Hanaa Hijazi : Deux femmes de Djeddah
Leïla et Maram sont amies et collègues de travail. Elles sont aussi différentes que le sont le jour et la nuit, mais rêvent toutes deux de vivre une vie plus heureuse, et d’amour.
Leïla, vit dans une famille très violente. Son père la bat elle, ainsi que sa mère. Ses frères croient qu’ils lui sont supérieurs, car hommes. Son existence n’a aucune valeur pour sa famille, si ce n’est pour son salaire que son père récupère entièrement. Espérer un jour connaitre l’amour et souhaiter se libérer du joug familial est une véritable utopie pour elle. La malédiction de la légende de Leïla et Kaïs (ou Majnoun ou Leïla) en est la preuve pour la jeune fille. Son destin est déjà tracé pour elle, seule la mort et la souffrance l’attendent.
Maram, elle, est tout l’inverse. D’un milieu social différent, Maram a la chance d’avoir eu des parents aimants et tendres avec elle, surtout son père, qui lui a appris autant que possible à être indépendante. Mais il n’est plus. Fut un temps où Maram aussi espérait l’amour, ou du moins le cherchait-elle, dans son cercle d’amis intellectuels. Aujourd’hui, Maram cumule les rencontres avec « ses amis », évoluant dans un milieu qui se considère plus moderne ainsi.
« J’ai retrouvé en elle l’innocence que moi, javais perdue ».
Maram et Leïla, bien que très différentes, s’apprécient sans se juger et n’aspirent toutes deux qu’à leur liberté. Leurs tourments viennent des hommes et d’une société qui leur refuse tout. Leïla ne peut pas épouser celui qu’elle aime chastement, car sa lignée n’est pas assez bonne pour son père, et surtout parce que c’est elle qui l’a choisi. Elle appartient entièrement à son père, ainsi que sa volonté. La voilà donc forcée à en épouser un autre, qu’elle ne veut pas. Maram, elle, a été amoureuse d’un homme se disant au dessus des obligations morales de mariage, avant d’en épouser une autre.
« Deux femmes de Djeddah » est un livre magnifique, touchant, car il donne la parole aux femmes, à leurs rêves, leurs envies, leurs joies, mais aussi leurs souffrances et l’injustice qu’elles vivent. Il nous informe beaucoup sur la société Saoudienne actuelle. Les mentalités tribales ancestrales (la famille de Leïla), parfois très proches de la société arabe pré-islamique (essentiellement sur la place de la femme, de la fille par rapport au père, justement) sont mises en opposition avec les populations venant des régions côtières, où les métissages ont aussi changé les mentalités (Ahmed, Maram). La place du téléphone portable est centrale dans la vie des jeunes gens en Arabie Saoudite. Sans lui, aucun contact avec les autres, aucune liberté. C’est le seul moyen d’échapper au quotidien familial, notamment pour Leïla. Le perdre c’est être privé de tout.
Il est également important de noter que le livre n’a pas été interdit, ni censuré en Arabie Saoudite malgré les critiques acerbes de la société qu’il met en lumières. L’auteure jouit d’un succès d’estime, malgré les attaques des plus conservateurs de ses compatriotes. Elle n’est d’ailleurs pas la seule, et nous ferions mieux de nous intéresser un peu plus à cette littérature Saoudienne contemporaine très productive.
Les médias traditionnels occidentaux et français vont certainement adorer ce livre, mais pas pour les bonnes raisons. De nombreux articles parlent déjà de Hanaa Hijazi comme du symbole anti-voile. Comme souvent, ils sont complètement à côté de la plaque. « Deux femmes de Djeddah » parle du poids d’une société patriarcale qui s’inspire d’une certaine vision, interprétation de l’Islam, pour contrôler et enfermer les femmes. La religion n’est qu’un prétexte comme un autre pour le patriarcat. Les sociétés non religieuses ne sont pas vaccinées contre ce dernier. Quand on lit ce livre en ayant conscience de cela, il est d’autant plus touchant.
Il est souvent mal vu de parler féminisme quand on est une femme arabe, musulmane, comme si on se désavouait en se déclarant féministe. Personnellement, j’ai conscience des défauts de certains mouvements féministes, surtout quand ils sont motivés par une suprématie blanche, et je ne me sens pas concernée par ces derniers. Mais, il est également temps de regarder en face les défauts et tares de certaines sociétés arabes, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes, et ce, surtout en tant que musulmans, car c’est un devoir. N’en déplaise aux islamophobes et aux adeptes d’une vision dévoyée de leur religion, l’Islam est féministe. Il a donné des droits aux femmes à une époque où les filles étaient enterrées vivantes à leur naissance, et a placé la femme aux cotés de l’homme, pas en dessous, ni au dessus. Messieurs, osez lire ce livre, et osez vous offusquer du comportement du père, des frères de Leïla, de Salim, du juge, .. Admettez aussi que cette mentalité n’est pas si étrangère à celles de vos semblables ici même. La gravité n’est pas la même, mais certains propos font écho avec une certaine mentalité ici.
« Une femme divorcée ne peut être respectable, elle est présumée dévergondée. […] Une divorcée, c’est une prostituée en puissance. […] Le mépris de la femme divorcée rejaillit sur toute sa famille. […] Il aurait fallu la surveiller d’avantage, il aurait fallu faire en sorte qu’elle se plie aux lois de Dieu. Il aurait fallu lui briser les reins. […] »
Bien sûr, toutes les femmes ne sont pas innocentes, et tous les hommes ne sont pas des bourreaux. Mais la société est faite de manière à faciliter la vie des hommes, et non celles des femmes. Les fautes et crimes des uns sont balayés d’un revers de main, tandis que les moindres écarts des autres leur coûtent parfois la vie. Cette situation n’est certes pas propre à l’Arabie Saoudite, ni même au monde arabe, bien entendu. Oui, le patriarcat existe partout, et n’a pas besoin de religion pour appuyer son injustice. Doit-on se contenter de ce constat ou devons-nous tenter de nous réformer ? Il est temps de remettre en question certaines certitudes.
Si vous n’êtes pas émus et retournés en lisant ce livre, posez-vous des questions sur votre humanité qui vous fait sûrement défaut…
Hanaa Hijazi : Deux femmes de Djeddah
Roman, aux éditions L’Harmattan
Je vais lire ce livre! Article très intéressant, merci à vous!
Merci à toi ! Tu reviendras nous donner ton avis sur ce roman !