La réédition de Opéra Puccino, le premier album d’Oxmo Puccino est sortie il y a quelques jours. L’album a 20 ans. J’en ai quasiment le double. J’ai vieilli avec cet album, avec ce génie du rap, et de l’écriture. J’avoue ne pas toujours avoir été une inconditionnelle de rap. Non. Adolescente, tout le monde autour de moi ne jurait que par les clivages West Coast / East Coast, ma petite soeur usait de vieilles K7 en enregistrant les freestyles sur Original Bombattak (88.2), et me faisait lui acheter des compilations obscures à faire pâlir de jalousie certains spécialistes. Moi, je m’éclatais surtout avec Nirvana, Radiohead, Ben Harper et tant d’autres.
Cela dit, les textes, les mots, ont toujours eu de l’importance pour moi. Alors forcément, le rap m’intéressait quand même un peu. En tout cas les lyrics. Et les lyricistes donc.
Qui dit textes de qualité, dit Oxmo Puccino. Ça va ensemble, c’est un automatisme. Mais Oxmo, ce n’est pas que ça. D’ailleurs je déteste lire qu’on l’appelle “le Black Jacques Brel”. Pas besoin de le comparer à un grand de la chanson française, blanc, qui plus est, pour comprendre qu’il a un énorme talent. Comme si c’était exceptionnel, un rappeur, noir, qui écrit aussi bien….
Avant la sortie de l’album, il y a bien sûr les fameux freestyles Time Bomb (merci Laïla), et les performances plus que remarquées sur des albums / bandes originales. 1997, premières apparitions d’Oxmo sur Sad Hill de Khéops avec Mama Lova) et sur la bande originale du film L432 avec Pucc Fiction feat Booba (redédicace Laïla).
Grandir sans père, c’est dur, même si la mère persévère
Ça sert, mais pas à trouver ses repères, c’est sûr
Perdre sa mère c’est pire, demande à Pit’ je t’assure
T’as pas saisi, enlève la mer de la Côte d’AzurMama Lova – Sad Hill
En deux morceaux, il m’a mise KO. Un mec capable de parler de l’amour pour sa mère et de s’inventer une vie de mafieux comme dans les films, c’est pas rien. Parce que oui, Oxmo, c’est aussi le délire gangster, mais au cinéma. Pas besoin de chercher plus loin, on sait tout de suite qu’il ne s’invente pas une vie. Il en raconte une imaginée. Et ça fait la différence.
1998 arrive. J’écoute un peu plus de rap, la diversité de la production française aide beaucoup. On arrive enfin à la sortie d’Opéra Puccino. On attendait énormément cet album. Je vais me confesser (encore). Je n’ai pas acheté le CD. Enfin pas tout à fait. 2ème année de DEUG LCE à Nanterre, cours de littérature anglaise. Je me souviens qu’on s’ennuyait beaucoup en étudiant The Moonstone de Wilkie Collins. En cours avec moi, il y avait Mathieu, Guillaume, Pierre, ou un autre “prénom d’apôtre” (dédicace ©Christelle). Je retiens plus facilement les titres de livres que les noms des gens. Il était un des premiers à avoir un graveur CD. Bien sûr, il ne rendait pas service gratuitement. Vous me voyez venir ? J’ai donc acheté à Mathieu Guillaume Opéra Puccino, gravé. Je n’en suis pas fière. Mais cet acte de piratage de pauvre étudiante m’a permis de littéralement craquer pour le talent d’Oxmo. Désolé Ox’ . Et oui, j’ai ensuite acheté chaque album. Pas à Pierre Mathieu. Non, j’ai acheté les vrais CD. Et j’ai payé mes places de concert. J’ai remboursé une partie de ma dette.
Revenons-en à cet album, Opéra Puccino. Je ne suis pas une technicienne du rap. Mais pour moi, cet album a tout. Il n’y a rien à jeter. Dès le début, quel que soit le style de morceaux, Oxmo a une telle aisance, qu’il donne l’impression que ça vient tout seul. Sa voix, son léger cheveu sur la langue, son flow, son imaginaire cinématographique, et bien sûr son écriture, ont fait d’Opéra Puccino un classique dès la première écoute ; un classique théâtral aussi bien que musical. Avec actes, scènes, applaudissements… Pièce de théâtre, film classique, mais aussi voyage poétique. On en a pour son argent. Enfin, Pierre Mathieu en a eu pour son argent.
C’est simple, cet album, c’est le seul qui m’a fait kiffer, bouger la tête, réfléchir, rire, et pleurer en même temps, sans pour autant être moralisateur ou donneur de leçons. Encore aujourd’hui. 20 ans après, rien n’a changé. À chaque écoute, ce sont les mêmes sensations, aux mêmes moments. Toujours aussi intenses. Je devrais t’en vouloir Ox’, c’est moche de faire pleurer les gens comme ça. Mais je me souviens que j’ai piraté le disque, alors je me tais. En même temps, j’en redemande. Sache cependant que l’été de cette année là, tu m’as malgré tout accompagnée durant un long périple en car vers Agadir. Et que la plage de l’Oasis se souvient encore de tes morceaux qu’on passait à fond (dédicace à Samira, et énième à Laïla).
Je m’égare. Je n’ai pas parlé de DJ Mars et DJ Sek, fondateurs du feu label Time bomb, qui sont à l’origine de toutes les prods de l’album, pardon. Leur boulot est hallucinant. À eux deux, ils magnifient la plume d’Oxmo, et réussissent à aérer l’auditeur avec des morceaux plus légers que ce soit dans le thème ou la prod, notamment Sacré samedi soir.
En parlant de morceau léger, en fait la première approche avec cet album c’était le single Le mensongeur avec K-reen. Un morceau avec K-reen, même si c’est pour jouer le crevard, looser, ça marche toujours. Alors, OK beaucoup ne l’aiment pas ce titre. Tant pis. J’aime l’autodérision d’Oxmo ici.
De toute façon, j’ai trop de meufs, j’ai pas besoin de toi
T’es là chaque samedi, ma copine me l’a dit
Normal, elle rêve de moi tout comme toi demain soir
A croire que tu ne dors jamais, jamais
C’est de ta faute t’es le Freddy Kruger féminin
Carte de crédit usée sans fric
Peut-être mais demain je serai tellement riche
Que tu m’appelleras : « Bi-biche »Le Mensongeur feat K-reen
K-reen revient pour le hit Le jour où tu partiras. Je pense que même les plus lascars d’entre vous ont versé une petite larme à cause de cette chanson. L’émotion est à son comble quand de nombreuses années plus tard, lors du premier concert de L’âge d’or du rap français, il reprend ce morceau accompagnée de la meilleure chanteuse de featurings du game. Oui, j’ai pleuré comme une enfant dès qu’on entend la voix de K-reen, tellement c’était beau. Vous aussi, ne mentez pas.
Mais Oxmo ce n’est pas qu’un lover. Non, c’est aussi un personnage de film. En tout cas ses alter égo le sont, mafieux en plein règlements de compte. Sur la lancée du morceau Pucc’ fiction, Ox’ reprend son rôle favori, celui de storyteller, ou de conteur, avec les morceaux Hitman, ou encore Alias Jon Smoke qui sont de véritables court métrages en musique. Les textes sont toujours aussi percutants.
Au rez-de-chaussée, sapé de rouge
Chaussé de Clarks, casquette rouge, Uzi sous la pizza
« Dring dring ! C’est pour la commande ! »
Y a mille mecs, je demande : « Où est Tino Biniki ? »
Jetée en l’air, la boîte à pizza fais diversion
M’laisse trois secondes pour qu’ils soient tous morts
Sauf Donnie Brasco a.k.a Joey Pistone
« Depuis le film, je sais qui tu es
T’inquiètes pas fiston, je vais pas te buter
*Bruit de Glock* Je te jure, je suis pas une langue de pute ! »Hitman
Et puis il y a les morceaux “vrais”, les prises de conscience, véritables états des lieux, qui racontent une époque mieux que n’importe quel journal télé. Ceux qui font que, malgré tout, le rap est encore le style qui parle le mieux de nous. Qui peut le nier ? en est l’exemple ultime.
Si ton avenir est un livre, dommage pour l’encyclopédie que c’est
Que les dernières pages soient les cages d’escalier
Et comme dans le hall faut que tu palpes
On calcule les valeurs qui sautent à l’œil : celui qui a le plus de sapes
Mais en vrai on n’a pas de cash et peu de gens le savent…
Car c’est l’illusion dans le même camp “Qui peut le nier ?
Opéra Puccino ne déroge pas à la règle de l’époque. Il contient des Interludes. Souvenir d’un temps révolu. Ils sont du même niveau que les morceaux. Je ne les ai jamais zappés.. La preuve, avec Peu de gens le savent et sa partie sur les BEP ..
Tu demandes à chaque mec des cités
T’as quoi comme diplôme, m’fin, comme brevet ?
Il va te sortir j’ai un BEP moi
BEP, Tu crois qu’tu vas faire quoi avec un BEP, hein ?
Eh, combien de millionnaires en BEP, hein ?
Aujourd’hui tu vas voir la conseillère d’orientation
Elle te sort ouaih
Moi j’ai un bon plan pour vous, faites un BEP chaussure
Hé, j’lui fais moi, les gens ils m’ont attendu pour marcher moi
Hein, BEP chaussure ?!
Elle va te faire bah alors un BEP chaudronnerie monsieur
Chaudronnerie enfoiré
Tu crois que je vais faire quoi avec la chaudronnerie moi
Chaudronnier, hein ?
Tu crois que je vais faire quoi avec un chaudron ?Peu de gens le savent
Avec des morceaux comme Amour et jalousie, Visions de vie, Peur noire, on plonge entièrement dans les méandres de l’esprit d’Oxmo Puccino. Après la première écoute, et encore plus après avoir écouté l’album environ 759 0756 fois, j’ai l’impression de le connaître plutôt bien, Oxmo. Même que parfois, je me dis que finalement il nous/me ressemble un peu…
Mais les amis devant la monnaie deviennent des animaux
La famille : un jeu de quilles, Strike à chaque shoot
Suffit d’une bille de cinq lettres : E.N.V.I.E
La jalousie suinte sur le front de ceux qui sont les moins loin de toi
Les mêmes censés avoir le cran de prendre soin de toi, tu vois
Un des frères moins aimé que l’aîné par sa mère
Dès l’enfance commence la sale guerre
Les frères grandissent, la plaie reste ouverte et pleine de haine
Les liens se pourrissent et se poursuivent
Jusqu’aux enfants et aux enfants de ses enfants et ainsi de suite…Amour et jalousie
J’ai gardé quelques morceaux et pas des moindres pour la fin. Ce n’est pas innocent. Ce sont MES classiques de cet album. Ceux que j’aime encore PLUS que les autres.
24 heures à vivre feat Akhénaton, Freeman, Le Rat Luciano et Pit Baccardi : C’est presque un strike, une presque dreamteam. « Presque » car je n’ai jamais été une grande fan de Freeman. Pourtant, ce morceau arrive à me faire oublier que je ne l’apprécie pas. Parce qu’il est moins mauvais ici. Et surtout parce qu’autour de lui, il y a la crème de la crème, pour un morceau excellent, avec une prod efficace et entêtante. Si au passage, quelqu’un peut dire à Pit Baccardi de revenir, on le/la remercie d’avance. Pareil pour le rat.
Faut que je mette cette fille enceinte de mon fils
Qui, j’espère, sera doué, méchant et rappera comme son putain de père
Pire que la Lady Di, keuss façon Pit Bacardi
Rappera dessus, ce sera l’hétéro black Elton John24 heures à vivre
Quand j’ai vu qu’Oxmo proposait une nouvelle version de ce morceau sur la réédition de l’album, j’ai voulu tout arrêter, lui en premier. On a toujours du mal avec les changements. Désolée d’avoir douté, vraiment. Rien ne remplacera Akh, et le rat sur le morceau original. On pouvait s’attendre qu’Oxmo Puccino aille choisir les grands noms du moment. En plus de son pote Pit, il est allé chercher des noms moins connus du grand public, moins attendus aussi. Mention spéciale à Demi-Portion, toujours aussi fort.
La loi du point final feat Lino : Deux grands messieurs du rap français, avec un sample de Ben Harper. La boucle est bouclée. C’est une des pistes que j’ai le plus saignées. Au point de rayer le CD gravé de Pierre Guillaume. J’ai espéré très fort un album en commun de ces deux experts rapologiques. Il n’est peut-être pas trop tard …
Faut surtout pas que les frères cessent de se pointer finalement
Puisqu’il faut qu’il n’en reste qu’un pour qu’une race soit en paix
Que les parents cessent de crier sur leur fils
Qui ramène pas le succès fiscal tôt, l’an 2000 c’est pas les sixties !
Ta vie, un livre sans virgule car faut pas se priver
Sachant que chaque chose à un point final, pas vrai ?La loi du point final
Mourir 1000 fois : J’ai littéralement passé ma première écoute de ce morceau à pleurer. Ce morceau clôt l’album déjà lourd en émotions en tout genre. Le sample et la prod hypnotisante, créent pratiquement une impression de transe. Et forcément, le texte, puissant, a fait exploser la corde sensible. Les vannes ont lâché. À vrai dire, même si j’arrive à retenir ce flot de larmes aujourd’hui, j’ai toujours un énorme pincement au coeur en écoutant ce titre. Et pourtant je l’aime toujours autant..
On dit perds pas l’espoir, mais faire quoi
Quand un sale faire-part dit que ton père part d’un cancer ?
De toute façon c’est ça ou autre chose
Il y a mille façons d’être soustrait
De laisser les joues arroséesMourir 1000 fois
Et pour finir, je parlerai de ce que j’appelle le morceau parfait, L’enfant seul. Là aussi, il y a eu des larmes. Je suis émotive, c’est comme ça. Et Oxmo sait comment jouer des sentiments. Comme il le dit si bien, « L’enfant seul c’est toi, lui, elle ». Là où Mourir 1000 fois est allé parler à l’adolescente de 15 ans qui venait de perdre son père, ce morceau est allé directement s’adresser à la petite Nadia de 10 ans, qui était mal dans sa peau. Et ça percute encore, tant par le thème que par la qualité du texte. Si on sort de l’aspect émotif, et qu’on parle technique de flow, d’écriture, d’allitération, je reste encore aujourd’hui sans voix devant la performance. J’ai vraiment des frissons à certains passages, et ce depuis la première écoute. Ça n’a pas bougé.
Pour punir les parents, qui pour aimer l’enfant ont trop attendu
Car si l’amour est une course, l’enfant naît c’est l’départ en tête
L’embêtement comme passe-temps en fait des parents bêtes !
Mes crises lancinantes, sentiments en ciment sinon dans six ans
On me retrouve ciseaux dans le crâne dans le sang gisantL’enfant seul
Je n’en mène pas large quand ce morceau est joué sur scène. Je remercie les ingénieurs lumière de ne pas trop éclairer le public à ce moment là, ça me permet de garder une certaine dignité face aux amies.
Même si Oxmo Puccino version 2018 est loin de la version 1998, il reste toujours le rappeur qui vous retourne le cerveau et le coeur avec un flow inimitable et une plume unique, magistrale.
La réédition de ce classique intemporel mérite bien un achat tardif pour rejoindre le reste de la discographie. Merci Oxmo Puccino pour ce chef d’oeuvre.
Si vous n’en avez pas assez, je vous conseille grandement d’écouter la conférence qu’a donnée Romain Benini, Maître de conférence à la Sorbonne, sur cet album, et plus précisément sur la métrique d’Oxmo à travers 4 morceaux d’Opéra Puccino, dans le cadre du séminaire « La plume et le bitume ». Ça peut avoir l’air rébarbatif, mais je vous jure, c’est passionnant. Et au final, vous verrez, même s’il ne le dit pas comme ça, L’enfant seul est VRAIMENT le morceau parfait.
(Par contre si quelqu’un a des invitations pour les concerts à l’Olympia, je suis dispo. J’ai raté la mise en vente. Help a sister in need.)
Halalala…. oxmo…… qd on entend aujourd’hui les pouloulou et tutti quanti , on ne peut que retourner vers Les valeurs sûres comme cet album .
Tu m a fait revivre les vacances et le chtah a l oasis avec ta dédicace lol
Je ne pouvais pas ne pas évoquer cet été là
Nadia, ta plume n’a rien à envier à celle d’Oxmo et ton histoire fait quelques échos. Merci pour cet article et tes mots… Moi je n’ai fait que « picorer » à l’époque cet album, je vais de ce pas l’écouter en entier !
Merci pour ce commentaire Val ! Le vrai poète, c’est Oxmo !
[…] seul est le morceau PAR-FAIT. Et puis c’est ma manière de continuer à fêter les 20 ans d’Opéra Puccino. Comme on est sympas, on vous a mis un autre morceau de l’album en bonus, le […]