Linda Trime est un.e artiste photographe qui explore l’intime, les fluides et le mouvement. Linda, qui travaille quasiment uniquement en argentique, a bien voulu répondre à nos questions d’amatrices de photo. Entretien Dialna.
Quand on découvre les photos de Linda Trime, le premier mot qui nous vient à l’esprit est « sensible « . Il y a, en effet, une réelle sensibilité organique dans son travail, qui se traduit par la délicatesse de la lumière qui vient caresser la peau, la maîtrise impeccable de la couleur, des formes et des volumes. Cette sensibilité s’imprègne sur la surface de la pellicule et nous invite dans un monde intime et feutré, quasi « lynchien ».
Cet.te jeune artiste a déjà une signature et une identité visuelle. Nous espérons qu’iel produira encore beaucoup d’images et qu’iel nous laissera le privilège de nous plonger dans son univers argentique.
Dialna : Quel a été ton parcours ?
Linda Trime : Je m’appelle Linda (pronom iel, accords neutres), et je suis photographe. Je suis né.e à Paris, d’une mère algérienne et d’un père métis guadeloupéen. J’ai eu un parcours scolaire assez classique : option arts plastiques, prépa, école d’art. Mais j’ai dû travailler pour me payer tout ça dès ma sortie du lycée. J’ai toujours eu un pied dans « la vie de salarié.e ». Après mon diplôme, j’avais donc cette « sécurité », mais c’était un leurre. Je me suis retrouvé.e à m’identifier à mon job alimentaire et non ce à quoi je me destinais depuis toutes ces années. J’ai donc démissionné. Je voulais déjà me mettre à mon compte en tant que photographe, mais la réalité de mon compte en banque m’a rattrapé.e. J’ai repris un job de vendeur.euse, qui m’a mené à un burnout deux ans plus tard. En parallèle, tout ce temps depuis le bac, je n’ai pas cessé de produire des images et de collaborer sur divers projets artistiques. Ce qui m’a amené aujourd’hui, en pleine période de pandémie, à retenter ma chance et me lancer tout.e seul.e à nouveau. Sauf que j’ai appris beaucoup de choses entre-temps. Et dans ce chaos ambiant, je me suis dit que finalement tout était possible !
Dialna : Comment en es-tu venue à la photo ?
L.T. : Quand j’étais petit.e, je voulais faire de la mode. Puis à l’adolescence j’ai commencé à jouer avec la photographie, avec ce que j’avais sous la main. Et mon amour inconditionnel pour le cinéma, notamment de genre, et pour le travail de certain.e.s photographes comme Nan Goldin, Sarah Moon ou encore Araki, se sont mêlés à tout ça. Il m’a fallu un peu de temps pour digérer toutes ces influences, mais j’ai vite fini par comprendre que j’avais moi aussi envie et besoin de créer un univers à travers l’image.
Dialna : Pourquoi la photographie en argentique 35 mm et pas en numérique ?
L.T. : Il y a une matérialité du film qui me fascine. C’est plus qu’un outil, on collabore avec. J’aime le fait qu’on ne puisse jamais totalement le contrôler. Il y a toujours une part de hasard à garder en tête, et c’est excitant. On peut agir dessus, de multiples façons. La pellicule est une source de création à part entière. Et à mon sens il y a un rendu qui est inégalable, surtout en ce qui concerne les couleurs. Même avec tous les presets d’editing (pré-réglages, ndlr) en argentique qui existent sur le marché en ce moment, c’est comme s’il manquait un supplément d’âme.
Pour des raisons spécifiques, il m’arrive parfois de travailler en numérique. J’apprécie ce que je fais avec, mais je ne suis jamais pleinement satisfait.e.
Dialna : Quel appareil utilises-tu ?
L.T. : J’utilise principalement un Canon AE-1, que j’ai déniché sur eBay il y a plus de dix ans. Je ne l’ai plus lâché depuis. J’ai également pas mal de point & shoot (viser et déclencher, ndlr) que j’aime bien prendre avec moi quand je sors, car plus légers. J’ai un Pola également, que je n’ai pas sorti du placard depuis un bail car les films sont chers. Mais j’aime bien le rendu.
À l’adolescence j’ai commencé à jouer avec la photographie, avec ce que j’avais sous la main. Et mon amour inconditionnel pour le cinéma, notamment de genre, et pour le travail de certain•e•s photographes comme Nan Goldin, Sarah Moon ou encore Araki, se sont mêlés à tout ça.
Linda Trime, photographe
Dialna : Ta gestion de la couleur est juste incroyable, as tu essayé de réaliser des séries en NB argentique aussi ?
L.T. : Merci pour ce compliment, qui sonne très doux à mes oreilles !! J’ai déjà réalisé des travaux en noir et blanc, mais j’aime tellement la couleur que je reste toujours un peu sur ma faim. Cela dit, j’ai trouvé une parade, car en ce moment j’apprends des techniques pour peindre et colorer des tirages ! Affaire à suivre…
Dialna : Travailles-tu en studio ?
L.T. : Oui, je travaille principalement en studio, c’est-à-dire chez moi, parce que ça me permet de créer une ambiance de toute pièce. Mais je ne déteste pas bouger, ou les shootings en extérieur également. Je pense que ça dépend des possibilités, et de l’histoire qu’on veut raconter.
Je trouve qu’il y a beaucoup de tokenisation de la part de personnes blanches qui choisissent de photographier des personnes racisées. En découle une représentation biaisée, où en définitive ces images servent seulement à donner une « bonne image » du photographe, et non pas à notre représentation.
Linda Trime, photographe
Dialna : La thématique queer racisée est centrale dans ton travail. Trouves-tu que cette communauté est bien représentée visuellement ?
L.T. : Pour être sincère, je trouve que même dans mon travail ce n’est pas assez. Mais je dois faire face à une réalité qui est celle de faire beaucoup de commandes ces dernières années. Alors je n’ai pas toujours le choix, parce qu’il faut manger.
Je trouve qu’il y a beaucoup de tokenisation de la part de personnes blanches qui choisissent de photographier des personnes racisées. En découle une représentation biaisée, où en définitive ces images servent seulement à donner une « bonne image » du photographe, et non pas à notre représentation. Comme si nos vies, nos histoires, étaient une simple tendance. Mais il y a de plus en plus de photographes ou de collectifs de personnes racisées et/ou queers qui émergent, et proposent une vision plus juste et plus diversifiée que « la grosse machine capitaliste » en face. ET ÇA FAIT DU BIEN !!!
Dialna : Le sang et la peau sont omniprésents dans ton travail, pourquoi as-tu besoin de montrer ces matières dans tes photos ?
L.T. : En premier lieu, parce que c’est de l’ordre de l’intime et de l’humanité. Ce sont des éléments à la fois individuels et collectifs. La façon dont tout cela s’imbrique, se tourne et se retourne, ça me passionne. La peau et le sang, c’est la vie, la mort, l’amour, la guerre, le passé, le futur…
Et ça vient également du fait que j’ai été fortement influencé.e par les slasher movies (sous-genre des films d’horreur, dans lesquels, un tueur élimine ses victimes, ndlr) et les gialli italiens (genre cinématographique au croisement du policier, de l’horreur et de l’érotisme, ndlr). On retrouve cette esthétique de façon beaucoup plus marquée dans mes premiers courts métrages.
Dialna : As-tu d’autres sujets photographiques qui te tiennent à cœur ?
L.T. : Le mystique ou rendre l’invisible visible, mais aussi le sexe, les luttes, la colère… La liste est longue. Je crée surtout par rapport à mon histoire, et celle des gens.tes que je photographie, alors je répondrais que tout me tient à cœur.
Dialna : Écris-tu des textes pour accompagner tes photos ou laisses-tu les personnes libres de leur interprétation ?
L.T. : Sur les réseaux, je mets toujours un petit texte qui est un mélange entre un billet d’humeur et une présentation de mon modèle. Après, je préfère laisser les images parler d’elles-mêmes. J’ai déjà pensé à inclure du texte, peu importe sa provenance, mais surtout concernant des projets d’éditions très spécifiques.
Dialna : As-tu des projets d’expo ou de livres photographiques ?
L.T. : Pour le moment non. J’aimerais beaucoup, mais j’applique toute mon attention à rendre mon projet de carrière pérenne, aussi bien financièrement que créativement. Et c’est loin d’être évident par les temps qui courent.
Après, je ne suis pas fermé.e si on me propose quelque chose, alors avis aux intéressé.e.s!!
Dialna : Pour bien commencer l’année un conseil pour nos lectrices/teurs ?
L.T. : Le même conseil que j’ai appliqué toute ma vie jusqu’ici : on ne lâche RIEN!
Dialna : Si tu étais un plat, une ville, un pays, une chanson ?
L.T. : Les boulettes kefta de ma mère, Tokyo / le Japon, et My Violent Heart de Nine Inch Nails.
Donner une résonance poétique et politique aux personnes racisées via la photographie, c’est l’ambition de Linda Trime. Son travail allie la conjugaison des résistances, le droit d’être représenté.e et de créer sans asphyxier nos esprits par ce système capitaliste. Merci Linda pour ce regain de force à travers cette interview.
Force à nous toustes !