Rekya vit en Kabylie avec sa famille, enfants et petits enfants. En famille, ou presque. Son mari, Nour, vit en France car il y a travaillé pendant 48 ans, à construire des HLM, et revenait voir les siens chaque été. Depuis 4 ans, Nour est à la retraite et aurait dû rentrer chez lui, en Algérie, mais sa famille est sans nouvelle. Rekya décide, contre l’avis de ses enfants, de faire le voyage qu’a fait son mari, il y a 48 ans, pour aller le chercher et le ramener chez lui.
« Paris la blanche » de Lidia Terki raconte le périple que fait cette femme par amour. Rekya défie ses fils, la tradition pour aller elle-même à la recherche de son mari. Entre la Kabylie et la banlieue parisienne en passant par Alger, la méditerranée, Marseille, Pigalle, Rekya traverse les continents et les époques. Arrivée à Paris, elle découvrira aussi la solidarité des uns et les difficiles conditions d’accueil des autres.
Pourquoi Nour ne rentre-t-il pas chez lui ? La question que ne cesse de se poser Rekya est centrale dans ce film. Paris la Blanche aborde la difficile question du statut des chibanis, mais pour une fois du point de vue de leurs épouses, restées au pays, ayant vécu une vie sans leurs maris, le tout avec une grande pudeur et douceur. Le personnage de Rekya fait preuve d’une grande abnégation, d’un courage et surtout d’une confiance en son destin incroyable. Raconter la vie, et le sacrifice de cette génération à travers leur histoire d’amour, tel est le pari de la réalisatrice Lidia Terki.
Lidia a commencé à penser ce projet peu de temps après avoir perdu son père, immigré algérien. Même si l’histoire de Rekya et Nour n’a rien à voir avec celle de son père, Lidia avait l’envie de parler de ces immigrés là, de l’Algérie, de cette histoire qui fait l’Histoire, comme une manière de lui rendre hommage. Le scénario était au stade de projet chez la scénariste Colo Tavernier qui voulait écrire sur ces hommes immigrés vivant dans les foyers Sonacotra. Lidia en a fait une histoire d’amour, pour le rendre universel, du point de vue de la femme, pour qu’on n’oublie pas ces épouses qui ont passé leur vie à attendre l’être aimé. C’est un aspect très peu exploité au cinéma dès lors qu’on parle d’immigration, l’amour est souvent absent des scenarii.
La réalisatrice pose la question du retour au pays des chibanis, une fois leur retraite établie. Nombre d’entre eux décident de rester en France, se sentant étrangers à leur pays d’origine, à leur propre famille. Sans donner de réponse précise, Lidia Terki montre assez bien la détresse psychologique créée par ce double exil. Trop de temps a passé pour avoir une vie de famille, de couple normale pour ces chibanis. De plus, il reste la contrainte de devoir malgré tout rester en France une bonne partie de l’année pour bénéficier de leurs maigres retraites…
Elle aborde aussi l’entraide, la solidarité entre les personnes en situation fragile, mais aussi les différentes vagues d’immigration en France, avec notamment la présence de réfugiés syriens qui assistent Rekya pendant son périple parisien. Rekya crée du lien autour d’elle, tout le long de son voyage. On peut le sentir à plusieurs reprises, par petites touches, pendant tout le long métrage.
La mise en scène est très sobre et pleine de pudeur. Rien n’est jamais longuement appuyé, et le spectateur comprend bien des choses avec certains silences et regards des protagonistes. Le couple principal d’acteurs est remarquable. La réalisatrice voulait à tour prix des acteurs algériens, kabyles de surcroit, pour être capables de parler la langue. Elle nous raconte que le choix de Zahir Bouzerar (Nour) s’est fait assez facilement, et naturellement quand elle l’a rencontré. Pour le rôle de Rekya, c’était une autre actrice qui était prévue, mais à quelques jours du tournage, elle est tombée malade. Ne voulant pas reculer les dates du tournage, Lidia se tourne vers Tassadit Mandi, qu’elle trouvait trop jeune pour le rôle. En un dîner, l’actrice a convaincue la réalisatrice de la prendre pour le rôle, en lui montrant qu’elle pouvait jouer un rôle de 14, 50, 70 et même 120 ans !
Le tournage n’a duré en tout que 25 jours, ce qui est déjà très court pour un tel film, surtout en filmant dans autant d’endroits différents. Tourner là où se passe l’histoire était une nécessité pour la réalisatrice. Elle voulait avoir ces paysages de Kabylie, avec ces bus, la baie d’Alger au moment de la traversée en mer. Il en ressort une grande sincérité, loin des clichés, et un traitement bienveillant de l’histoire.
Paris la blanche est vraiment un film attachant, qui a le mérite de mettre en avant des gens qu’on ne voit jamais au cinéma. Dialna ne pouvait pas ne pas en parler.
Paris la blanche par Lidia Terki
sortie en France : 29 mars 2017