[Humeur] #NtaRajel, le mouvement féministe d’origine nord-africaine

dialna -Nta Rajel

« Nta Rajel ? »  « T’es un homme, toi ? »

En une phrase, sur Twitter, quelques jeunes femmes ont secoué et piqué l’égo du patriarcat. Elles sont relativement jeunes, issues de la diaspora maghrébine en France, et en ont marre du mépris, de la violence et des insultes de certains. Remettre en cause la masculinité toxique, c’est exactement la portée de ce hashtag #NtaRajel. De plus en plus de comptes twitter apparaissent avec cette phrase. Et un compte « officiel » a même été créé. Les attaques contre ces jeunes femmes sont d’autant plus violentes. Aucune remise en question de ce qui est dénoncé. On leur reproche au choix de « vouloir créer la division dans la communauté », « d’être vulgaire », « de faire le jeu des racistes », « de rejeter leur religion (supposée), d’être apostat », et j’en passe.

Alors, quel est leur combat ? Quelles sont leurs idées ?

Chez Dialna, nous avons toujours eu cette fibre féministe, et nous savons très bien ce que ce terme amène comme réaction. Nous sommes ravies de pouvoir fournir une tribune à ces jeunes femmes, afin qu’elles expriment leurs idées le plus librement possible. Le collectif a depuis lancé son propre blog, que nous vous invitons à suivre.

dialna -Nta Rajel

Nous sommes un regroupement de douze femmes d’origine nord-africaine résidant en France, musulmanes ou non. Nous avons lancé le mouvement féministe antiraciste et décolonial nommé Nta Rajel ?. En reprenant l’expression rhétorique en darija « Nta Rajel? » (qui se traduit littéralement par “Tu es homme, toi?”), nous souhaitons interroger la masculinité toxique des hommes, leur sexisme intrinsèque qu’ils perpétuent tout en s’appropriant l’insolence véhiculée par cette expression.
Elle a ensuite été adoptée pour nous exprimer sur nos réalités et les discriminations subies en tant que femmes d’origine nord-africaine en France car, même si nous gardons des liens avec nos pays d’origine, il nous est impossible de rendre compte des réalités de ces pays puisqu’aucune d’entre nous n’y vit. Bien que nos féminismes et nos horizons politiques soient différents, nous voulons reprendre notre parole, ensemble, afin de porter la voix des femmes maghrébines. Nous souhaitons nous réapproprier nos vécus, nos vies et nos voix, loin de l’imaginaire orientaliste basé sur la fétichisation auquel les femmes maghrébines ont été rattachées.

Nous prônons un féminisme à visée intersectionnelle. Introduit par Kimberley Crenshaw en 1991, le terme désigne « la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société ». Nous nous reconnaissons au travers de cette notion puisqu’en tant que femmes nord-africaines, nous subissons le sexisme, le racisme mais également, pour certaines, l’islamophobie, la LGBTophobie, le validisme, l’antisémitisme, la négrophobie, etc. C’est dans une forte volonté de combattre ces oppressions qui constituent des injustices quotidiennes ainsi que l’essentialisation des femmes nord-africaines que notre mouvement s’inscrit.

La représentation des femmes nord-africaines, notamment en France est l’un de nos premiers chevaux de bataille. En effet, il nous est devenu insupportable de nous voir systématiquement caricaturées au travers du cliché raciste et sexiste de la « beurette ». Ce terme, apparu dans les années 80 a peu à peu été détourné de son sens premier. Il est aujourd’hui utilisé pour nommer les femmes nord-africaines « assignées à une culture et un environnement familial rétrograde et machistes dont il faudrait les sauver » (Nacira Guénif pour les Inrocks), associée à une sexualité libérée, la « beurette » conjuguerait deux identités : celle de la soumise mais également celle de la « salope ». Infantilisée, sexualisée et déshumanisée, nous aspirons à déconstruire ce terme insultant afin de le bannir de l’usage.
Le concept de beurette tend, à présent, à englober les femmes qui portent le voile, comme le montre l’industrie du porno et l’utilisation de plus en plus large qui en est faite : une beurette est devenue une femme nord-africaine qui s’affirme, qui ose et contrevient aux normes patriarcales.

Nta Rajel a pour vocation de dénoncer les violences, discriminations et injustices subies par les femmes et minorités de genre. Nous refusons la loi du silence au sein de notre communauté pour ne pas « trahir » nos «frères ». Nous refusons cette énième injonction au sacrifice. Nous refusons de taire des injustices au nom d’une unité qui oppresse. L’unité ne peut se faire que dans la reconnaissance de toutes les discriminations et la défense de la dignité de chacun.e.

Notre mot d’ordre ? Le choix. Dans la lignée du féminisme, nous défendons le choix, pour les femmes, de s’habiller et de vivre comme elles l’entendent, notamment en se réappropriant l’espace public. Le choix de leurs voix, de leurs corps. Les femmes ne sont pas l’étendard d’un peuple, d’une culture ou d’une religion. Elles n’appartiennent qu’à elles-mêmes, elles ne représentent et ne rendent compte qu’à elles-mêmes. Dans cette dimension, nous sommes opposées à toutes les injonctions dirigées contre les femmes et ce, d’où qu’elles proviennent et quoiqu’elles visent. En effet, on se situe dans la tradition d’un féminisme décolonial, anti-raciste et donc, en opposition à un féminisme paternaliste et raciste dont la vocation principale actuelle est le dévoilement des femmes musulmanes qui portent le voile.

Lors du lancement du hashtag #NtaRajel ? sur Twitter, les réactions étaient mitigées. D’une part, nous avons reçu énormément d’encouragements, de soutien et d’amour de la part des féministes, notamment des afroféministes et asioféministes que nous tenons à remercier pour ce qu’elles nous ont apporté. Nous avons pu lire des témoignages de femmes nord-africaines françaises et non françaises, concernant le sexisme et le racisme qu’elles subissent. Avec plaisir, nous avons vu ce hashtag devenir une opportunité pour les opprimé.e.s de s’exprimer.
Si, de part les vécus et contextes différents, nous ne nous inscrivons pas dans les initiatives des féministes nord-africaines, c’est avec plaisir que nous les relayons et que réitérons notre soutien entier aux femmes et minorités de genre luttant en Afrique du Nord et dans le monde entier. D’autre part, certain.e.s ont tenté de récupérer et d’instrumentaliser notre combat à des fins racistes, notamment islamophobes. Nous ne sommes pas dupes et rappelons que nous combattons le patriarcat dans son ensemble, qu’il soit exercé par des Blancs ou des Racisés. Nous sommes farouchement opposées à l’instrumentalisation de nos vécus à des fins racistes, nos vécus de femmes et de nord-africaines nous ont menées, au front, contre un système raciste et sexiste.

Pour finir, d’autres nous ont attaquées sur la dite incompatibilité entre Islam et Féminisme, en tentant de dénaturer nos revendications en les mêlant au religieux. Nta Rajel n’est pas un mouvement musulman et ce, même si certaines de nos membres sont des femmes musulmanes et même des féministes musulmanes.

Pour la suite, nous aspirons à développer notre collectif, nous avons été quelque peu dépassées par le succès de notre initiative mais y adhérer sera très prochainement possible. Nous sommes déterminées à reprendre la place que l’on mérite dans nos sociétés, à lutter pour l’abolition des privilèges et contre toutes les formes d’injustice, et la première étape vers cet accomplissement est bel et bien la libération de la parole. Par delà ces mots, nous avons l’ambition et l’espoir d’un monde plus équitable et plus juste, pour tou.te.s.

Merci à Dialna de nous avoir offert cette tribune, n’hésitez pas à nous suivre sur le compte Twitter officiel : @ntarajel_gang pour en savoir davantage et prendre connaissance de nos futurs projets.

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1 commentaire

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