[Portrait] Magistrale Iman Bowie

Dialna - Iman Bowie

Iman Bowie a tout connu dans sa vie ; des humiliations administratives infligées aux réfugiés aux dîners fastueux dans les ambassades en passant par les spotlights de la haute couture pour devenir l’une des rares femmes noires magnat dans le monde des cosmétiques. Il y a des destins que l’on se doit de raconter. Des destins, comme de véritables leçons de vies.  C’est le cas de la beauté iconique de la mode que l’on nomme Iman Mohamed Abdulmajid aka Iman Jones aka Iman Bowie.

Vivre. Iman sait parfaitement conjuguer ce verbe et elle le fait dans toute sa splendeur ! Installez-vous, prenez un thé, et laissez-vous embarquer par l’histoire de cette femme extraordinaire.

Iman Mohamed Abdulmajid  dite Iman, née le  à Mogadiscio, est fille de diplomates somaliens, Marian et Mohamed Abdulmajid. Son père est d’ailleurs un ancien ambassadeur de Somalie en Arabie saoudite. Elle parle couramment cinq langues et a fréquenté une école secondaire en Égypte, avant de partir étudier les sciences politiques à l’université de Nairobi, au Kenya.

Dialna - Iman Bowie
Iman ©Iman Bowie

C’est dans ce superbe pays que tout va démarrer. Elle a à peine 18 ans quand elle tombe amoureuse d’un entrepreneur hôtelier dénommé Hassan. Tout en continuant ses études, elle croise sur le campus la photographe kenyane Mirella Ricciardi qui tombe sous le charme de cette jeune femme. Elle parle du charisme d’Iman au photographe bourgeois et mondain, Peter Beard.

Exotisme et fétichisation

Lorsque Beard a abordé Iman à Nairobi pour lui demander si elle avait déjà été photographiée, cette dernière était loin d’être flattée. Elle s’est même sentie insultée ! « Voilà, encore un homme blanc qui pense que les africains n’ont jamais vu d’appareil photo de leur vie ! », dit-elle au magazine Elle, en octobre 2019.

Peter Beard insiste en lui expliquant qu’elle sera bien payée juste en posant devant son objectif pour quelques jours, et qu’elle pourrait ainsi se payer ses années universitaires. La femme d’affaire qui est en Iman s’est réveillée, et accepte de gagner de l’argent de cette manière. « Lorsque Peter m’a proposé une séance photo, je n’aurais jamais pu imaginer la trajectoire qu’elle mettrait en marche, je pouvais au moins envisager de négocier un prix équivalent à mes frais de scolarité – et un accord a été conclu », avait-elle déclaré à Vogue USA en avril 2021.

Dialna - Iman Bowie
Iman ©Peter Beard

Peter Beard pose un regard exotique et fétichiste sur Iman dans ses photos. Il vendra ces clichés à la presse mode américaine, créant ainsi un storytelling particulier autour d’elle. Beard a concocté une histoire sensationnelle sur la façon dont il aurait  « découvert »  la jeune modèle, loin de sa réalité d’étudiante en sciences politiques, fille de diplomate et de médecin. En effet, Beard racontait à la presse qu’elle ne parlait pas un mot d’anglais et qu’elle gardait des chèvres au milieu de la savane…

Le petit milieu de la mode s’excite à l’idée de rencontrer cette « découverte » de Beard qu’il va présenter comme la plus belle femme qu’il n’ait jamais photographié. Iman y voit l’opportunité de bien gagner sa vie dans le monde de la mode et une belle façon de financer les études de son frère et de ses soeurs.

Elle quitte donc le monde universitaire, Nairobi et également son mari. Malgré son jeune âge, elle va exploiter l’ignorance des personnes de ce milieu pour créer sa place dans l’univers de la mode. Au début de sa carrière on va l’appeler « la mannequin noire », sans prendre la peine de l’appeler par son prénom.

En 1975, quand elle arrive aux États-Unis, elle ne se sent pas du tout à l’aise, et pense déjà à rentrer à Nairobi si elle n’arrive pas à s’installer à New York. Mais elle est rapidement remarquée par un créateur de mode, Stephen Burrows, le premier à s’intéresser à elle.

Quand elle se retrouve dans son atelier, tout le monde pense qu’elle ne parle pas anglais. Les employés de l’atelier ne se privent pas de la critiquer ouvertement : « Pour qui se prend elle » , « Elle n’est pas si belle », « Cette gardienne de chèvre se prend pour une noble »…

Dialna - Iman Bowie
Iman © P.Beard

Iman, elle, ne répond à personne et prétend ne rien comprendre. Elle maîtrise son « poker face » à la perfection. « Avant d’arriver aux États-Unis, je ne connaissais rien au racisme, ni au maquillage ou à la presse de mode. J’étais une jeune étudiante en sciences politiques, qui parlait cinq langues », a-t-elle raconté, plus tard, à la presse.

Lors des essayages, elle a du mal a enfiler ses talons aiguilles avec la robe droite qu’on lui a mise. Personne ne daigne lui donner un coup de main. Personne, sauf Bethann Hardison, l’assistante de Burrows. Cette dernière se met à genoux et aide la jeune modèle à chausser ses talons. Toutes les personnes présentent lui crient dessus : N’aide pas ce modèle à mettre ses chaussures, elle va penser qu’elle appartient à la royauté et va nous prendre pour ses employés ! « . 

Bethann Hardison regarde Iman droit dans les yeux, en lui souriant. « Tu as compris ce qu’ils ont dit, n’est ce pas ? », lui demande-t-elle. « Yes », répond Iman en anglais. C’était le début d’une amitié indéfectible entre ces deux femmes qui continuent de collaborer 45 ans plus tard…

Les femmes noires, tokens de la mode

Iman navigue dans ce monde de la mode en tant que modèle, avec un regard de sociologue. Dotée d’une intelligence féroce et une estime d’elle même sans faille, Iman observe comment les personnes blanches de cette industrie nourrissaient une compétition malsaine entre les femmes noires et racisées, et ce, dès son arrivée aux États-Unis, en 1975. « C’était comme si on devait détrôner une femme noire pour avoir sa place ! On ne voyait pas ce système avec les mannequins blanches, elles pouvaient toutes travailler ensemble sans problème… », expliquait la jeune femme à la presse.

Il était hors de question pour Iman de se mettre en compétition avec d’autres femmes noires et notamment avec Beverly Johnson, une mannequin afro-américaine, très en vogue à l’époque. Malgré son jeune âge elle visualise très vite le système compétitif et va le détruire avec beaucoup d’élégance. Être la seule femme noire dans un groupe de femmes blanches n’est pas un privilège loin de là. Faire partie d’un groupe qui ne vous ressemble pas est tout sauf gratifiant. Iman n’a jamais accepté ou cautionné ce tokénisme dans le milieu de la mode.

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Couverture de Vogue par ©Annie Leibowitz

C’est pour cela que toutes les mannequins racisées de l’époque aimaient travailler pour Azzedine Alaia ou Yves Saint Laurent, car le casting était plus inclusif et elles se sentaient en sécurité au sein de cette communauté ! « En tant que jeune femme noire et musulmane, j’ai été bien équipée par ma mère pour affronter ce monde. Elle m’a inculqué un sens très élevé de la valeur de soi ! Que ce soit dans les affaires ou dans les relations personnelles, ce qui ne sert pas mon amour-propre reste loin de moi ! Mon self esteem était mon super pouvoir », expliquait-elle en interview.

Dialna - Iman Bowie
© Vogue Italia

Iman cartonne et enchaîne les couvertures de magazines, avec des titres comme « Le plus beau cou du monde »  ou encore « La plus belle femme de l’année ». Iman y répondra en disant par exemple « Toutes les femmes somaliennes sont belles ». Elle travaille avec des créateurs de mode tels que Versace, Yves Saint Laurent, Azzedine Alaïa ou Thierry Mugler. Malgré son succès, elle n’est pas dupe. Elle sait qu’elle navigue sur les eaux troubles du racisme et se rend compte que les mannequins blanches sont bien mieux payées qu’elle ! Iman refuse cette ambiance de non dit raciste et impose ses règles ! Si on la veut comme modèle, on doit la payer au même tarif que les femmes blanches et ce n’est pas négociable. Pendant une période, on ne lui propose plus aucun contrat, et est quasiment boycottée. C’était le prix à payer pour imposer sa valeur sur le marché de la mode. Elle gagne finalement la partie mais les discriminations étaient omniprésentes dans ce milieu. Lors des défilés de mode, on lui donnait souvent les robes les plus inconfortables et difficiles à porter comme cette robe boule de chez Versace. En acier et lourde, elle rendait les déplacements très difficiles. Iman a du défiler sur les pointes des pieds pour ne pas tomber !

Dialna - Iman Bowie
Iman (DR)

L’enjeu du maquillage pour femmes noires

Dans les années 80, les femmes non blanches étaient un peu plus visibles dans les défilés, mais restaient non désirées pour les campagnes publicitaires. Le maquillage des séances photo n’était toujours pas adapté au teint des femmes noires. Souvent Iman entendait que « les femmes noires ne sont pas photogéniques ». Ces expériences vont déclencher chez elle une indignation mais aussi une graine commerciale qui va être un élément moteur pour sa prochaine aventure, le lancement de sa ligne de maquillage pour toutes les femmes sauf les femmes blanches, puisqu’elles ont l’embarras du choix.

Après 25 ans de bons et loyaux services au sein de ce monde impitoyable qu’est la mode, Iman tire sa révérence lors d’un show spectaculaire de Thierry Mugler. Elle quitte momentanément New York pour aller en Californie et un très beau chapitre de sa vie va s’ouvrir.

1989, Iman prend du temps pour elle et profite de sa jeune retraite. David Bowie, lui, est alors en tournée. Souvent seul après ses concerts, il fait de la peine à son staff, notamment son coiffeur personnel qui l’invite à dîner pour son anniversaire dans un restaurant à Los Angeles. Il appelle une amie, Iman pour le rejoindre.

Dialna - Iman Bowie
Iman et David Bowie
(DR)

Sans le savoir, ces deux là vont se retrouver dans un blind date organisé. Bowie est foudroyé par la présence d’Iman et elle comprend vite qu’elle va vivre une belle histoire ! « Ma rencontre avec David m’a confortée dans cette idée qu’il existe une destinée pour chacun de nous », a-t-elle raconté par la suite. Pour elle, Bowie a arrêté de boire et a changé littéralement sa façon de vivre. Iman et David vont vivre une des plus belles histoires d’amour qui soit et vont s’épauler dans leurs projets respectifs.

Dialna - Iman Bowie
Iman et David Bowie
©Herb Ritts

 

Au début des années 90, Iman, toujours sur la côte ouest se transforme en chimiste, et mélange fonds de teint, pigments, et fait les essais sur son propre visage. Avec son appareil photo polaroïd, elle se prend elle-même en photo et compare ses résultats pour trouver ce qui convient le mieux à sa carnation. Elle prépare tranquillement sa ligne Iman Beauty. En 1994, elle lance officiellement sa gamme de cosmétiques pour peaux noires, Iman Cosmetics. Elle va alors contrôler tout le processus de création. La nouvelle femme d’affaires va remplacer la model avec brio. Le succès est alors au rendez-vous ! Aujourd’hui la marque existe toujours et une ligne de vêtements s’est ajoutée à son empire.

Dialna - Iman Bowie
Iman Cosmetics (DR)

Malgré les succès qu’elle a connu, Iman reste très attachée à sa religion et tient à honorer toutes les semaines le principe de la « Sadaqa » (l’aumône chez les musulmans). Elle prépare et sert des repas pour les enfants démunis de sa ville. Elle ne comprend pas comment dans un pays si riche comme les États-Unis, des enfants peuvent souffrir de malnutrition. Iman a aidé beaucoup d’organisations féministes notamment sur le sort des petites filles en Afrique, mais ne veut être affiliée à aucune structures.

Dialna - Iman Bowie
Iman Cosmetics (DR)

Un engagement politique qui dépasse la beauté

Son intégrité ne semble pas être qu’une façade. En 2004, elle rompt le contrat publicitaire qui la liait avec la société De Beers du groupe LVMH. Elle dénonçait ainsi la politique d’extraction diamantaire qui amène le gouvernement du Botswana à déplacer les populations autochtones du Bushmen. 

En 2012, le New York Times publie un article sur la white supremacy des podiums de mode, « The Nonblond  leading the blond ». Cette année là, aucune femme non blanche n’avait défilé en Europe. Iman monte alors au créneau avec ses deux amies, Naomi Campbell etc, en s’invitant sur les plateaux télé pour mettre en lumière cette discrimination honteuse ! Iman évoque des marques comme Céline qui ont recruté 0 femmes noire et / ou racisée ! La marque lui répond par interview interposé en déclarant que ces modèles ne sont pas « adaptées » à cette marque ! Iman surenchérit par le boycott pur et simple : « Si ces femmes noires ne sont pas adaptées à votre marque, alors mon argent ne l’est pas non plus pour acheter vos sacs ! » Iman comprend que la consommation est aussi un pouvoir et invite chacun.e à acheter chez des marques qui recrutent des personnes qui nous ressemblent.

Dialna - Iman Bowie
Iman (DR)

Faire un article complet sur Iman est juste impossible tellement cette personne est hyperactive, riche, intelligente et charismatique. Aujourd’hui cette femme d’affaire, mère, belle-mère et grand mère aime profiter de ses proches, de sa maison, de son business et faire le bien autour d’elle !  « Je conseille à la jeune génération de trouver votre tribu. Soyez plus fort ensemble, ne laissez jamais personne vous dire que vous n’êtes pas assez. Vous avez en vous une puissance inestimable. Car dans cette société rien ne va changer si vous n’activez pas le changement »

Le titre de reine lui va si bien. Dans le royaume Dialna, Iman trône dans notre coeur. Notre amour pour elle est inconditionnel et éternel ! waanu ku jecel nahay Iimane weligiis.

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