[Photographie] Gordon Parks, le témoin de la ségrégation raciale

Dialna - Gordon Parks

Quand on voit les photos de rues ou les portraits du maître Gordon Parks, on est saisi par l’humilité de l’artiste. On se dit que l’on ne devrait pas se risquer sur ce terrain, tellement les image de ce grand monsieur ont été fortes et belles. Gordon Parks intimide par son talent, sa maîtrise de la technique et son écriture photographique unique. Présentation d’une légende de la photographie du 20ème siècle.

Gordon Parks est né à Fort Scott, Kansas, le 30 novembre 1912. Fils d’Andrew Jackson Parks et de Sarah Ross, Il était le plus jeune d’une fratrie de quinze enfants. La naissance de Parks est miraculeuse, comme il aimait à le dire : « Je suis mort né ».

En effet, Gordon Parks est né sans respirer. C’est un jeune médecin blanc qui a plongé le bébé sanglant dans de l’eau glacée pour le faire revivre. En remerciement, la mère de ce fameux bébé a nommé son fils Gordon du nom du médecin. Et ainsi commence la première lutte dans la vie de Gordon Parks.

Gordon Parks
© Gordon Parks

Il fréquente une école élémentaire du Kansas, au début du XXème siècle. Le racisme et la ségrégation étaient de rigueur, et c’était dans la nature des relations de maltraiter tout ce qui n’était pas blanc. 

En plus d’une ségrégation très stricte, les noirs n’étaient pas autorisés à faire du sport ou à participer aux activités extra-scolaires. Ils étaient très tôt découragés à toute forme d’expression ou d’accomplissement professionnel. À cette époque hommes et femmes ont développé un sentiment d’insécurité et une haine de soi qui pousse à abandonner ses rêves . 

Le système ségrégationniste des USA vous cassait la moindre aspiration ou ambition à une vie meilleure. Si vous exprimiez le désir d’un enseignement supérieur, on vous rappelait très vite que l’université, ce n’était pas votre place. 

Dialna - Gordon Parks
© Gordon Parks

Un instituteur lui a dit : « Ton désir d’aller à l’université serait une pure perte d’argent ». Lucide, le jeune garçon voit très vite les rouages d’un système scolaire qui casse l’ambition des personnes noires. Gordon Parks est doté d’un sens de l’observation aiguisé, il sait scanner le monde qui l’entoure et il a une mémoire visuelle ultra vive. Ces deux qualités seront ses plus grands atouts pour affronter la vie.

Dialna - Gordon Parks
© Gordon Parks (DR)

G.Parks subit aussi les attaques physiques au quotidien. Il a onze ans quand trois garçons blancs le jettent dans une rivière, en sachant qu’il ne sait pas nager. Cette expérience va provoquer chez lui une vrai angoisse de la mort et l’envie de vivre sa vie intensément. Ce concentré de violence au quotidien le fait glisser vers la déscolarisation. Il va vivre une enfance dans le Kansas plus que rugueuse, sans un moment de douceur. Et comme si la vie n’était pas assez dure, il perd sa mère à l’âge de quatorze ans. Terrassé par le chagrin le petit garçon va dormir une dernière nuit près du cercueil de sa mère, pour ensuite attaquer la vie à bras le corps. 

« Le Kansas ne m’a apporté que souffrance, je quitte cet État et je ne reviendrais plus jamais…. »

Peu de temps après, il est envoyé à St. Paul, au Minnesota, pour vivre avec sa grande sœur et son mari. Comme Il n’aimait pas son beau frère, Parks s’est finalement retrouvé dans la rue pour se débrouiller seul à l’âge de 15 ans. Luttant pour survivre, il a travaillé dans des maisons closes en tant que chanteur, pianiste, puis comme contrôleur de bus, porteurs de valises et joueur de basket semi-pro. Tous les jobs étaient bons pour ne dépendre de personne. 

1929 est une année clé pour Gordon Parks, qui a brièvement travaillé dans un cercle d’hommes blancs riches, « le Minnesota Club ». Là, il a non seulement observé les signes extérieurs de richesse, mais aussi les codes sociaux entre privilégiés, le langage des hommes blancs. Il observe tout ce monde à part, tel un photographe qui s’ignore. Quand le salon de ce cercle se vidait, Gordon Parks allait lire de nombreux livres de la bibliothèque du club, pour rattraper le savoir que le Kansas n’a jamais voulu lui donner. 

Le fameux crash de Wall Street en 1929 a mis fin au club. Il saute spontanément dans un train pour Chicago, la ville qui sera sa destination pour la réussite. Un jour Parks, ouvre un magazine et il est frappé par la force des photographies de travailleurs migrants. Il avait alors tout juste 25 ans. Il décide de  s’acheter son premier appareil photo chez un prêteur sur gage, et s’offre un Voigtländer Brillant (bijou de boitier) pour 7,50 $. C’est le vendeur qui lui explique le mode d’utilisation de l’appareil, Gordon Parks enregistre tout et comprends vite. 

“I saw that the camera could be a weapon against poverty, against racism, against all sort of social wrongs. I knew at that point I had to have a camera » (J’ai vu qu’un appareil photo pouvait être une arme contre la pauvreté, contre le racisme, contre toute sorte de mal sociétal. À ce moment là, j’ai su qu’il me fallait un appareil).

Avec ce genre d’appareil, il faut se poser et bien observer son environnement avant de déclencher, Gordon termine ses premiers rouleaux de pellicules et les déposent dans un labo au lieu de les développer lui même. Et c’est comme ça que la chance arrive !  Les tireurs du laboratoire qui ont développé les premiers rouleaux films de Parks lui posent la question : « C’est vous qui avez pris ces photos ? » . « Gordon Parks, oui c’est moi », répond-il.

Tous viennent le voir au comptoir pour applaudir son travail. Gordon Parks est touché de recevoir un encouragement si sincère et spontané. Les employés du laboratoire se prennent d’affection pour le jeune homme et le pistonnent en tant que photographe de mode auprès d’un magasin pour femmes appartenant à Frank Murphy (équivalent des galeries Lafayette).

En matière de portraits de mode, Gordon Parks apporte quelques chose d’innovant pour l’époque, le mouvement ! Il éclaire la fluidité des matières comme personne et quand il s’agit de cadrage, Gordon Parks excelle !

Il est très bon quand il a un appareil photo entre les mains, c’est aussi simple que cela. Ses photographies de mode ont attiré l’attention de Marva Louis, épouse du champion de boxe poids lourd Joe Louis. Elle va l’encourager à ouvrir son propre studio photo à Chicago. Marva s’occupe de lancer un très bon bouche à oreille, auprès de l’élite de la ville et le business est lancé. Les portraits des personnes riches financent son train de vie, mais Gordon Parks a toujours une conscience sociale et politique en alerte. À côté de cela, il photographie la condition des afro-américains de Chicago, sans relâche. Il observe la pauvreté structurelle à travers son objectif et capture la vie de ceux qu’il appelle les sous-représenté.es

Il a commencé à faire la chronique du ghetto noir du côté sud de la ville de Chicago et en 1941 l’exposition de ces photographies a valu à Parks une bourse auprès de la Farm Security Administration. Il gagne haut la main la bourse Julius Rosenwald, qui lui accorde la somme de 200 $ par mois (environ 3000 euros aujourd’hui). La production de ses clichés va contribuer aux archives et à écrire une partie de l’histoire américaine. Quand Parks travaille pour les grandes institutions, il se sent habité d’une vraie responsabilité. Montrer l’Amérique raciste ségrégationniste qui l’a tant maltraité ! Il ne veut pas invisibiliser la crasse des ghettos, ni mépriser ces travailleurs qui se fracassent le dos pour servir une Amérique blanche riche et puissante. Il refuse d’ignorer ces femmes de ménages qui travaillent pour les institutions gouvernementales.

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« American Gothic » © Gordon Parks

Une de ses oeuvres puissantes, c’est l’une de ses photographies les plus connues, American Gothic, Washington, DC, du nom de l’emblématique peinture de Grant Wood. La photographie de Parks montre une femme noire, Ella Watson, qui travaillait dans l’équipe de nettoyage du bâtiment du Ministère de l’Agriculture, debout, devant un drapeau américain accroché au mur, un balai dans une main. Sa seule arme contre la pauvreté.

« Avant de prendre ce cliché d’elle, j’ai d’abord pris le temps de discuter avec Ella Watson, je voulais connaitre son quotidien, et ce qu’elle me racontait était tellement désastreux, que je devais absolument la photographier ! »

Une des grande forces de Gordon Parks, c’est qu’il prenait le temps de parler aux personnes, avant de les photographier. Sur toutes ses images, l’empathie est présente. Comme tout artiste qui se respecte, il étudie l’image et l’histoire de l’art sans relâche. Comme tout enfant pauvre, Gordon Parks a faim de connaissance, car la culture n’est jamais venue à lui. 

Parks arrête de travailler pour les institutions gouvernementales, il veut être 100%  indépendant. Grâce à sa solide réputation acquise à Chicago, il déménage à New York et va devenir l’un des meilleurs photographes de presse de tous les temps. Il peut tout photographier, les robes hautes coutures, la rue, les salons de la Maison Blanche, les gangs, Barbra Streisand, Mohamed Ali, Malcom X. Il sera d’ailleurs le parrain de la fille de ce dernier, Qubilah Shabaz. 

Aucune photo publiée de Parks n’est ratée ! AUCUNE…. 

Dialna - Gordon Parks
© Gordon Parks

Il va surtout travailler longtemps avec le magazine « Life », qui lui permettra d’obtenir un statut et une réputation. On le surnommera d’ailleurs « l’un des photo-journalistes les plus provocateurs les plus célèbres des États-Unis »Il sera le premier photo-reporter noir de Life et Vogue Magazine.

Dialna - Gordon Parks
© Gordon Parks

Dans les années 50, il a le courage de revenir dans sa ville natale à Fort Scott, alors qu’il s’était juré de ne plus remettre les pieds au Kansas. Il va alors renouer en image avec les souffrances de son passé. Cette série, « Gordon back to Fort Scott » est d’une force, d’une douleur et d’une poésie incroyable. Elle fera l’objet d’un photo reportage « Hors série » pour le magazine Life

Dialna - Gordon Parks
© Gordon Parks

Photographier les conditions des personnes noires au Kansas ainsi que les dégâts de la ségrégation, était un devoir pour Gordon. Il fallait mettre son talent de photographe au service de son histoire, c’était un moyen de guérir, et aller de l’avant. Là-bas, il retrouve quelques amis, voisins et connaissances qui lui ouvrent leurs portes sans résistance. Ils se sentent en confiance et se laissent photographier. Tous posent de manière frontale, face à son objectif.

Gordon Parks se rend compte qu’il y a eu peu de changements sur place, depuis son enfance. Cela l’attriste énormément, mais le jeune photographe va de l’avant. 

Plus tard, Gordon Parks collabore avec le romancier Ralph Ellison et les photos qui illustrent son roman, Invisible man. Il n’y a pas de mots pour décrire ses photos. Tout ce que l’on a faire, c’est admirer et se taire. Gagnant du National Book Award en 1953, le roman a été salué comme l’un des premiers à traiter de l’expérience des Noirs dans l’Amérique du XXe siècle, comme une expérience humaine à part entière. 

En 1960, Gordon gagne le prix du photographe de l’année aux États-Unis, et le monde entier le veut. Il est appelé à faire des portraits de mode à Paris, immortalise Ingrid Bergman en Italie, photographie les ouvriers noirs américains comme des super héros. Là ou il va, il casse les barrières. 

Son travail est exposé dans les musées, il écrit des bouquins et réalise des films, dont le fameux Shaft qui est adaptation de son livre The learning tree. Gordon Parks fait partie des précurseurs de la blaxpotation. Le film est un succès international, en partie grâce à la bande son de Isaac Hayes ! D’ailleurs dans la version de 2000 de Shaft, Gordon Parks fait une brève apparition face à Samuel L Jackson. 

Dialna - Gordon Parks
DR

Les décennies, passent et la boulimie de créer de Gordon est toujours présente. Il peint, compose, met en scène, et crée le magazine Essence qui est toujours en vente aujourd’hui. Il continue bien sûr à filmer et photographier. Il en fallait de l’énergie pour suivre cet homme qui avait la rage de vivre. Toute sa vie, il fut apprenti et créateur à la fois. 

Le 7 mars 2006, Gordon Parks décède d’un cancer, à l’âge de 93 ans alors qu’il vivait à Manhattan, à New York. Il est enterré dans sa ville natale de Fort Scott, Kansas. D’ailleurs quand vous entrez dans la ville, sa photo trône au dessus d’un panneau.

Gordon nous a laissé un patrimoine culturel gigantesque ! 

  • Des milliers de négatifs et de tirages se trouvent à la Gordon Park Foundation à New York. 
  • Une grosse partie de ses manuscrits, notes, reportages se trouve à la bibliothèque du congrès de Washington. 
  • Le registre national du film d’archives de Washington a gardé les copies de ses films.
  • Parks a reçu de nombreux prix prestigieux et a été intronisé au  « International Photography Hall of Fame and Museum » en 2002
  • Les universités de Wichita et Kansas organisent des conférences autour de son travail et on acheté ses images archives… 

Quelle belle revanche de la vie, dire qu’enfant on a tout fait pour qu’il ne fasse pas d’études supérieures. Aujourd’hui, ses oeuvres sont étudiées dans des amphithéâtres de l’État du Kansas. 

Gordon Parks, c’est bien plus qu’une vie, c’est un destin ! Il n’avait pas d’autres choix que de réussir et dans son succès, il a embarqué beaucoup de jeune afro-américains avec lui. Il a enseigné la photographie à ceux qui ne pouvait pas se permettre des cours photos. Il nous a surtout appris à ne rien lâcher, il a tué et enterré le syndrome de l’imposteur sans pitié, car très tôt, il a vu les rouages et les résultats du découragement. Tout était orchestré pour qu’il étouffe ses rêves, et pourtant, il a réussi une carrière et une vie exemplaire ! 

«Au début, je n’étais pas sûr d’avoir le talent, mais je savais que j’avais peur de l’échec et cette peur m’obligeait à lutter contre tout ce qui pouvait l’encourager. J’ai souffert de maux, mais sans leur permettre de me priver de la liberté de m’étendre. »

Sa force mentale, son endurance et son intelligence ont rendu son travail immortel et intemporel.

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