[Livre] Nathalie Tientcheu : L’amour est une histoire de sorcellerie

Dialna - Nathalie Tientcheu

L’amour ! Rien de plus naturel, obsédant, enivrant … Rien de plus « magique » que cet état : L’Amour est une histoire de sorcellerie ! C’est en tout cas l’affirmation que nous propose Nathalie Tientcheu comme titre de son premier roman paru aux éditions Fauves. Partons en voyage à la découverte des traditions camerounaises vues à travers les yeux de cette autrice, forte de sa double culture qu’elle nous partage dans ce très actuel premier roman.

Faustin est le chef d’une grande famille et chef d’un village au pays. Les siens vivent entre l’Afrique et l’Europe. Alors qu’il vient en France pour le mariage d’Elie, l’une de ses filles, ce voyage va être l’occasion pour la fratrie vivant en Occident d’attirer l’attention paternelle. Faustin a prévenu sa femme Clotilde qu’il séjournerait chez elle. Cette décision va bouleverser l’équilibre précaire de la vie de cette dernière, des enfants et de tout le clan engendré par Faustin. Parce qu’il a été « envouté », sinon quoi d’autre ? Comment un homme tel que lui a-t-il pu tomber sous le charme de Clotilde, Pauline, Catherine, Charline et Délice ? Faustin va devoir composer avec toutes ses femmes, ses nombreux enfants, ses responsabilités au village et les affaires. Il va tout faire pour être un bon père, malgré les différences culturelles qu’il ressent entre ses enfants du pays et ses enfants qui vivent en France, à qui il donne l’impression que l’amour paternel est secondaire.

De l’amour de la lecture à l’écriture, avec pour boussole, la mixité culturelle

Dans ce roman, on suit l’histoire à travers le point de vue d’un nouveau personnage à chaque fois. Nathalie Tchiencheu nous explique ce choix d’écriture « En fait, quand on est dans une famille, il peut nous arriver à tous la même chose, mais on ne va pas la vivre de la même manière. C’était cela que je voulais faire ressortir dans le livre. Si une personne de votre famille décède, vous n’allez pas tous le vivre de la même manière : l’un va être un peu plus introverti, l’autre va peut-être s’ouvrir davantage, un autre peut mûrir un peu plus, et c’est tout ça que l’on retrouve dans le roman. »

dialna - Nathalie Tientcheu
« J’ai toujours aimé écrire, surtout des petits textes, et là, quand je suis revenue de mon voyage, ça a été fluide ! » Nathalie Tientcheu © Valérie Desgardin

Devenue autrice par goût de la littérature et par passion, Nathalie Tchientchieu exerce un autre métier dans sa vie de tous les jours. C’est au retour d’un voyage sur le continent africain qu’elle prend la plume pour ne la lâcher qu’une fois l’écriture de son roman achevée. « J’ai toujours aimé écrire, surtout des petits textes, et là, quand je suis revenue de mon voyage, ça a été fluide ! Dès l’avion même, j’ai commencé à prendre mon stylo, à écrire. L’écriture a duré réellement deux mois : j’ai dû l’écrire le premier mois puis j’ai laissé le manuscrit de côté. Après j’ai trouvé ma fin, je m’y suis remise et je l’ai terminé. », dévoile-t-elle. 

L’autrice a aussi fait le choix d’écrire son propre roman, un peu par manque de représentation de sa double culture, et par manque de visibilité de ce point de vue si particulier de celle qui est d’origine. Elle explique : « On voit très peu d’ouvrages mixtes : soit ils parlent essentiellement d’un pays d’Afrique, soit ils parlent essentiellement de la France mais très peu des deux. Je suis née et j’ai grandi en France, et j’ai des origines camerounaises. J’ai une double culture et mon livre me ressemble : c’est un mélange des deux. Quand j’écris, ça reste toujours autour des origines et la mixité : le personnage principal de mon livre vit souvent en France et l’autre protagoniste a ses coutumes, ses habitudes africaines. Il est toujours question de mixité, même si les histoires sont différentes. La toile de fond reste toujours mes origines, ma culture, ma nationalité et les coutumes. ». Et cette mixité, cette double culture, se ressent dans les influences de l’autrice : « Depuis peu, j’ai découvert des artistes comme Alain Mabanckou, ou encore Ahmadou Kourouma chez qui je retrouve moins ce type d’histoires. Ses récits sont davantage ancrés sur l’Afrique. Chez Alain Mabanckou, il existe la possibilité de trouver ce genre de mixité. Disons que c’est quelqu’un qui m’inspire en tout cas ! ». Et, la littérature française n’est pas en reste sur les étagères de la bibliothèque de Nathalie Tientcheu. Elle s’enthousiasme quand elle en parle : « Je suis une férue de Balzac ! Je ne sais pas si j’ai déjà lu toutes ses œuvres mais en tout cas, dès que je tombe sur une œuvre que je n’ai pas lue, je la lis. Ce que j’aime particulièrement chez lui c’est la description des personnages, plus il décrit les personnages, plus ça permet au lecteur de se projeter et de les imaginer ainsi que les situations. J’aime énormément ça ! ».

On voit très peu d’ouvrages mixtes : soit ils parlent essentiellement d’un pays d’Afrique, soit ils parlent essentiellement de la France et très peu des deux. Comme j’ai une double culture (je suis née en France, j’ai grandi en France et j’ai des origines camerounaise) mon livre me ressemble : c’est un mélange des deux.
Nathalie Tientcheu

La polygamie, une des facettes de l’amour

Polygame, Faustin, le héros du roman, aime les femmes. Nathalie Tientcheu a pu observer cette pratique, partie intégrante de la culture camerounaise, au cours de ses voyages. Ellle se confie : « Je n’ai pas recueilli spécifiquement des témoignages sur la polygamie pour écrire le roman, mais étant d’origine africaine, j’avais des amis qui étaient enfants de polygames. J’ai des tantes, femmes de polygames et des oncles eux-mêmes polygames. Je voyais un peu comment ça se passait : les disputes entre eux, les disputes entre frères et sœurs. Les « Ce n’est pas ma mère, c’est ma mère », ce n’est pas que de la fiction. C’est vrai que c’est un peu lointain, parce que la plupart de mes cousins ou cousines issus d’unions polygames ne vivent pas spécialement en France, mais ces souvenirs sont restés.» Et ils ont influencé la plume de l’autrice. Son regard de femme française moderne est nuancé sur la polygamie : « Dans le cas de l’intrigue du livre, il a une vraie raison à la polygamie ! En fait, tous les hommes ne veulent pas forcément être polygames ! Parfois, on les force aussi à l’être : il existe des circonstances et des coutumes au pays qui font qu’aujourd’hui si tu ne peux pas avoir d’enfants, ta femme te poussera à avoir une autre femme pour en avoir. Il y a plusieurs facteurs qui amènent à la polygamie. L’observer et le comprendre ne veut pas dire forcément que j’accepte ce que j’ai vu : je n’apprécie pas ces façons de faire. Je pense aussi que tout le monde ne peut pas être polygame. Je trouve cette pratique dépassée mais bon, vu qu’elle existe, il faut en parler. Et surtout, ça ne signifie pas qu’il n’y a pas d’amour entre les gens. La polygamie fait partie intégrante de la culture camerounaise : je ne sais pas si elle est amenée à disparaître, dans des pays très animistes et très ethniques, mais je pense qu’il y en a beaucoup moins qu’avant. »

En fait, ce qu’il faut savoir c’est que tous les hommes ne veulent pas forcément être polygames ! Parfois, on les force aussi à l’être : il existe des circonstances et des coutumes au pays qui font qu’aujourd’hui si tu ne peux pas avoir d’enfants, ta femme te poussera à avoir une autre femme pour en avoir.
Nathalie Tientcheu

La famille, point d’orgue et endroit de l’expression de l’amour

« Alors, ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas ma famille ! L’intrigue s’inspire de bouts de vie que j’ai pu rencontrer lors de mon dernier voyage en Afrique », explique Nathalie Tientcheu le sourire aux lèvres.  Ce livre n’est pas autobiographique, enfin, pas totalement. L’autrice n’échappe toutefois pas à la tentation de mettre un peu de soi dans son premier ouvrage, un peu de vérité : « On peut quand même reconnaître des petits traits d’un personnage qui ressemble un peu à ma sœur et ses croyances (rires). Elle l’a bien accepté parce qu’elle est contente pour moi que j’ai réussi à mener à bien ce projet ! Cette famille ne ressemble pas tant à ma famille : mon père n’était pas polygame. Il y a peut-être des similitudes dans la façon dont les parents se sont rencontrés, mais mes parents n’ont jamais été très bavards sur leur vie privée donc quand je raconte l’histoire de Faustin et Clotilde, je ne raconte que leur histoire. »

Dialna - Nathalie Tchientcheu

Et la mixité culturelle que revendique Nathalie Tientcheu se perçoit à travers un personnage particulier, Catherine, l’amante « blanche » de Faustin, mère d’un enfant… Elle raconte : « Comme je dis que je suis dans la mixité, je voulais créer le personnage d’un enfant qui sorte de nulle part, et qui n’a rien à voir avec les autres mais qui finalement veut devenir comme les autres. C’est important de se raccrocher à une tribu ! ».

L’amour d’une fratrie est aussi un des aspects importants de l’amour que nous partage l’autrice « Ma mère a eu 5 enfants, mais mon père a été tuteur de 3 autres enfants, qui sont pour moi comme mes 3 grandes sœurs, on n’a pas le même père ni la même mère mais ce sont mes sœurs quand même. Et ça me vient de ma culture africaine je pense. En France, j’aurais dit « C’est ma cousine ». Mais même ici, je n’arrive pas à dire c’est ma cousine, je dis que c’est ma sœur : on a grandi ensemble. Je ne sais pas exactement quand elle est arrivée dans ma vie, mais je l’ai toujours vue donc je ne peux pas dire que c’est ma cousine ! ». 

L’amour… une histoire de sorcellerie, forcément !

Aujourd’hui amoureuse, Nathalie Tiencheu nous parle d’amour et de ce qu’elle a pu observer lors de son voyage sur le continent africain, des différences qui l’ont inspirées dans la rédaction de son roman « J’ai vu des similitudes dans pas mal de pays, c’est ce qui m’a poussé à écrire ce roman. Je parle de mes voyages en Afrique car au départ, je ne connaissais pas le Togo, le Bénin, le Ghana. Finalement, chaque peuple est différent et a sa propre culture – on retrouve la différence de chaque peuple -, il y a quand même des choses sur lesquelles les gens s’accordent. On se dit « Ah oui, chez moi aussi c’est comme ça ! » En revanche, quand on parlait d’amour, il y a particulièrement une phrase que je n’ai jamais entendue, et ce, quelque soit le pays. On ne disait jamais « Je suis amoureux ! ». Les gens vont dire et répéter « Je ne sais pas ce qu’elle m’a fait », « Je ne sais pas pourquoi », ou encore « Elle m’a jeté un sort ». Alors qu’en France, on a cette facilité à le dire, ce qu’on ne fait pas en Afrique. Là-bas, étant donné qu’il s’agit d’émotions qu’on ne peut pas contrôler, c’est peut-être plus compliqué de dire je suis amoureux. Je ne dirais pas que c’est de l’ordre du surnaturel parce que l’Amour c’est l’Amour, mais c’est compliqué à dire. On constate qu’on n’est pas comme d’habitude quand on voit cette femme (cet homme), donc ça n’est pas normal. Et peut-être qu’elle (il) m’a mis quelque chose dans mon plat ! Et, quand bien même la personne ne le dit pas, sa famille dira qu’elle (il) lui a jeté un sort, elle (il) lui a fait quelque chose, ce sont des phrases qui reviennent assez souvent et même en France on l’entend ! Moi qui ai grandi en banlieue parisienne, quand il y avait des couples qui n’étaient pas validés par les parents, et bien on disait elle lui a jeté un sort ! (rires) »

Ce que je voulais avec ce livre, c’était vraiment faire voyager le lecteur entre la France et le Cameroun, qu’il ressente les différences entre les deux pays.
Nathalie Tientcheu

Les femmes et l’amour

Les femmes du livre sont d’une grande générosité : Clotilde accueille tout le monde chez elle ! Nathalie Tientcheu explique pourquoi : « Au pays, je vois beaucoup de femmes élever les enfants des autres, comme par exemple ma grand-mère qui s’est occupée d’enfants que j’appelle mes oncles même si ce ne sont pas les enfants de ma grand-mère … Je ne sais pas d’où ils viennent mais ce sont mes oncles. Je trouve qu’ici, ça se fait de moins en moins : on n’est pas dans les mêmes structures. Là-bas, les habitats sont toujours plutôt grands, donc ça permet d’accueillir pas mal de personnes. Ici, dans un 5 pièces, on étouffe rapidement. Même si tu voulais bien faire, cette proximité t’étouffe et cette générosité que tu aurais pu avoir, s’éteint ou s’estompe. Je pense qu’au pays, ce genre de choses est plus simple. Ici, les codes de vie sont tels qu’on ne peut pas forcément le faire. Alors, peut-être pour des gens comme mes parents qui sont arrivés à l’époque, ils étaient habitués à ça, c’était plus facile pour eux de prendre des gens et de vivre comme ça. De toute manière, leur parcours a été assez dur, ils ont quitté quelque chose pour venir ici : ils étaient déjà dans la difficulté, donc en ajouter une supplémentaire, qui aujourd’hui ne l’est plus, à leur vie, ça ne leur posait pas de problème. Aujourd’hui, si on me disait « Prend ta cousine du pays »,  je dirais peut-être « Oui mais bon, j’ai un petit appartement », ou peut-être hésiter avant de le faire. La difficulté de la vie ici fait que la solidarité s’estompe. D’ailleurs dans le roman, même quand Clotilde n’a plus envie qu’un des personnages vive à la maison, elle le laisse là quand même. Elle ne peut pas le mettre dehors.» Une démonstration d’amour, tout en pudeur…

Enfin, Nathalie Tientcheu confie, à propos du choix de transcrire les accents et de mettre les noms des plats camerounais « Ce que je voulais avec ce livre, c’était vraiment faire voyager le lecteur entre la France et le Cameroun, qu’il ressente les différences entre les deux pays ». Le pari est réussi et on se laisse ensorceler avec plaisir.

 

Texte et photos par Valérie Desgardin

L’amour est une histoire de sorcellerie
aux Éditions Fauves

 

PS : Vous pouvez aussi retrouvez Nathalie Tientcheu au micro de Valérie dans son podcast « La petite note vocale by Val », dans l’épisode 7 de la saison 2. 

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