Prendre la parole, la libérer, laisser s’exprimer celles qu’on ne veut pas entendre. Chez Dialna, c’est un peu notre raison d’être. C’est aussi et surtout le but premier du formidable documentaire « Ouvrir la voix » d’Amandine Gay.
C’est sans contexte le film le plus fort de cette fin d’année 2016, tant par le propos que par la qualité du projet. Courant décembre, plusieurs projections ont eu lieu à Paris, en province, mais aussi en Belgique, Suisse.
Par ce film, la comédienne, devenue par la force des choses auteure, et réalisatrice a donc voulu se réapproprier la narration du vécu de femmes noires. Articulé autour d’une vingtaine de portraits de femmes noires, de tout âge, origine, orientation, milieu social, le documentaire nous plonge au cœur de leurs vies, leurs ressentis. Leur récit est limpide, lumineux, et surtout il percute. Elles se livrent complètement sur plusieurs thèmes proposés par Amandine Gay, et c’est quasiment du jamais vu.
Le corps de la femme noire est animalisé, il n’est pas rendu précieux. (extrait du film)
Le documentaire est filmé en lumières naturelles et gros plan, ce qui donne l’impression d’être au beau milieu de leurs pensées, leurs esprits. Comment ne pas ressortir de ce film complètement bouleversée après avoir été invitée à lire dans leurs âmes ? On en ressort également motivée, en tant que racisée non noire, à ne plus laisser les autres parler pour soi. Reprendre la parole et verbaliser les maux, les siens et ceux du monde qui nous entoure et qui nous oppresse est essentiel pour se construire sainement et s’affirmer.
Les blancs ont ce privilège de l’innocence de la couleur de peau. (extrait du film)
La réalisatrice a découpé son film en chapitres, suivant ainsi les différents thèmes qu’elle voulait aborder avec ces femmes. Ses questions portent sur le racisme dès le plus jeune âge, les rapports amoureux, le fétichisme de certains hommes blancs, le rejet de certains hommes noirs, les rapports de force au travail ou pendant les études, la dépression, et tant d’autres. On (re)découvre que la vie d’une femme noire est semée d’embûches, d’obstacles, et que cette situation est même parfois perçue comme normale, ce qui est déjà problématique. Les vécus et backgrounds ont beau être différents, l’expérience est malheureusement commune face à ce racisme, à ce manque de représentation, positive qui plus est.
Ça ne représente pas TOUTES les femmes noires. Mais ce sont des femmes noires ayant des choses à dire sur nos vies. (Amandine Gay)
Mais un tel projet a malheureusement un coût. Bizarrement, que des femmes noires prennent la parole pour se raconter elles-mêmes n’a pas intéressé le CNC qui n’a pas jugé utile d’octroyer des fonds à la réalisatrice pour se lancer au moment de l’écriture (le financement pour la réalisation ne concerne que les sociétés de production). Résultat : 2 à 3 ans de préparation, de tournage, de financement par crowdfunding, de montage. Des économies personnelles dépensées et beaucoup de fatigue pour Amandine Gay. Et toujours cette même sensation, que les femmes noires n’intéressent pas les décideurs, les investisseurs, ni même les institutions publiques financées par les impôts, payés aussi par ces femmes! Comme si certaines populations devaient toujours faire les choses en marge de la société, par elles-mêmes, sans pouvoir bénéficier des mêmes droits, ou possibilités que n’importe qui (comprendre la majorité).
L’indépendance et la liberté de propos ont donc des conséquences assez difficiles : l’auto-financement, présentant un risque de ne pas s’enrichir, ou même de s’appauvrir, l’épuisement, voire l’exil (Amandine Gay vit maintenant à Montréal), qui est aussi une des questions posées aux femmes dans ce film. Quelle est la solution dans un pays qui ne veut pas nous voir, nous entendre telle que nous sommes ? Il n’y a pas de réponse absolue.
Pour Amandine Gay, l’important est de libérer la parole, des femmes noires avec ce film, mais pas que. Elle rêve de voir d’autres prendre le relais et monter des projets pour faire entendre ce que les hommes noirs ont à dire, mais aussi les femmes et hommes arabes, asiatiques, et toute autre minorité en France.
La suite ? La réalisatrice espère toujours une sortie nationale de son documentaire (et nous aussi), pour que cette parole ait une plus grande portée.
La seule solution que nous ayons est de continuer à parler, fort si ça nous chante, et de relayer la parole de nos soeurs, car comme l’a redit la réalisatrice : « Votre silence ne vous protégera pas » (Audre Lorde).
Vous pouvez suivre l’actualité du projet via les réseaux sociaux avec la page Facebook , et le compte Twitter du film, et retrouver des extraits inédits sur la chaîne Youtube d’Amandine.
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