Ahlem et Nesrine sont deux DJ’s, amoureuses de sons surtout nord-africains. Elles forment le duo Disco Makrout. Ensemble, elles explorent les cultures musicales nord-africaines, mais aussi moyen-orientales. Ce duo a la musique comme passion, et les racines algériennes bien solides. Elles ont notamment enflammé la scène du FGO-Barbara lors de la Khoroteuf du collectif Arabengers en janvier dernier. Rencontre.
Elles nous donnent rendez-vous, au centre Pouya, à Paris. Ce lieu n’est pas un choix du hasard car il est tenu par un musicien iranien qui a vécu beaucoup d’obstacles dans sa vie pour créer un endroit qui respire la musique. Ces deux amies algériennes mordues de musiques vont quitter leur pays natal, l’Algérie, pour continuer leurs études et leurs carrières professionnelles en France. Mais dans ce monde rigide, elles ont décidé d’impulser des vibrations musicales en provenance du nord de l’Afrique et du Moyen-Orient. Travail de bureau la semaine, dancefloor le week-end. Elles enflamment les pistes aux rythmes de la Kabylie, de la côte ouest marocaine ou des sons sucrés égyptiens. Le sucre est un élément important puisqu’elles se sont baptisés Disco Makrout, un clin d’œil à la pause café algérienne toujours accompagnée d’un makrout…
Dialna : Pourquoi avoir accepté cette rencontre ?
Nesrine : Parce qu’on a vu ce que vous faites et qu’on aime vraiment Dialna ! En plus Dialna c’est vraiment cool comme nom de magazine !
D: On va revenir à vos origines. D’où venez vous ?
Ahlem : Nous sommes nées et avons grandi à Alger. Nous sommes toutes deux algéroises, avec des origine kabyles mais on est venue en France pour nos études. J’ai suivi un cursus en communication et informatique.
Nesrine : Et moi, j’ai étudié les sciences politiques, avec comme spécialité, les affaires européennes
D : Comment vous êtes-vous rencontrées ?
N : C’était fin 2019, lors d’une soirée en France. On avait des ami.e.s en commun. On a tout de suite échangé autour de la musique. De toute façon notre vie, ce n’est que de la musique ! On a chacune fait écouter à l’autre ce qu’on aime …
A : Je commençais à m’intéresser à l’aspect technique auprès de mes ami.e.s qui mixent. Je leurs ai posé des questions sur le matériel à utiliser, les techniques à avoir, etc .. Mes ami.es m’ont offert des séances de mix et après le COVID, on a rencontré d’autres femmes DJ’S, comme les filles de Future Female Sounds. C’est une association danoise qui a pour projet d’enseigner le DJing auprès des femmes issus des minorités en France, Tunisie et en Egypte. Après ce workshop, on a cassé toutes nos difficultés et nos complexes. Car le DJing est un univers très technique, cher et surtout masculin !

©NoraNoor
D: Il ne faut pas juste aimer la musique pour mixer ?
A : Quand j’étais petite, je faisais de la musique seule, en autodidacte. Je me suis achetée une guitare, j’ai appris un peu de piano, de la batterie.. Mais pour le mix, s’il n’y avait pas eu Nesrine, je ne me serais pas lancée. Déjà, on a grandit dans un pays où cette activité n’est pas spécialement valorisée. Et de l’extérieur, on a l’impression que c’est compliqué, il y a pleins de boutons. Pourtant j’ai fait de l’informatique, et j’ai écouté de la techno toute ma vie ! Il y a quand même cette barrière mentale à franchir.. Mais on s’est finalement lancée en février 2022, et le nom Disco Makrout est né, quelques mois plus tard, en avril.
D : Qu’est ce qui vous a poussé à animer des soirées ?
N : Lors d’une soirée à l’Alimentation Générale, dans le 11e arrondissement de Paris. En discutant avec les gérants du lieu, on leur a dit qu’on aimerait bien mixer là-bas. Ils nous ont tout de suite proposé la salle du bas. On leur a dit OK et on a réalisé qu’il nous fallait être prêtes en une semaine ! On s’est mis aussi sur les réseaux sociaux notamment TikTok. Grâce à cela, on a eu une belle visibilité et beaucoup de gens nous ont contacté, notamment « Nique la radio » qui met en avant des DJ venant d’Afrique. Ils nous ont contactée pour leurs 2 ans. C’était génial !
A : C’est surtout Nesrine qui a poussé notre duo. Elle a le côté « viens, on fait » ! Elle est hyper ambitieuse.
D : Vous êtes spécialisée plutôt Afrique du nord ou Moyen-Orient ?
A : On aime vraiment les deux styles. On est tant traditionnelles que modernes. Il y a quelques temps, on a fait un set pour notre résidence d’artistes chez « Radio Flouka ». Ce set s’appelle Là-bas chez moi. On l’a construit comme un regard nostalgique du genre Ghorba (exil en arabe) et comment tu vois ton avenir plus lumineux. On commence donc avec des chants traditionnels, pour aller vers de la funk arabe et finir avec de l’électro pour montrer ce côté futuriste. Souvent on mélange les deux pour montrer les facettes d’une personne.
N : On veut montrer des classiques de la musique africaines ou du moyen orient pour aussi montrer à a quelle point notre culture est si cool et la mettre en avant pour que les gens s’ambiance dessus sans pour autant nous fétichiser ou nous regarder d’une manière péjorative.

© Nora Noor
D : Votre emploi du temps commence à se remplir en tant que DJ’s ou s’est encore timide ?
A : On refuse des plans le week-end parfois car on travaille toute la semaine à plein temps. Mais on pourrait être bookées tous les week-ends facilement. Pour l’instant, on laisse les gens venir vers nous, on ne démarche pas. Mais on pense peut-être à changer de stratégie.
D : Qui sont vos classiques dans la musique ancienne nord-africaine ?
A : Oum Kalthoum, c’est sûr ! On aime beaucoup Safy Boutella c’est lui qui a écrit les plus belles chansons de jazz oriental. Dans la musique amazigh, Idir est un très très grand musicien qui a fait de très belle choses. On peut citer aussi Majid Soula qui est un chanteur de funk, Sidi Bemol car on adore le Gnawa, et aussi des classiques comme Haja Hamdaouia et les chikhates marocaines, on adore ! Le châabi marocain aussi on aime ! Avec la rythmique 6/8, impossible de ne pas danser sur ces musiques !
N : On aime beaucoup aussi l’artiste marocain Cheb. il fait un mélange châabi marocain et algérien, c’est un créatif et il faut écouter pour comprendre ! La rythmique est marocaine et les mélodies sont algériennes et à la fin le rythme s’accélère ! Il a fait le conservatoire au Maroc, c’est un technicien.
D : Au Maroc nous avons la danse de la Kaada (danser sur un baril d’acier et taper le rythme avec les pieds). Que pensez-vous de ces rythmes produits avec rien ?
A : C’est typique des rythmes que l’on peut trouver en Afrique ! Les supporters de foot dans les stades en sont la preuve, ils sont auteurs compositeurs interprètes ! Le rythme est donné avec les mains, les pieds et les percussions, je ne sais pas d’où ils viennent ! C’est en live la chanson est produite comme ça en 5 minutes et elle reste dans la tête !
@disco_makrout Quand le Maroc devient la nouvelle nation de football ⚽️ #worldcup #maroc #maghreb #quartdefinale #dimamaghrib #coupedumonde ♬ Dekka merrakchia / دقة مراكشية – Orchestre tamouh
D : Comment fonctionnez-vous quand vous êtes sur scène ?
N : On fonctionne au feeling. On prépare nos sets en avance, on fait chacune nos playlist sur Spotify et on essaie surtout de s’adapter à notre public. On s’entraîne aussi beaucoup en amont pour voir si les mix fonctionnent.
A : Et quand on sent que le public est lancé, on passe à l’électro ! On aime bien être là où on ne nous attend pas.
D : Vous incluez du rap dans vos sets ?
A : OUAIS !!! d’ailleurs la plupart des rappeurs que l’on passe sont des marocains, car ce sont les meilleurs à l’heure actuelle! La scène marocaine est extraordinaire. Tout le label Naar est incroyable. Issam, c’est mon préféré.
N : Moi je trouve les rappeuses marocaines plus intéressantes ! On aime aussi passer des sons de pops arabes, du genre Elissa Khoury.
D : On peut revenir sur votre nom, Disco Makrout ? Pourquoi ce nom ? Avez-vous de gros projets autour de ce nom (podcast, label etc) ?
N : Notre nom de groupe est inspiré de la série The Get Down qui parle des débuts hip-hop et donc du DJing. Un des DJs dans la série partageait sa musique comme on partagerait un biscuit. On s’est dit que le makrout, c’est une pâtisserie orientale qui se partage pendant les fêtes. Voilà pour le clin d’oeil et le partage !
A : Comme on vient d’une culture où l’on aime partager la nourriture, on s’est dit « partageons la musique » et pourquoi pas, distribuer des makrouts durant nos sets ! Notre but, c’est de mettre en avant toutes les cultures qui nous constituent : amazigh, arabe et africaine en générale. On est aussi complexes de là ou l’on vient, on a très envie de mettre ça en avant ! L’idée c’est de poser la question quand tu es issu d’une diaspora ou d’une certaine immigration : comment tu arrives à te connecter à ta culture à travers ton art ? Pour nous c’est principalement via la musique. C’est ce que l’on connaît le mieux.
On essaye de raconter en musique, le côté « Je viens d’ailleurs, et je suis aussi française. Comment je fais pour allier le tout. Est-ce que c’est facile ou pas? » Je vais parler pour nous deux mais au début, quand on est arrivées d’Algérie en France on a eu du mal à s’assumer comme algériennes et on a mis du temps à comprendre, assumer notre culture sur un autre terrain, à réaliser qu’elle était aussi cool que les autres. J’ai travaillé et donc vécu au Maroc pendant un temps. J’ai compris là-bas que j’étais multiple, que je pouvais vivre pleinement ma culture où je veux ! Maintenant je mets des foulards et des djellabas dehors.

©NoraNoor
D : Est ce qu’on se permet des réflexions sur votre apparence ?
A : Mais tout le temps et partout ! Au Portugal un chauffeur de bus s’est permis des réflexions déplacées sur mon apparence et je peux t’en sortir plein, des réflexions comme ça ! Porter nos vêtements, écouter notre musique librement, assumer ce que l’on est, c’est un combat permanent !
D : Vous insistez aussi pour que vos soirées soient LGBTQI+ friendly ?
N : Ah bien sûr, l’espace safe est super important pour nous ! Quand on écrit nos mails de préparation de nos soirées, on insiste sur cette notion de LGBTQI+ friendly, sinon ce n’est pas la peine. Si on n’accepte pas de racistes dans nos soirées, on ne veut pas d’homophobes non plus.