[Interview] Lyna Malandro vous invite à prendre l’Atay

Dialna - l'Atay

Un nouveau podcast est arrivé entre nos oreilles en 2019, le genre qu’on rêvait d’écouter depuis longtemps, voire même de faire. Ce podcast, c’est l’Atay. Créé par une bande de jeune franco-maghrébins, l’Atay (le thé en arabe maghrébin) est une discussion entre amis autour des questions liées à la double culture. Pensé par Lyna Malandro, déjà créatrice du blog, Vraies Meufs, l’Atay est un moment convivial de partage d’expériences, et une bonne dose d’Afrique du Nord dans les oreilles.

Le podcast est en plein essor, et on pourrait penser que le marché est saturé. Pourtant l’arrivée de l’Atay a été une vraie bouffée d’air frais. Ils s’appellent Lyna, Kawter, Amal, Nesrine, Zyad, Sid et Théophile, ils font partie de cette jeune génération de franco-maghrébins créatifs, assumant sans s’excuser leurs identités multiples. Dans leur podcast, ils partagent leurs tranches de vie, sans tabou, mais aussi leur amour de cette culture singulière. Les vacances au Bled, les projets artistiques et la famille, voici quelques uns des thèmes abordés dans l’Atay durant cette saison.

En attendant de nouveaux épisodes, Dialna a rencontré Lyna Malandro qui nous a parlé du podcast et de l’équipe en charge, et aussi de son autre bébé, le blog Vraies Meufs.

Dialna : Peux-tu nous parler de toi ?
Lyna Malandro : Je suis née en France, à Barbès, et j’ai grandi dans le 93. Mes parents sont d’origine algérienne. J’ai donc la double nationalité, française et algérienne. Je suis étudiante et, il y a deux ans, j’ai lancé un webzine qui s’appelle Vraies Meufs. Je fais des portraits photos de femmes, sans maquillage En octobre dernier, on a lancé le podcast l’Atay avec une bande de potes. Nous sommes tous des descendants de la diaspora maghrébine et on discute de plein de sujets qui touchent à la double culture. À côté de ça, j’écris un peu en freelance à côté, notamment pour le magazine Booska-P.

Dialna - l'Atay
Lyna Malandro, créatrice du blog Vraies Meufs et du podcast l’Atay.
© Nadialna

D : Il y a une idée commune entre Vraies Meufs et l’Atay, non ? Mettre en avant ceux qu’on ne voit pas assez ?
L.M. : Les deux projets partent du même problème de représentation. Je suis de la génération qui avait Twitter et Instagram dès le collège. H24, on voyait des Kylie Jenner, des Kim Kardashian, et des posts-bad, c’était à la mode. Les post-bad, c’était un peu les meufs parfaites, qu’on retweete à l’infini. Quand tu grandis avec ça, surtout au moment de l’adolescence, tu te construis avec des images de personnes qui n’existent pas, des images totalement irréelles et tu as l’impression que c’est la vérité. Alors que non, pas du tout, la vraie vie elle est beaucoup plus réelle, plus dure.

D : Ça t’a créé des complexes ? Tu en parlais avec tes amies ?
L.M. : Oui clairement ! On en discutait un peu. Mais on avait cette impression que si on devenait la meuf des réseaux, si on obtenait pleins de followers, on se sentirait mieux. Moi, à cette époque, j’étais plutôt du style « première de la classe », très sage, avec des parents super stricts. Au collège je n’avais pas trop trop de potes, je m’entendais bien avec les gens mais j’étais plutôt du genre à aller au CDI pour lire des Mangas! Et quand je suis arrivée au lycée, je me suis dis qu’il fallait que je sois sociable, pour me faire des potes. Je me suis retrouvée à être quelqu’un que je n’étais pas vraiment, à traîner avec des gens qui ne m’intéressaient pas tant que ça. J’ai réalisé qu’en fait, ce n’était pas comme ça que que je me sentais bien, mais plutôt en étant moi même. À côté de ça, j’avais des amies incroyables en dehors du lycée. Je me disais « Ces meufs sont terribles et elles n’auront jamais leur place dans un média. Personne ne va faire attention à elles ». J’ai eu envie de les mettre en lumière. Les premières Vraies Meufs, c’était mes potes, en fait. Ensuite, je me suis penchée sur celles que je suivais sur les réseaux sociaux qui me faisaient me sentir bien. Donc oui, ça partait de ça. Mais je n’avais jamais écrit, ni même vraiment fait de la photo. J’avais lancé deux, trois blogs, que j’ai abandonnés rapidement parce que ça ne m’intéressait pas. Mais je me suis quand même lancée. Je me suis dit « Même si c’est pas super pro, même si c’est moche, je le fais. » J’ai trouvé un appareil photo, j’ai fait des portraits de meufs, et j’ai raconté leurs vies, parce que c’était hyper intéressant. Et même si ça ne touche personne, ça me fera du bien à moi. C’était vraiment pour moi au départ. J’ai lancé Vraies Meufs quand je venais de passer mon bac, j’allais rentrer à la fac. J’avais envie de parler avec des meufs de choses que j’avais vécues, dont je n’arrivais pas à parler.

J’avais vraiment cette impression, que personne ne comprenait par quoi je passais à ce moment là, que personne ne me comprenait.
Lyna Malandro, créatrice de Vraies Meufs et de l’Atay.

D : C’était un moyen de parler de toi à travers d’autres femmes ?
L.M. : Un peu, oui. C’était en quelque sorte une manière de se construire et de se guérir, sans me mettre en avant moi-même. Je n’avais pas envie de ça. Je me disais que j’allais rencontrer des meufs qui auraient vécu les mêmes choses que moi, qui penseraient différemment aussi. Je voulais voir comment tout ça pouvait me nourrir, ce que ça pouvait m’apporter à moi et aux autres aussi. Le but, c’était de créer un site sur lequel j’aurais kiffé tomber quand j’avais 13 piges, et se dire par exemple, tiens elle en fait, elle a raté son année et elle ne sait pas trop quoi faire l’année prochaine et ce n’est pas grave. Je me sens proche d’elle et elle est mise en avant sur une plateforme. Elle existe et j’existe aussi. Moi aussi je passe par ça. J’avais vraiment cette impression, que personne ne comprenait par quoi je passais à ce moment là, que personne ne me comprenait. Après avoir créé Vraies Meufs, j’ai rencontré pleins de meufs qui m’ont dit « Tout ce que t’as fait, tout ce que tu penses, je suis passée par là aussi. » C’était fort. Je voulais aussi changer l’image qu’on avait sur les réseaux, ou dans les médias en général. Cette image est une suite logique de ce qu’il y avait avant avec les mannequins et les stars à la télé. Aujourd’hui on a les influenceuses sur les réseaux sociaux, c’est exactement le même schéma. C’est dommage puisqu’avec les réseaux sociaux, on pourrait avoir plus de pouvoir, on aurait pu en faire quelque chose de plus intéressant. On ne fait que reconstruire les mêmes schémas qu’avant.
Et pour en revenir à l’Atay, oui, c’est un peu la même réflexion, avec un contexte différent.

L’Atay, un moment convivial

D : Tu peux nous présenter l’équipe ?
L.M.
: Certains sont nés au Maghreb, d’autres ici. Mais nous avons tous cette double-culture française et maghrébine. À part moi, il y a Kawter. Elle est née au Maroc, mais a grandi à Orléans et elle vit maintenant à Paris. Elle, son délire c’est la mode. C’est LA meuf de la mode du groupe, elle a un style de malade. Elle est hyper sensibilisée par la question de l’identité de la femme maghrébine. Elle s’est vraiment construite dans ce milieu assez compliqué, où, en tant que femme maghrébine, tu n’as pas vraiment de représentation. Kawter est une de mes meilleures amies, sa présence sur ce projet est une évidence. Ensuite il y a Amal. C’est la plus timide de l’équipe. Quand elle était plus jeune, elle écoutait du rock, elle adorait les Mangas, et n’avait que des amis blancs. C’était un peu chelou pour elle d’être une rebeue qui écoute du rock ! Il y a aussi Zyad, lui est né au Maroc. Il est très drôle, fan d’animation japonaise et de design. Ensuite, il y a Sid. Lui, il aime bien parler, il est très expressif, et  joue un peu le rôle du chef parfois. Lui aussi a fait une réorientation dans ses études. Ensuite il y a Nesrine, qui est LA rebeue du groupe. On dirait une Oranaise. Parfois dans certains épisodes, tu peux l’entendre mâcher son chewin-gum (rires) ! Nesrine, c’est Booba et Jul. Et enfin, il y a Théophile. il est franco-algérien et a vraiment grandi dans un contexte très blanc. Il raconte tout le temps que quand il était petit, il avait « une tête de Rachid », mais n’a jamais vraiment été sensibilisé à sa culture, jusqu’au jour où il a eu envie de renouer avec ça. Il est très activiste, surtout au sujet des questions LGBT. Il a commencé à se réapproprier sa culture à travers la musique, notamment. Son père était musicien et jouait de la derbouka. Il redécouvre tout ça maintenant, à travers l’Atay aussi, parce qu’il a des expériences qui sont totalement différentes des nôtres. C’est passionnant parce qu’on a tous des parcours différents. Il y a un grand écart incroyable entre Nesrine ou Amal et Théophile dans le vécu, la manière de penser. Je ne sais même pas comment les caractériser, tous. Ils sont de vrais personnages à part entière !

Vraies Meufs, c’est mon identité en tant que femme, pour l’Atay, je voulais parler de mon identité en tant que meuf ayant une double culture.
Lyna Malandro

D : Vous vous connaissiez tous avant, ou tu as fais un casting pour les recruter ? Parce qu’à l’écoute, on sent vraiment un juste dosage d’expériences différentes, c’est assez incroyable.
L.M.
: En fait, la rencontre de l’Atay, c’est très drôle. Ce n’était absolument pas calculé ! L’année dernière, l’une des écoles où Kawter passait des entretiens lui avait demandé de faire une vidéo sur le thème de son choix. Elle avait décidé de parler des Maghrébins en France. Après avoir fait un appel sur les réseaux sociaux, elle a réuni plusieurs personnes, pour les filmer. On ne se connaissait pas, ou peu via les réseaux sociaux, mais sans plus. On s’est donc retrouvés aux Buttes-Chaumont. Dès qu’elle a lancé sa caméra, on a commencé à parler, parler, parler, parler, et on n’arrivait pas à s’arrêter. On est resté quatre heures dans ce parc, juste à discuter et on n’arrivait pas à se quitter et partir. Même dans le métro, on a continué ! C’était l’an dernier, à la veille du Ramadan. Et Théophile a proposé qu’on se revoie pour reprendre, à la fin de ce mois. En fait cette discussion nous a fait un bien fou à tous, puisque pour la première fois on se retrouvait juste entre entre Maghrébins qui ne se connaissaient pas, qui avaient des expériences hyper différentes et qui avaient chacun une réflexion un peu poussée. Personnellement, je suis allée en vacances au bled ensuite, mais c’est resté dans ma tête. Je retournais ça dans tous les sens. À un moment j’ai demandé à Kawter de m’envoyer les comptes Insta de chacun, et je lui ai dit « Viens, on fait un podcast ».

D : Tu es tout de suite partie sur ce type de média ?
L.M. : Oui, c’était une évidence. Pour moi, c’était la manière la plus simple de faire vivre une discussion aux autres. Ça nous donnait aussi une raison de se réunir presque tous les mois pour discuter et en même temps ça permettait de partager nos discussions. Je les trouvais dingues, et je pensais qu’elles pouvaient faire du bien à beaucoup de gens. Je voulais qu’on se revoit en fait, tout simplement. J’étais au bled et je ressentais l’envie de créer un projet autour de ma culture, autour d’une autre partie de mon identité. Parce que Vraies Meufs, c’est mon identité en tant que femme, là je voulais parler de mon identité en tant que meuf ayant une double culture. C’était trop évident, il faut que je le fasse avec exactement les mêmes personnes qui étaient présentes ce jour-là aux Buttes-Chaumont.

dialna - l'atay
L’Atay est un podcast de discussion autour de la double culture franco-maghrébine.

D : Pourquoi ce nom, l’Atay ?
L.M. :  Au moment où je réfléchissais beaucoup à cette idée de podcast, j’ai fait un rêve. J’ai rêvé qu’on était tous ensemble et qu’on prenait le thé, qu’on discutait, et c’était trop bien. Et quand je me suis réveillé, j’avais ce nom l’Atay. Quand je l’ai proposé aux autres, ils ont trouvé ça lourd. Au début, j’ai un peu hésité entre l’Atay, et quelque chose autour du café, parce qu’en Algérie on a beaucoup la tradition du café. Beaucoup plus que le thé. Mais je voyais déjà plein de trucs autour du « kahwa ». Je suis restée sur l’Atay, c’était parfait. Le thé c’est un moment de rassemblement, et pas que dans la culture maghrébine, c’est valable dans toutes les cultures. On a ça chez les Anglais, chez les Indiens, chez les Chinois. C’est le moment où tu te retrouves avec ta famille, ou avec tes amis et que vous débattez pendant des heures, avec les darons qui crient en parlant de politique. Tu vois, c’est ça l’Atay.

D : Il y a un thème principal à chaque épisode. Comment vous en décidez ? Vous faites des réunions, du genre conférence de rédaction, tous ensemble ?
L.M. : Nos réunions, c’est notre groupe WhatsApp ! Quelqu’un lance une idée, si tout le monde est d’accord, on choisit juste les mots clés. C’est peut-être un peu brouillon, mais ça fonctionne. Au début, je voulais faire un truc vachement carré. Mais je me suis dit déjà on n’a pas le temps de le faire. Et on n’a pas non plus les connaissances pour faire un traitement historique et je n’avais pas envie de dire de conneries. Je me suis dit qu’on allait rester sur nos points de vue, nos témoignages personnels. On s’est dit même comme ça je pense que les gens se reconnaîtront beaucoup plus que si on faisait un podcast qui raconte l’histoire de concepts plus poussés. Ça viendra peut-être, mais ça touche moins de gens que les aspects personnels. On enregistre environ une fois par mois et on monte l’épisode. qui arrive plus ou moins tôt. L’avantage d’un podcast, c’est la facilité de production. Comme c’est une discussion libre, ce n’est pas super compliqué à produire. On donne le thème, chacun y réfléchit pendant une à deux semaines. Quand on arrive au studio, on lance l’enregistrement, et tout le monde y va. La force de ce groupe, c’est qu’on a toujours des choses à dire, et on finit toujours les épisodes frustrés.

C’était hyper important pour nous parce que le but de l’Atay, c’était aussi mettre en avant des talents qui nous intéressaient. 
Lyna Malandro

D : C’est toi qui as pensé le format, les rubriques, comme les recommandations etc … ?
L.M. : Oui. J’étais la seule de l’équipe à écouter beaucoup de podcasts. Comme j’avais déjà un pied dans les médias, ils m’ont dit « Lyna, nous on te suit sur le projet, mais on n’y connait rien, donc on te laisse gérer ». J’ai donc pris l’éditorial en main.  Et on avise au fur et à mesure. Par exemple, avant on faisait la rubrique « Actu du jour ». On l’a enlevée parce que comme les épisodes sortent souvent beaucoup plus tard que leurs enregistrements, ce n’était plus pertinent. Et puis, on finissait par parler de choses qui nous dépassaient un peu. Donc on a laissé tomber. En vrai les gens préfèrent la discussion. Ensuite on a une rubrique de recommandation, les « Chouf ». C’était hyper important pour nous parce que le but de l’Atay, c’était aussi mettre en avant des talents qui nous intéressaient. Donc c’était indispensable de pouvoir relayer des comptes Insta d’artistes maghrébins, de chanteurs, des livres, des films hyper intéressants. Et il y en a tellement, qui ne dépassent parfois pas les 1000 followers, c’est trop dommage. C’est ce que je fais déjà de base avec Vraies Meufs. Parfois ça s’entrecroise, et c’est super.

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« En France, la diaspora maghrébine manque de repères et de références pour s’unir » Lyna Malandro © Nadialna

La double-culture comme colone vertébrale

D : Comment vis-tu cette double culture au quotidien ? À quel point la culture algérienne était présente dans ta vie, dans ta famille ?
L.M : Je pense que j’ai eu beaucoup de chance. Mes parents m’ont forcée à aller à l’école arabe quand j’étais petite, c’étais tous les samedis. Je détestais y aller. On apprenait le Coran, la grammaire. Mais du coup, pour moi la double culture, c’était logique. Jusqu’à mes sept ans, je ne savais même pas que c’était possible de n’avoir qu’une seule culture ! Dans un des épisodes je raconte que quand j’étais petite, je jouais avec un petit garçon et je lui avais demandé ce qu’il était. Quand il m’a répondu « Français », j’ai demandé « Et quoi d’autre ? » Je ne savais pas qu’on pouvait n’être que Français. Là où j’ai grandi, mon meilleur ami était Argentin. Il n’y avait pas que des Arabes ou Noirs. C’était vraiment très très mélangé, il y avait beaucoup d’Asiatiques, il y avait pas mal de Latinos, il n’y avait pas mal de Portugais aussi. Je ne voyais que des gens avec une double culture autour de moi. Quand j’allais au bled, je jouais avec les petits du quartier où habitait ma grand-mère. J’étais alors obligée de parler arabe, j’ai vraiment baigné dans ça. C’était hyper logique pour moi d’aller voir mes potes, ma famille, pour l’Aïd, d’écouter Nancy Ajram avec ma mère à la maison. Et puis quand je suis arrivée à l’adolescence, il y a eu gros rejet, j’avais trop honte. Honte que ma grand mère parle arabe, honte de devoir partir en Algérie quand mes potes partaient dans des meilleures destinations. J’étais dans un autre délire. Je n’avais plus envie d’aller d’apprendre ça ne m’intéressait plus. Je rejetais cette double culture, aussi parce qu’au yeux de la société, ce n’était pas cool d’être arabe ou musulman et qu’aucun de mes modèles ne l’était. Du coup, je détestais même aller au bled pour rester enfermée entre quatre murs pendant deux mois. Et puis, un jour avec ma famille, on a vu le documentaire de Yann Arthus-Bertrand, « L’Algérie, vue du ciel ». J’ai regardé mon père en lui demandant « Mais ça c’est l’Algérie, ça ? «  Ça m’a fait un choc. Je vais en Algérie depuis 15 ans et je n’avais vu aucun de ces endroits. Même ma propre ville, Constantine, je ne la connaissais pas. Depuis, chaque année, on essaye de voyager en Algérie, ou même en Tunisie, pour découvrir. Maintenant, je vais plus souvent à Alger. J’ai découvert la Kabylie, notamment Oran. J’ai vu tout le Nord du pays, et mon rêve, maintenant c’est de faire le Sud. Et en fait, ça m’a trop ouvert l’esprit. Il y a tellement de choses dingues à voir et personne n’est au courant. Les gens ne sont tellement pas au courant de la richesse de la culture maghrébine et africaine en général aussi. Parfois, on me demande s’il y a des hôpitaux là bas ! Certains pensent qu’on vit dans des cases comme dans Kirikou ! J’ai commencé me dire que ce n’était pas normal, comment j’en suis arrivé à rejeter tout ça, à détester tout ça ? J’ai commencé à suivre des personnes plus impliquées dans cette connaissance de leur double culture, et ça m’a réconcilié en fait avec ma culture, avec mon pays, avec mes origines. Ça fait du bien.

Jusqu’à mes sept ans, je ne savais même pas que c’était possible de n’avoir qu’une seule culture !
Lyna Malandro

D : Tes parents t’ont parlé de l’histoire de l’Algérie, ou de ta famille  ? Ce sont des choses qui étaient abordées facilement ?
L.M. : C’est arrivé quand j’ai commencé à le demander. Mes parents ont essayé de m’en parler, mais c’était au moment où je rejetais tout ça. Je me suis sentie bête, après coup. J’ai eu des grandes discussions avec ma grand-mère. Ma mère étais là pour traduire quand je ne comprenais pas. C’était d’autant plus fort. J’ai appris que mon grand-père, Allahyrahmo, a du se faire passer pour mort, parce qu’il s’était fait piétiner par des soldats français, pour éviter de mourir. Ma grand-mère, elle a du fuir la ferme de son oncle, avec les enfants, cachés parmi les moutons, pendant que les soldats français brûlaient la ferme et détruisaient les récoltes. Il y a des histoires de ouf qu’on ignore. Il y a pleins de monde dont les parents ou grands-parents ont vécu ça. Mes parents, ont vécu la décennie noire. À cette période, quand on frappait à ta porte, tu avais deux choix. Soit c’est la police et du coup ils vont te retourner toute la maison pour voir s’il n’y a pas quelqu’un, soit c’est le terroriste qui va rentrer, qui va te forcer à le cacher, sinon il te tue. Je ne m’étais pas rendue compte que ma famille avait vécu des choses comme ça.

D : C’était peut-être pour vous protéger qu’ils ne l’ont pas raconté avant ?
L.M. : Non, je pense qu’on n’était vraiment pas prêts à entendre ça. Au contraire mes parents ont toujours été dans le partage. Plus je grandis et plus c’est le cas. Maintenant je vais voir des expo avec mon père, ou des choses que je ne pensais pas possibles avant. J’ai des parents assez stricts, donc au niveau des projets, au début c’était très compliqué. Pour Vraies Meufs, au début, ils ne comprenaient pas. Eux ne sont partis de rien, ils ont réussi grâce aux études. Donc je devais faire des études, je n’ai rien à faire d’autre en fait. Quand ils ont vu que je réussissais quand même mes cours et que j’arrivais à gérer à côté, ils ont un peu lâché du lest.

Dialna - l'Atay
« Beaucoup nous disent avoir l’impression de participer à la discussion avec nous. Ce genre de retours, ça nous fait incroyablement plaisir, parce que moi ça m’aurait fait trop du bien d’entendre un truc comme l’Atay avant.  » Lyna Malandro © Nadialna

D : Que pensent-ils de tes projets maintenant ? Ont-ils écouté l’Atay ?
L.M.
: En fait au début je ne voulais pas trop leur en parler parce que j’avais peur un peu de leur réaction. Et un jour, alors qu’on allait a un événement appelé « La fête des Touaregs », dans le 20ème, on se rend compte en arrivant que ce ne sont que des Blancs qui organisent. On était sans voix. Mon père m’a alors dit « Regarde c’est trop dommage. Votre génération devrait trop faire des choses comme ça. » Et c’est là je lui ai parlé du podcast l’Atay, en lui conseillant de l’écouter. Je ne sais pas s’il l’a fait, mais en tout cas il est au courant, et il aime bien le projet, l’idée.

Il faut du courage aussi parce qu’on raconte des choses très personnelles, et on sait comment nos cultures sont remplies de tabous. C’est difficile de parler.
Lyna Malandro

D : Vous avez parlé du contenu ?
L.M. : Très brièvement. Je suis pudique avec mes parents sur mes projets. Mon père, à un moment, me googlait, pour savoir ce que j’écrivais. Et du coup il lisait les articles, mais je n’aimais pas trop qu’il me dise ce qu’il en avait pensé. C’était trop gênant. Et maintenant on est plus dans une situation où tant que j’ai des bonnes notes, je peux continuer mes projets.

D : Dans un des épisodes, cette année, vous parliez « d’espace safe » pour parler de ce podcast. C’est sur ce point en particulier que vous avez le plus de retours de vos auditeurs ?
L.M. : Pour l’instant, de manière générale, on n’a eu que des retours positifs et je me souviens d’une fille qui nous avait dit qu’avant de nous découvrir, elle avait abandonné la presse et les médias parce qu’elle se sentait dévalorisée. C’est surtout ce genre de retours qu’on a : « Pour première fois de ma vie, j’ai l’impression d’entendre quelque chose qui parle de moi, ou que c’est moi qui parle ». Beaucoup nous disent avoir l’impression de participer à la discussion avec nous. Ce genre de retours, ça nous fait incroyablement plaisir, parce que moi ça m’aurait fait trop du bien d’entendre un truc comme l’Atay avant. Il faut du courage aussi parce qu’on raconte des choses très personnelles, et on sait comment nos cultures sont remplies de tabous. C’est difficile de parler.
Il ne faut pas parler de ce qui ne va pas, ni critiquer quoi que ce soit. Quand, collectivement, on est déjà critiqués partout, il y a ce sentiment qui fait qu’on évite d’en rajouter. Il faut faire comme si tout allait bien, sauf que non. Parfois, ça ne va pas, et il faut en parler. Tout comme, il faut souligner les choses qui vont bien.

D : Et venant d’auditeurs issus d’autres communautés ? J’imagine qu’il y a aussi des parallèles avec leurs vécus ?
L.M. : Oui, tout à fait ! Concernant l’épisode des vacances au bled, on a eu le retour d’un mec qui nous a dit « C’est trop drôle parce que je suis franco français, moi mon bled c’est la Bourgogne. Mais dans votre podcast en fait je me reconnais grave. » J’ai adoré, parce qu’en fait, ça touche tout le monde. On part de notre expérience en tant que Maghrébins, mais en fait Il y a plein de Noirs qui nous ont dit « mais c’est pareil dans toute l’Afrique », des Asiatiques qui nous disaient « Mais moi quand je vais au Vietnam c’est la même chose ».
Pour en revenir au concept de « safe space », c’est toujours assez compliqué mais il faut toujours faire gaffe avec ça, parce que le défaut c’est que souvent, il y a beaucoup de gens qui s’enferment dedans. Du coup, si tu as une opinion différente, certains peuvent le refuser, il faut faire attention à ça. L’Atay, pour l’instant c’est très maghrébin, mais je pense que dans le futur, on va avoir beaucoup de gens qui ne seront pas maghrébins. Ça part certes, du Maghreb, mais c’est vachement axé sur la double-culture et c’est ouvert à tous. Si on reste dans un truc genre méga Maghreb, ça peut devenir un truc un peu extrémiste. Les « safe space » trop fermés sur eux-mêmes peuvent tomber dans un extrême.

D : Vous pensez continuer l’an prochain ? Changer le rythme ?
L.M. : Moi je pense que ça va continuer comme ça. Parce que c’est la formule qui va le mieux à tout le monde. Pour l’Atay, C’est moi qui m’occupe de faire les enregistrements, les montages, de louer le studio. Pour le reste de l’équipe, c’est plus fluide, ça leur fait pas grand chose. Ils viennent, ils racontent leur vie, ils partent. Niveau organisation, c’est très bien pour tout le monde. Donc on n’est pas prêt de s’arrêter. On finit la première saison, et on reprendra encore plus motivés. On a organisé un premier événement pendant le Ramadan, un ftour collectif à la Courneuve. Voila, on a encore pleins d’idées.

D : Quels sont tes coups de coeur du moment ?
L.M. : En musique,  j’ai beaucoup écouté l’EP d’une chanteuse qui s’appelle Koffee. Et elle a un côté un peu reggae, elle est très forte. Comme j’ai revu le film Devdas, je réécoute beaucoup de musique indienne en ce moment. Sinon, il y a une meuf que j’avais rencontré, lors d’un talk que je faisais, organisé par Nike. C’est Zaïna Nasser. C’est une boxeuse, championne d’Allemagne, et elle porte le voile. Et elle s’est battue pour changer la législation en Allemagne pour pouvoir le porter lors de compétitions. Pour le moment, elle n’a pas encore le droit de  participer aux championnats du monde et donc elle elle continue son combat pour changer la législation de manière internationale, et que les femmes qui portent le voile puissent boxer partout dans le monde. Elle est trop forte et c’est un amour, je l’ai déjà rencontrée deux fois. Elle a un parcours incroyable, c’est une belle représentation pour les femmes musulmanes, pour les femmes voilées. Je trouve que c’est un modèle de persévérance. Nike a d’ailleurs fait une vidéo avec elle. Sinon récemment, j’ai adoré la série On my block sur Netflix. C’est l’histoire de 4 jeunes qui vivent dans un quartier latino, à Los Angeles. Et ils ont plein d’histoires, c’est assez drôle, et en même temps, il y a des passages durs. Les latinos là-bas, on peut vraiment les comparer aux Arabes. Au début de la saison 2, il y a une sorte de réunion de famille, suite au décès d’un membre. Le grand frère revient avec sa copine blanche et enceinte. C’est vraiment le cliché de la femme blanche qui exagère son attitude d’intégration jusqu’à laisser voir son racisme.

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