikha Al Mayassa a gagné sa place de femme de pouvoir et d’influence. Une chose est sûre elle a changé les règles du jeux du marché de l’art à l’international.