Wajib, l’invitation au mariage. Film d’Annemarie Jacir. Sortie en salles, le 14 février 2018
Abu Shadi prépare le mariage de sa fille chérie, Amal. Pour l’occasion, son fils Shadi, qui vit à l’étranger, revient à Nazareth pour aller distribuer les invitations au mariage avec son père, en mains propres. Ce wajib, cette vieille tradition palestinienne, permet aux deux hommes de se retrouver pendant un road trip à travers la ville. Les tensions familiales mais aussi politiques remontent à la surface, penldant cette première journée de distribution de faire parts.
Abu Shadi est divorcé, et professeur à l’université. Il vit seul, avec sa fille cadette. Son ex-femme l’a quitté pour un autre homme, et vit maintenant aux États-Unis. Il a élevé seul ses enfants, et a une vision très traditionnelle de la vie. Shadi, lui, est architecte, et vit à Rome. avec sa compagne. C’est la fille d’un ancien dirigeant de l’OLP, et n’a donc pas le droit de revenir en Palestine. Les retrouvailles entre le père et son fils vont être assez tendues et les reproches pleuvent de parts et d’autres.
A première vue, le nouveau film de la réalisatrice Palestinienne, Annemarie Jacir, est une histoire banale entre un fils et son père et le manque de communication entre eux. Ils se sont éloignés l’un de l’autre, et le fils a perdu le respect qu’il avait pour son père. Ils ne se comprennent plus. Abu Shadi semble ne pas apprécier la vie de son fils et laisse croire à ses proches qu’il est médecin en Amérique. Il n’accepte pas non plus l’héritage politique de la compagne de Shadi. Les rancoeurs avec l’OLP sont dures. Shadi, qui a du quitter le pays malgré lui, ne supporte plus ce qu’est devenue la vie à Nazareth, la surpopulation, les ordures non ramassées, … Il n’a qu’une hâte, rentrer à Rome. La relation père/fils est au point mort et une quelconque réconciliation semble improbable…
A travers les querelles familiales, Annemarie Jacir raconte surtout l’histoire de Nazareth, de la Palestine et de l’occupation. Qui est le plus légitime pour faire des leçons de vie et de résistance à l’autre ? Celui qui est parti contre son gré et n’est pas revenu depuis de longues années, ou celui qui lutte en restant pour éduquer ses enfants, en faisant des compromis avec le pouvoir Israélien ? Shadi reproche à son père d’accepter l’occupation, et de se lier d’amitié avec l’ennemi. Abu Shadi est plus pragmatique. Il a toujours vécu avec la présence militaire israélienne, et sait qu’il faut aussi composer avec cela pour élever une famille décemment. Cette problématique est d’autant plus parlante quand on la situe à Nazareth. Annemarie Jacir expliquait son choix, lors d’une des avant-premières du film, à Paris : « La ville de Nazareth est sous occupation Israélienne depuis 1948. Les habitants palestiniens ont choisi en grande majorité d’y rester, plutôt que de fuir. Pour cela, ils ont donc dû prendre la nationalité Israélienne. En 1959, Israël a construit une colonie, « Nazareth Elite » en hauteur de la ville. Aujourd’hui la ville, côté palestiniens, est surpeuplée, tendue. Mais un grand sens de l’humour et des mécanismes de survie sont encore plus présents, pour faire face aux manquements des services municipaux en manque d’aides publiques. »
Wajib se construit comme un road-trip dans cette vieille ville. Il nous offre une palette de portraits de palestiniens de tous horizons et de toutes confessions, comme un seul peuple, une seule famille qui résiste tant bien que mal à l’occupation. Annemarie Jacir a choisi son art, comme moyen de résistance. Elle a choisi de travailler indépendamment, et de ne pas bénéficier des fonds de financement Israéliens, tout comme ses acteurs Mohammed et Saleh Bakri. Elle avait néanmoins besoin des autorisations officielles de la ville de Nazareth pour filmer les scènes dans les rues, et notamment dans la colonie, Nazareth Elite. Elle raconte les difficultés liées à cet endroit : « Nous étions en train de filmer l’une des scènes de dispute entre Shadi et son père dans les rues de Nazareth Elite. Les voisins du quartier ont entendu parler en arabe et ont appelé la police. Nous avons été expulsés de la colonie, sans possibilité de terminer. » ll en résulte une oeuvre touchante, pleine de justesse, dont les situations tragi-comiques raviront les spectateurs.
Ce qui finit de nous séduire dans Wajib, c’est le choix des acteurs. La réalisatrice a écrit le rôle de Shadi pour son acteur fétiche, Saleh Bakri, présent dans tous ses longs métrages. Elle avoue être une grande fan de son père, Mohammed Bakri, un grand réalisateur et acteur, « une légende en Palestine ». Elle a beaucoup hésité à lui proposer ce rôle. La relation entre Abu Shadi et son fils est très conflictuelle, et elle ne savait pas « s’ils allaient pouvoir dépasser ces tensions et s’ouvrir à ce point, à l’autre, et en public ». Après une longue discussion avec lui, elle en est venue à l’évidence, Abu Shadi ne pouvait qu’être interprété par Mohammed Bakri. C’est la première fois que le père et le fils partagent une affiche, et ils y sont tout deux grandioses. Selon la réalisatrice, Mohammed Bakri a avoué que cette collaboration était « le grand challenge de sa vie de comédien ». Défi plus que réussi.