[Livre] Zainab Fasiki : Hshouma – Corps et sexualité au Maroc

Dialna - Hshouma

La hshouma c’est la honte, mais c’est aussi une manière de silencier tout discours autour de ce qui serait considéré comme non acceptable, tabou dans une société. Et en l’occurence, dans l’ouvrage de l’illustratrice Zainab Fasiki, comme son titre complet l’indique, tout ce qui a trait au corps, à la sexualité, est considéré comme « hshouma ».

L’illustratrice Zainab Fasiki, dont on vous avait déjà parlé, s’attaque aujourd’hui à la culture de la « hshouma », dans la société marocaine, qu’elle connait bien puisqu’elle y vit, et y travaille. Le corps de la femme, la sexualité, et tout ce qui y est lié est tabou, et il est honteux d’aborder ces questions qui fâchent… Mais regardons les choses en face avec honnêteté, à différents degrés, c’est une question qui se pose partout. En France, une publicité pour une marque de serviettes hygiénique a choqué certain.e.s car on y voyait différents objets s’animer et représenter des vulves. Plus récemment l’académie des Oscars a refusé qu’une publicité qui montre les douleurs post-partum des femmes soit diffusée pendant les coupures pubs de la cérémonie. Elle serait trop réaliste. Pourtant, aucune goutte de sang, aucune scène particulièrement « gore ». On voyait juste la réalité que vivent les femmes dans leurs corps.

Le dessin comme thérapie

Mais revenons à l’ouvrage de Zainab Fasiki. La jeune femme l’a pensé comme un pamphlet illustré, à l’image de son engagement depuis le début de sa carrière. Elle y dessine tous types de corps, donne des cours d’anatomie, d’éducation sexuelle. Le dessin en couverture donne le ton. On y voit une femme, qui a l’air nue, cernée, naturelle, avec des tatouages amazighs, et qui ressemble étrangement à la chanteuse Hindi Zahra. « Je n’avais pas réalisé », nous dit elle. « J’adore cette chanteuse qui a le profil type de la femme amazigh. Alors c’était peut-être inconscient de ma part », s’amuse Zainab Fasiki.

Dialna - Hshouma
Hshouma de Zainab Fasiki chez les Éditions Massot

Celle qui a commencé à dessiner à 19 ans, a rapidement utilisé son art comme moyen de contestation. « Dessiner la nudité a été comme une thérapie pour moi », nous explique la jeune femme. Ses dessins qui lui valent tout de suite des commentaires lui demandant de cesser, avec cette injonction à la honte : « On me disait ‘hschouma, tu dois arrêter de faire ça’. Ça m’a traumatisée ».  

Ces réactions mettent Zainab Fasiki en colère. « Pourquoi le corps féminin fait-il si peur ? », s’exclame-t-elle, tout en précisant que cette interrogation ne concerne pas que les musulmans, ou les arabes. Le patriarcat est universel. Cependant, elle n’est pas tendre avec certains aspects de la société marocaine : « Chez nous, nous ne nous énervons pas, en voyant les politiciens arnaquer le peuple et le système, mais, dès qu’on voit une femme nue et libre, là on a toute l’énergie et la motivation pour s’offusquer. Ça n’a pas de sens », déclare-t-elle. 

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« Hshouma » de Zainab Fasiki aux Editions Massot

À ses débuts, elle constate tout de suite la différence de réactions face à ses dessins de nus. « Les hommes qui étudient l’art et font des nus, personne ne les embête. Ce qui pose problème, c’est que cela vienne d’une femme », dénonce-t-elle. Les injonctions sur le corps des femmes, Zainab Fasiki en a assez : « Si on ne respecte pas toutes les règles concernant le corps qu’on doit cacher, on est considérée comme une salope. Alors, ok, je suis une salope. Maintenant, laissez-moi tranquille », s’exclame-t-elle.

Un pamphlet militant et pédagogique

De cette constatation, elle a tiré l’inspiration pour faire cet ouvrage, Hshouma. Le livre, loin d’exprimer une injonction à la nudité propose, de manière pédagogique, un état des lieux sur le corps, et la sexualité. « J’aimerais que la nouvelle génération ne soit pas victime de cette culture de la ‘hshouma’ comme je l’ai été. Ce livre, c’est un manuel, pour les protéger de cela, pour qu’ils apprennent. Cette culture fait mal. Il y a des crimes d’honneur, des viols ». 

Mais la jeune militante va plus loin. Elle appelle à une libération du désir. « J’aimerais le libérer, voire le dépénaliser. Pour moi, le désir sexuel, c’est comme manger, dormir. Et ce n’est pas encore accepté comme tel. Pourquoi autant de ‘drama’ quand on parle de sexe ? Ce n’est pas possible. Pourtant il fait partie de nos besoins quotidiens », énonce Zainab Fasiki.

Dialna - Hshouma
« Hshouma » de Zainab Fasiki chez les Editions Massot

Certes, le livre est un pamphlet pour la liberté sexuelle au Maroc, où les relations hors mariages sont interdites. Le livre, sorti quelques jours après la tribune de Leila Slimani et Sonia Terrab qui réclamait l’abrogation de « l’article 490 du code pénal, qui punit de prison les relations sexuelles hors des liens du mariage » est une continuité artistique de cette tendance. Néanmoins, il a une dimension pédagogique à ne pas oublier. Les cours d’éducation sexuelle sont absents ou insuffisants dans nos sociétés, que ce soit au Maroc, ou ailleurs.

Une raison de plus, pour Zainab Fasiki de créer ce livre, afin de toucher le plus grand nombre : « Ce livre s’adresse à tous les êtres humains, car nous sommes tous et toutes concernés. Les jeunes tout d’abord, car ils sont le futur du Maroc, mais aussi les anciens, car c’est un peu à cause d’eux que nous sommes dans cette situation catastrophique. Ils doivent corriger leurs erreurs ! « , explique-t-elle. Elle avoue cependant avoir été surprise de l’accueil du livre par des parents de pré-adolescents, notamment : « J’ai été étonnée lors des signatures au Maroc. J’y vois essentiellement des parents qui emmenaient leurs enfants pour leur offrir. Certains l’achetaient pour leurs enfants de 11/12 ans, fille ou garçon, pour qu’ils se préparent à être tolérants. Ça m’a surprise, mais surtout émue », avoue l’illustratrice. 

Dialna - Hshouma
Zainab Fasiki
© Nora Noor

Car en effet, Hshouma parle du corps, des critères de beauté que la société impose, de l’anatomie, des règles, mais aussi d’orientation sexuelle, d’homosexualité, des populations transgenres en normalisant tous ces aspects. L’une des difficultés dans la société marocaine, selon Zainab Fasiki, tient au champs lexical de la sexualité en Darija marocain. Il n’existe pas de mots « justes » pour décrire les organes génitaux. Ceux qui existent tiennent du vocabulaire de l’insulte, ou du vulgaire, ou alors sont issues d’une autre langue (arabe classique, français, voire amazigh). Comment aborder sereinement des conversations autour du corps, et de la sexualité quand il n’y a pas de vocable acceptable à dire en famille par exemple ? Du coup, Hshouma est un livre en français, édité en France.

Le Darija, un enjeu primordial

Mais l’illustratrice ne désespère pas de pouvoir le sortir en Darija un jour. Depuis qu’elle a commencé à travailler sur le sujet, bien avant la sortie du livre, elle effectue un travail de recherche, dans chaque région du pays, pour trouver quels mots/expressions sont utilisés : « Il n’y a pas longtemps, j’étais à Tanger pour une discussion. Des gens du public m’ont dit qu’ils utilisaient le mot « roh » pour parler du vagin. « Roh » en Darija signifie « âme ». J’étais étonnée, car je n’avais jamais entendu de mot positif pour parler des organes génitaux, et féminin en particulier. On pouvait donc utiliser des mots qui existent déjà. Voilà le sens de mon travail de recherche. À terme, je veux traduire Hshouma, bien sûr, mais aussi les réunir dans un manuel. Imaginez, vous pouvez avoir une discussion avec vos enfants sur l’anatomie en utilisant un mot comme « roh », pour expliquer ce qu’est le vagin, c’est magnifique. Si on ne peut pas dire ces choses en darija, cette langue est morte ! »

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Zainab Fasiki, lors du vernissage de l’exposition Hshouma, à la mairie du 4è à Paris, en décembre 2019
© Marie Lerpscher

Se réaccaparer la langue utilisée tous les jours par les Marocains pour aborder dignement le sujet de l’éducation sexuelle, le consentement, la puberté est un défi indispensable pour la jeune femme : « Mes parents ne m’ont jamais parlé de ces choses là. Je ne veux pas le reproduire. Il faut pouvoir en parler avec nos enfants », avoue-t-elle.

Ce travail de recherche linguistique est donc nécessaire pour l’éducation des jeunes générations, mais aussi pour assurer la traduction de son ouvrage Hshouma« Je veux pouvoir le faire en Darija. Je n’ai pas le choix. Dans le livre je parle de la reine amazigh Kahina. Son image et son histoire ont été dégradées quand les arabes (après qu’elle les ait combattus, ndlr), ont colonisé l’Afrique du nord. Pourquoi faire ce livre en arabe classique ? » Zainab a d’ailleurs d’abord été en contact avec des maisons d’éditions publiant des livres en arabe, mais ça ne s’est pas passé comme elle le souhaitait : « Ils n’arrêtaient pas de me censurer. Je n’ai eu à faire aucun changement avec mes éditeurs actuels (Massot) ».

Dialna - Hshouma
« Hshouma » de Zainab Fasiki chez les Editions Massot

Éditée en France, Zainab Fasiki et son ouvrage sont également très populaires auprès des médias français, souvent friands d’images orientalisantes concernant les femmes d’Afrique du Nord. Une situation qui n’inquiète pas plus que ça la jeune femme, au contraire : « Les médias français ont commencé à s’intéresser à mon travail bien après les médias marocains. J’ai commencé à beaucoup voyager et je réponds aux sollicitations, partout où je vais. J’ai conscience des contextes particuliers en France ou ailleurs. Les médias français me voient peut-être comme la petite poupée qui dessine. Mais j’accepte ces interviews, car pour moi, l’important est de transmettre mon message. La liberté n’a pas de nationalité », explique-t-elle. Elle poursuit : « Si la France veut profiter de moi et mon travail, ce n’est pas mon problème. Je fais mon livre et je transmets mon message. C’est l’essentiel ». Une vision universaliste qui peut déplaire à certain.e.s …

Cependant, la jeune femme ne compte pas s’arrêter là. Elle fourmille de projets. Notamment une exposition de dessins en mars 2020, à Casablanca : « Ce sera des oeuvres qui mettront en lumière les femmes traditionnelles au Maroc. On parle souvent des femmes modernes, et on a oublié ces femmes et toutes les traditions autour de ces femmes », explique-t-elle. Elle travaille aussi sur un projet de BD, et de série de films pour l’an prochain.

Qui peut arrêter Zainab Fasiki ? 

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2 commentaire

  1. Ça m’a donné encore plus envie de lire Hshouma au plus vite ! Ses réponses sont vraiment pertinentes et c’était important de rappeler l’objectif du livre qui n’est pas une injonction à la nudité ❤️

    1. Chacun.e peut y trouver son intérêt et c’est ça que l’on trouve pertinent ! Merci pour ton retour !

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